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BIOGRAPHIE DE THÉOPHILE GAUTIER

Théophile Gautier

 

THÉOPHILE GAUTIER

(1811-1872)

 

naquit à Tarbes le 30 août 1811, mais fut élevé à Paris, place Royale. « Quoique né sur les frontières d'Espagne, écrit-il, je suis le Parisien complet. Je préfère le tableau à l'objet qu'il représente : je déteste la campagne — toujours des arbres, de la terre, du gazon ! ».

Ce goût inné de l'art pour l'art le trompa d'abord sur sa vocation : par amour des couleurs « séditieuses ,et proscrites par l'Institut : le vert véronèse, le jaune indien, la laque de Smyrne », il se crut peintre et entra comme rapin (*) chez Rioult. Il ne tarda pas à troquer sa palette pour une non moins fastueuse écritoire, sous l'influence de ses camarades de cénacle, la jeune avant-garde du romantisme, dont Gérard de Nerval (Labrunie), Augustus Mac Keat (Auguste Maquet), Philothée O'Neddy (Théophile Dondey), Napol le Pyrénéen (qui devint M. le Pasteur Napoléon Peyrat).
(*) Dans les ateliers de peinture, jeune élève que l'on chargeait des travaux les plus grossiers et des commissions.

La bataille d'Hernani, en 1830, fut leur victoire d'Austerlitz. Un court moment, le poète juvénile d'Albertus, le précoce romancier des Jeune France, réalisa, dans sa vie et dans sa personne, l'idéal d'une bohème à la fois patricienne et romantique. Puis, avant la trentaine, les nécessités quotidiennes l'assujettirent au métier de critique et de journaliste, qu'il détestait, et où il usa le meilleur de ses dons.

Mes colonnes sont alignées
Au portique du feuilleton,
Elles supportent, résignées.
Du journal le pesant fronton.

dit-il tristement dans Émaux et Camées, Après le feuilleton.

Cependant, Émaux et Camées (1852), le Roman de la Momie (1858), le Capitaine Fracasse (1863), de nombreuses et amusantes nouvelles, Les Grotesques (1843), ce chef-d'œuvre d'histoire littéraire, témoignent de la qualité « du vin de sa propre pensée ».

Publiée en 1847, Militona, la plus brillante, la plus concise de ses nouvelles, appartient à la veine heureuse du Voyage en Espagne (1843). Elle reflète le bonheur d'une nostalgie satisfaite : celle des climats ardents et de l'azur qui flamboie.

Ce rêve, comme tant d'autres, Gautier l'a peu réalisé. L'Académie lui échappa toujours.
Il était bibliothécaire de la princesse Mathilde (1820-1904, Fille de Jérôme Bonaparte, le plus jeune des frères de Napoléon) quand la guerre de 1870 éclata. Le 23 octobre 1872, elle le tua.

Théophile Gautier par Nadar

THÉOPHILE GAUTIER

PAR

COMMERSON

1854-1855

Tous les jours à  la cour un sot de qualité peut juger de travers avec impunité ; à  Malherbe, à  Bacon préférer Théophile. Sophocle.

Je ne vais pas à la cour ; — et je ne suis pas un sot de qualité. J'ai donc le droit de préférer Théophile aux Malherbe et aux Racan qui forment la petite pléiade des poètes et prosateurs de notre siècle.

Mon Théophile à  moi est le premier gondolier à  tous crins du feuilleton de la Presse et l'ex-poète solo de Tarbes, ville réputée pour son ail et pour son antiquité druidique.
Comme Atalante, Théophile Gautier a été nourri par une ourse qui le prit en affection et entre ses pattes, un jour qu'il était abandonné dans un chemin creux aux portes de la ville. — Cet allaitement oursicole devait plus tard réagir dans sa vie d'écrivain par la perpétration de deux petits ours qu'il fit jouer dans la tanière des Variétés, sous les titres : le Tricorne enchanté et le Voyage en Espagne : Cornac, don Alphonse Siraudin.

Mais n'anticipons pas.

Théophile Gautier est né en 1811, un peu avant la comète. Il acheva ses humanités à  Charlemagne, où il se lia bientôt avec Gérard de Nerval, son copain et son collaborateur le plus actif. Il a fait ses classes ; son père les balayait.

Gautier n'est devenu poète que par accident, un jour qu'il n'avait rien à  faire. Tous ses instincts le portèrent d'abord à  être peintre. Peu soucieux des classes de Charlemagne, il alla étudier l'art plastique dans les musées et finit par entrer rapin chez le peintre Rioult. Il peignait assez bien pour un poète et ne poétisait pas mal pour un peintre. Il avait en tête une foule de tableaux superbes mais en dépit de ses efforts, dit Eugène, né à  Mirecourt, il n'enfantait que des croûtes. — Il prit la plume et laissa reposer son pinceau. Il essaya de rimer quelques strophes modestes et les lut à  ses amis. L'une d'elles se terminait ainsi :

D'ailleurs je te dirai que Rioult, mon maître, fait
Un tableau qui, je crois, sera d'un grand effet.

