PENSÉES TRADUITES OU IMITÉES DE SÉNÈQUE PAR FRANÇOIS DE MALHERBE
Le temps est la seule chose que l'homme possède, et celle qu'il méprise le plus. Le seul remède qu'on peut apporter à la fuite du temps, c'est de le bien employer en tout âge. Il est bien tard d'épargner le vin quand on est à la lie. Être partout, c'est n'être en nulle part. Ceux qui passent leur vie à voyager font beaucoup d'hôtes et point d'amis. Ce n'est pas être pauvre que d'avoir peu, mais bien de désirer davantage que ce qu'on a. On n'est pas moins blâmable de ne se fier à personne que de se fier à tout le monde. Il avient souvent que, faisant paraître que nous avons peur d'être trompés, nous avertissons les autres de nous tromper, et donnons un honnête prétexte de faillir à ceux que nous ne tenons pas pour gens de bien. La plus grande partie des hommes flotte entre la crainte de la mort et les tourments de la vie, pource qu'ils n'ont ni la volonté de vivre, ni la science de mourir. Jamais la fortune ne met un homme si haut, qu'elle ne le menace de souffrir en soi-même ce qu'elle lui permet de faire à l'endroit des autres. Quiconque méprise sa vie est maître de celle d'autrui. Depuis l'heure que vous êtes né, on vous mène continuellement à la mort. Soyez exempt de souhait, et vous le serez de crainte. Si l'on me voulait donner toute la sagesse du monde, à condition que je la posséderais moi seul et ne l'enseignerais à personne, je n'en voudrais point : la jouissance du bien ne peut être agréable, si l'on n'y associe quelqu'un. Le chemin est long par les préceptes, mais court et facile par les exemples. Mangez pour apaiser la faim, buvez pour étancher la soif, habillez-vous pour n'avoir point de froid, et vous contentez d'une maison où le vent et la pluie ne vous puissent offenser, qu'elle soit ou de gazon ou de marbre, que vous importe ? La nature, qui s'est proposé de faire vivre les hommes ensemble, a voulu que les amitiés eussent un certain aiguillon qui nous sollicitât à les rechercher. Il n'y a que le sage capable de se plaire ; toute folie porte avec elle un dégoût de sa condition. Il faut vivre avec les hommes comme vu de Dieu, et parler avec Dieu comme écouté des hommes. Nul ne peut savoir sa force sans l'avoir éprouvée. Il y a plus de choses qui nous font peur qu'il n'y en a qui nous font mal, et bien souvent nous sommes en peine plutôt par opinion que par effet. Il s'est trouvé des criminels qui ont plus vécu que l'exécuteur qui les avait menés au supplice. La pauvreté nous met à couvert de l'envie et de la haine. Il se perd bien quelque vaisseau dans le port ; mais que pensez-vous qu'il se fasse en pleine mer ? Nous commençons les choses ; la fortune les finit. La souplesse des bras, la dilatation des épaules et l'affermissement des reins, ne sont pas occupations d'une âme bien faite, et un homme de lettres ne fait rien pour s'y arrêter : faites-vous si gras et si charnu que vous pourrez, un buf le sera toujours plus que vous. Les sages résolutions sont plus fortes à garder qu'à prendre. Il faut persévérer et ne cesser jamais de vous fortifier, que vous n'ayez fait un bon naturel de ce qui n'est qu'une bonne volonté. Les désirs de la nature sont limités ; ceux de l'opinion n'ont où s'arrêter, parce qu'une chose fausse n'a pas de bornes : qui va par le chemin , trouve quelque bout ; qui est égaré, n'en trouve point. Les richesses ne mettent pas fin aux misères, mais les changent. La frugalité n'est autre chose qu'une pauvreté volontaire. Il faut, en la sécurité, se préparer aux étonnements, et au milieu des caresses de la fortune se résoudre à ses outrages : les soldats, en pleine paix, marchent en bataille, travaillent aux tranchées, et se lassent à des labeurs superflus pour se fortifier aux nécessaires. Où il y a trop de colère, il n'y a jamais assez de jugement. Puisque vous avez eu des valets, vous avez eu des ennemis. C'est le mal ordinaire des grands de penser être aimés de ceux qu'ils n'aiment point, et croire que pour acquérir des amis, ce soit assez de les obliger. Le principal office de la sagesse, et sa marque la plus évidente, c'est que les uvres ne démentent ne point les paroles, et qu'en toutes occurrences, un homme se trouvé toujours égal à soi. Il n'y a personne qui sorte riche du ventre de sa mère : quiconque vient au monde, il faut qu'il se contentE d'un peu de lait pour sa nourriture, et d'un morceau de drap pour son habillement ; et cependant, de si petits commencements viennent ces ambitions disproportionnées à qui les royaumes entiers ne sont pas encore assez. La vertu nous rend immortels, et non les biens de la fortune. Nous serons un jour couverts d'une profonde épaisseur de siècles qui tomberont sur nous ; il y aura quelques esprits qui lèveront la tête, et longtemps disputeront la conservation de leur mémoire, mais à la fin ils succomberont eux-mêmes, et, comme les autres, seront noyés en l'abîme d'un silence perpétuel. Tous ceux que la fortune produit à la vue du monde, et que les rois font les pièces principales de leur État, sont honorés, et leurs maisons fréquentées tandis qu'ils vivent ; mais ils n'ont pas sitôt fermé les yeux qu'on n'en parle plus. Le moyen d'échapper aux occupations publiques, c'est d'en mépriser les honneurs et les récompenses. Nous entrons au monde meilleurs que nous en sortons. Quand un vaisseau se brise, ceux qui se jettent à la nage ne se chargent point de leurs hardes. Le bien vivre est si facile que tout le monde le peut faire, et le vivre longuement si difficile, qu'il n'y a pas un qui puisse ajouter une heure seulement à son dernier jour. La vraie joie consiste en la bonne conscience, au mépris des vanités, des choses casuelles, et en un règlement de vie uniforme. Il ne suffit pas de rire pour être joyeux ; il faut que l'âme soit gaie, en bonne assiette, et si relevée que toutes choses demeurent au-dessous d'elle. C'est mal vivre que de commencer toujours à vivre. Il en est qui commencent de vivre quand il est temps de cesser ; il y en a qui cessent de vivre, et n'avaient pas encore commencé. Chaque jour emporte une partie de notre vie, et la dernière heure n'est pas. celle qui fait la mort mais qui l'accomplit. La prison ne fît point taire Socrate : on lui donna le moyen de se sauver ; mais il n'en voulut rien faire, et demeura pour apprendre aux hommes le mépris de deux choses qu'ils appréhendent le plus : la mort et la prison. Nous ne sommes guère moins enfants que les enfants mêmes : ceux qu'ils aiment le plus, qu'ils ont le plus accoutumé à voir tous les jours, leur font peur quand ils sont masqués. Les choses ont leur masque aussi bien que les hommes ; il le leur faut ôter, et les regarder en leur visage naturel. Chacun se laisse emporter, les sots et les poltrons, comme les galants et les braves : ceux-ci pour avoir trop de cur, et ceux-là pour n'en avoir point. La nuit presse le jour, le jour la nuit ; l'été, l'automne , l'hiver et le printemps, sont le commencement et la fin les uns des autres. Tout se passe, mais c'est pour revenir ; je ne vois rien que je n'aie vu, je ne fais rien que je n'aie fait. La solitude ne nous persuade jamais que du mal. La vieillesse affaiblit le corps et fortifie l'âme, en la délivrant des vices. Ce ne sont ni les disputes, ni les discours profonds , ni les préceptes de philosophie, qui font paraître la force de l'âme ; bien souvent ceux qui ont le courage plus bas ont le langage plus haut. C'est à rendre l'esprit qu'on voit ce qu'un homme a dans le cur. Regardez quel âge vous avez, et vous aurez honte d'avoir les mêmes volontés et les mêmes desseins que vous aviez quand vous étiez encore enfant. Connaître sa faute, c'est être en voie d'amendement ; car qui ne pense point faillir ne saurait vouloir qu'on le reprenne. La vieillesse est une maladie sans remède. La nécessité de mourir doit ôter l'appréhension de la mort. Quelque lâche et timide que soit un homme, quand il voit la mort présente, il se dispose à ne vouloir point éviter ce qui n'est point évitable. A la jeunesse succède la vieillesse, à la vieillesse la mort. Qui ne veut point mourir serait content de n'avoir point vécu La mort est la condition de la vie : quand on nous donne l'une, on nous permet l'autre. Il n'est point de bien sans vertu, ni de mal sans vice. Tout le bien que peut avoir un homme, c'est de s'assurer de soi-même ; et en cela seul est la cause et l'établissement de la félicité. Les belles âmes se nourrissent au labeur. Ce n'est rien que de ne refuser point le travail, il le faut chercher. Pour faire jugement d'un grand personnage, comme d'une belle femme, il faut tout voir. Un arbre, quelque grand qu'il soit, n'est point admirable en une forêt toute de même hauteur. La constance est la marque d'un homme sage. Ce ne serait guère d'honneur à un vieillard d'apprendre à lire : il faut acquérir quand on est jeune, pour jouir quand on est vieil. Les choses cessent, elles ne périssent point. La mort même, qui nous est si formidable, et que nous fuyons avec tant de soin, ne nous ôte point la vie, mais seulement lui donne quelque intermission. Le péché ne va jamais sans pénitence et sans douleur. Il est de notre esprit comme de la flamme : il s'élève toujours en haut, et peut aussi peu descendre que reposer. Le grand flux de bouche a plus du charlatan qui veut arrêter le monde à son banc, que de l'homme d'honneur qui traite quelque chose de grave, et se propose l'instruction de ceux qui l'écoutent. La modestie est aussi requise au langage d'un homme d'honneur, comme en son allure. La selle de velours et le mors doré ne font point la bonté d'un cheval. La faiblesse, en beaucoup de gens, cache les vices. Il n'est point de serpents si venimeux qu'on nepuisse manier sûrement, tandis qu'ils sont roides de froid. La grandeur n'a point de certaine mesure ; c'est la comparaison qui l'accroît ou la diminue : un bateau, grand sur une rivière, est petit sur la mer. Vous ne trouverez pas un homme seul qui pût vivre à porte ouverte. Les portiers sont de l'invention de notre conscience ; ce n'est point la magnificence qui nous a sollicités de les avoir. Nous vivons d'une façon que nous sommes surpris si nous sommes vus sans y penser. Le plus pauvre a autant de prédécesseurs que le plus riche : il n'y a homme de qui la première origine ne soit au delà de toute mémoire. Platon dit qu'il n'y a point de valet qui ne soit de race de rois, ni de roi qui ne soit de race de valets : tout se bigarre de cette façon avec le temps. Un homme à qui on demande s'il a des cornes, n'est pas si mal avisé que de se porter la main au front pour savoir ce qui en est, ni si grossier qu'il ne sache bien qu'il n'en a point. Quand nous ne ferions autre chose qu'y penser, la vie nous devancerait toujours. Combien pensez-vous qu'il y eut d'hommes de bonne maison, et qui, par le service qu'ils faisaient à la guerre, s'acheminaient à la qualité de sénateur, qu'en la défaite de Varus la fortune fit descendre à des services indignes, et rendit les uns bergers, et les autres gardiens de quelque loge au milieu des champs ? Et puis, méprisez un homme pour être en un état où vous pouvez être réduit. Vivez avec vos inférieurs, comme vous voulez que vos supérieurs vivent avec vous. Ne voyez-vous pas comme nos pères ont reconnu qu'il y avait trop d'envie au nom de maître, et trop d'injure au nom de serviteur ? Ils appelaient le maître père de famille ; et quand ils voulaient signifier Ies serviteurs, ils disaient ceux de la maison. Il dépend de nous d'être ou bons ou mauvais ; mais d'être employés à une chose ou à l'autre, cette distinction appartient à la fortune. Où il y a de la crainte, il ne peut y avoir de l'amour. Le déguisement est la chose du monde la moins convenable aux mouvements d'une belle âme, et la plus indigne de ses desseins généreux et relevés. Il est des fautes que nous imputons aux lieux ou aux temps, ne prenant pas garde que rien n'en est cause que nos vices, qui nous accompagnent en quelque part que nous allions. Que sert de se flatter ? Notre mal ne vient point de dehors ; il est dans nous, nous l'avons au sein : et de cette ignorance d'être malade vient la difficulté principale de nous guérir. Il n'est point de sage qui n'ait été fol. Il faut apprendre les vertus et désapprendre les vices. Les meilleures mains pour les armes sont celles qui ont tenu le manche de la charrue. Vous connaîtrez un méchant au rire : il n'est point d'imperfections qui n'aient des marques extérieures qui les découvrent. Si l'éloquence n'apprend à vivre plutôt qu'à parler, il y a plus de danger que de profit à l'écouter. C'est une marque d'être sage que de confesser qu'on a été fol. Il n'y a point de repos que celui qui vient de la raison. La nuit n'ôte point les ennuis : au contraire, elle les fait naître, et ne guérit point nos inquiétudes, mais leur donne seulement une autre forme. Les songes de ceux qui dorment ne sont pas moins turbulents que les occupations de ceux qui sont éveillés. L'immortalité n'a point d'exception ; et le privilège des choses éternelles, c'est qu'il n'y a rien qui puisse les offenser. Nos corps sont emportés comme l'eau d'une rivière ; tout court avec le temps. Quand nous sommes gens de bien, nous avons du plaisir d'être avec nous. Nous ne sommes point tristes pour nous, mais pour autrui. Nos douleurs ont une vanité comme nos autres actions. La pesanteur du corps est le supplice de l'âme. Le corps , quelque laid qu'il soit, n'est jamais sans grâces quand il est accompagné d'un bel esprit. Toute vertu a sa mesure, et toute mesure ses bornes. Les uvres de la vertu sont hors de toute juridiction : rien ne les peut ni forcer ni vaincre. Que la fortune les manie doucement ou rudement, comme il lui plaira, c'est tout un. Personne n'aime son pays parce qu'il est grand, mais parce que c'est son pays. Un soldat qui sans peur aura été en garde hors de la tranchée, en une nuit que l'ennemi n'aura point donné d'alarme, peut bien être aussi brave que celui qui après avoir eu les jarrets coupés, aura combattu sur les genoux, et ne se sera jamais voulu rendre. Une vie hors de toute appréhension, et qui n'a jamais contesté contre la fortune, est une mer morte. La plus belle et la plus excellente chose du monde, c'est la vertu, et jamais les choses ne peuvent être que bonnes et désirables quand elles se font par son commandement. Les vices ne se font point servir sans payer ; mais auprès de la vertu, chacun vit à ses dépens et sur sa bourse. Nous sommes continuellement en appréhension de la mort ; semblables à ces vieux locataires que la longueur du temps a tellement acoquinés en une maison, que quelques incommodités qu'ils y reçoivent, il leur est impossible d'en vouloir partir. La première chose que doit faire un homme qui veut tirer une flèche, c'est de savoir ce qu'il veut frapper. La vertu qui dompte la mauvaise fortune est celle même qui règle la bonne. Tout ce que nous voyons se promener sur nos têtes, et ce que nous foulons sous nos pieds, se diminue chaque jour de quelque chose, et à la fin doit cesser entièrement. C'est le vice ordinaire de toute ambition, de ne regarder jamais derrière soi ; et non-seulement de l'ambition, mais de toutes cupidités, parce qu'elles commencent toujours par la fin. De deux hommes de bien le plus riche n'est pas le meilleur ; non plus que de deux pilotes, qui sont aussi bons l'un que l'autre, vous ne direz pas que celui-là soit le plus suffisant, qui a le plus grand et le plus beau vaisseau. Les vrais biens solides et non périssables sont ceux que la raison nous donne ; les autres ne sont biens que par opinion. Le futur est absent comme lepassé : nous ne sentons ni l'un ni l'autre. Or, où il n'y a point de sentiment, il n'y peut avoir de douleur. Quiconque est à soi, peut dire qu'il possède le plus précieux et le plus inestimable bien qui soit au monde. Les biens de fortune nous arrivent sans y penser, mais la sagesse ne vient point sans travail. Puisque c'est la raison seule qui rend l'homme parfait, c'est elle seule qui par sa perfection le rend heureux. Un voyage est imparfait jusqu'à ce que vous soyez où vous vous êtes proposé d'aller ; mais en quelque lieu que la vie s'arrête, elle est parfaite, si elle est vertueuse. Les déguisements n'ont rien de solide ; la mensonge n'est jamais bien épaisse. Vous n'en sauriez approcher si peu, que vous n'y voyiez le jour à travers. L'esprit, à l'exemple du corps se fortifie par l'exercice des vertus. Un homme de bien met au bienfait plus qu'il n'y a, et moins à l'injure. C'est un abus d'être plus joyeux en recevant un bienfait qu'en le rendant. Comme le payer est plus agréable que l'emprunter, par la même raison nous devons être plus aises de rendre une courtoisie que de la recevoir. On s'abuse de penser que la fortune ait les mains longues : elle les a courtes, et si courtes qu'elle ne frappe que ceux qui se trouvent auprès d'elle. Que nous sert de nous cacher des hommes, puisqu'il n'est rien qui ne soit découvert à Dieu ? Si nous avons quelque
imperfection, En beau temps, tout le monde est pilote. Il n'y a si vieil arbre qui ne se puisse transplanter. Quand on étiquette le sac d'argent, on n'y met point le prix du sac : il ne se parle que de l'argent qui est dedans. Il en est de même de ceux qui sont riches ; ils ne sont que les accessoires et les dépendances de leurs revenus. L'herbe répond à la graine : ce qui est bon ne peut dégénérer. Les biens nous donnent de la générosité ; les richesses nous donnent de l'insolenee,qui n'est qu'une générosité contrefaite. De toutes les bouteilles vides qui sont au monde, il n'y a pas moyen d'en remplir une. Si nous nous moquons de ceux qui remplissent leurs maisons d'une infinité de meubles précieux, plutôt pour la montre que pour l'usage, que dironsnous de ceux qui font en leur esprit un ramas inutile de sciences qui ne leur servent de rien ? Étudiez non pour savoir plus de choses que les autres, mais pour en savoir de meilleures. Vous ne verrez jamais un taureau lâche et failli de cur marcher à la tête du troupeau. Le moyen de pouvoir tout ce qu'on veut, c'est de ne penser pouvoir autre chose que ce qu'on doit. C'est dans les murailles de marbre, et sous les planchers dorés qu'habite la servitude. La nouveauté donne de la pesanteur aux infortunes. La fortune commence quelquefois notre agrandissement par une injure. Nous sommes inégaux quand nous venons au monde, mais nous sommes égaux quand nous en partons. Une âme est vraiment généreuse, qui fait bien pour l'amour du bien même sans penser ailleurs, et qui, pour avoir trouvé beaucoup de méchants, ne laisse pas de chercher un homme de bien. Un bienfait survit à la chose donnée. Fuyons l'ingratitude comme le plus grand crime qui se puisse commettre ; supportons-la comme la plus petite injure que nous puissions recevoir. Un plaisir qu'on fait à tout le monde n'oblige personne. Il y a de l'ingratitude à remercier sans témoins. Qui prie achète bien ce qu'il reçoit : ç'a toujours été l'opinion des gens d'honneur, qu'il n'y a rien de mieux vendu que ce que les prières font obtenir. Celui qui donne tôt, donne avec affection : aussi lui voyez-vous paraître le cur au visage, et sa façon riante donne un témoignage indubitable du contentement qu'il a de faire plaisir. Quand tu veux faire plaisir, souviens-toi que ce que tu donnes au temps, tu l'ôtes à l'obligation. La gloire de donner ne peut être où est la nécessité de recevoir. Qui donne beaucoup à l'espérance, ne réserve guère à la mémoire. Celui qui oublie un bienfait est tellement coupable d'ingratitude, que pour être innocent il lui suffisait de n'oublier point. La vertu ne s'abaisse jamais à porter la queue ; si elle le fait, elle cesse d'être vertu. Il n'y a point de bienfait où il n'y a point de jugement, pour ce que rien n'est vertueux si le jugement ne l'accompagne. On ne saurait perdre son bien plus honteusement que de le donner mal à propos. On n'est pas toujours ingrat pour ne rendre point ; et quelquefois aussi on ne laisse pas de l'être après avoir rendu. Les ingrats ne craignent rien, pource qu'on n'a point fait de loi contre eux, avec cette opinion peut-être, que la nature y avait assez pourvu ; comme il n'y a point de loi qui commande l'amour des enfants envers les pères, ni l'indulgence des pères envers leurs enfants. L'homme est né sans armes : la société seule est le rempart de sa faiblesse, et la couverture de sa nudité. Les lois sont la défense de ceux mêmes qui les outragent le plus. La mort la plus différée n'est pas la plus heureuse, comme la vie la plus longue n'est pas la meilleure. Il faut doucement hocher la bride aux esprits, pour les faire tourner du côté qu'on veut. C'est l'intention qui distingue le bienfait de l'injure, et non pas l'événement. C'est une vanité des grands de vouloir qu'on fasse grand cas de pouvoir entrer chez eux, et d'être le plus près de leur porte, pour à l'ouverture mettre le premier pied dans une maison où il y a puis après tant d'autres portes qu'après être entré dedans, on se trouve encore dehors. L'opinion et la renommée sont choses qui nous doivent suivre, et non pas nous mener. Malherbe.
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D.R. BELAIR
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