Comme c'est simple et comme cela promettait déjà  ! ...

Comme on sent dans ces deux vers la poésie de la jeunesse, et ce qu'il y a de jeunesse dans cette poésie qu'il a répandue à profusion dans ses œuvres charmantes !

Je ne puis résister au plaisir d'extraire une strophe d'Albertus, l'un de ses premiers ouvrages poétiques, dans lequel l'auteur nous apprend qu'il est maigre, qu'il aime les chats, les grands cheveux et le cassis :

L'orfraie à  la rumeur sourde de la tempête
Mêle ses cris ; le toit craque, la bûche pète ;
La tlamme tourbillonne et dans un grand chaudron
Rempli jusques aux bords d'une eau puante et noire,
On entend résonner coquemare et bouilloire
Et le matou qui fait ron-ron.

En ce temps-là , c'était en 1831, on arrêtait M. Théophile Gautier au coin des rues pour lui voler ses idées. Aujourd'hui que l'esprit est au rabais, que le génie se vend au-dessous du cours, et que la gloire court les rues (aussi est-elle un peu crottée !...), M. Théophile est moins en danger de vol, il rentre chez lui plus tranquillement, et peut tâter plus à  son aise de l'apothéose avant sa mort, pour jouir de l'immortalité en bon vivant.

Il excelle surtout dans le genre descriptif. Les poésies de Victor Hugo ne sont que des tragédies de l'Odéon comparées à celles-ci.

C'est Faust dans sa Comédie de la mort qui parle :

J'ai plongé dans la mer sous le dême des ondes ;
Les grands poissons jetaient leurs ombres vagabondes
Jusques au fond des eaux,
Le viatan fouettait les ondes de sa queue ;
Les syrènes peignaient leur chevelure bleue
Sur leurs bancs de coraux.

Voyez comme il aime le poisson et comme il paraît heureux de pouvoir le désigner par son nom !

Admirez cette poésie poissonnière :

La seiche horrible à  voir, le requin , l'orque énorme,
Le squale le narval, le cétacé diflforme
Roulaient leurs gros yeux verts.
Mais je suis remonté, car je manquais d'haleine.
C'est un manteau bien lourd pour une épaule humaine
Que le manteau des mers !!...

D'autant plus lourd qu'il était froid ; car le narval, qu'on ne voit que dans la mer Glaciale, se trouvait là  avec ses camarades des mers du Sud, uniquement pour jouir de l'insigne honneur d'être passé en revue par Théophile. — Remarquez-vous comme moi que le requin, l'orque énorme, d'ordinaire si canailles envers les voyageurs, n'ont pas osé manger un poète de la force de Théophile, comme ils l'eussent fait d'un simple passage i tombé à  la rner ! ...

Sur le plancher des vaches, Théophile n'en est pas moins descriptif et amusant. Voyez comme sa verve poétique s'égaye aux dépens de ces vieux Chabert qui vont le 5 mai à  la colonne Vendôme :

Un plumet énervé palpite
Sur leurs colbacks fauves et pelés ;
Près du trou de balle, la mite
A rongé leurs dolmans criblés !
Leurs culottes de peau trop larges
Font mille plis sur leurs fémurs ;
Leurs sabres rouilles, lourdes charges,
Embarrassent leurs pieds peu sûrs.

Théophile Gautier, en fait de style, s'est surtout préoccupé de la forme et du contour, il s'est mis à  la recherche des mots qui lui semblaient le mieux faits pour peindre les objets extérieurs. Il a créé le style technologique approprié à  la charpente, à  la serrurerie, à  la menuiserie, à  la clouterie, aux beaux-arts et à  l'arboriculture en faisant la chasse aux vocables de toute espèce et en se fabriquant pour son usage personnel un glossaire opulent, une caisse d'épargne de mots au moyen desquels il donne à  son style l'originalité qu'il ambitionne. — Pour moi, Théophile est un des principaux chefs de l'école coloriste, le Raphanel de la littérature actuelle ; le chromo-duro-phane de la pensée, et le siccatif brillant (plus de frottage ! ) du style coloré.
C'est un metteur en couleur habile, et j'avoue que,pour ma part, je n'hésiterais pas le moins du monde à  consulter Gautier, si j'avais un sonnet à  faire ou une chambre à  mettre en couleur.

Si quelquefois il n'est pas généreux envers le pauvre artiste qui cherche à  grignoter de piètres appointements à  la dernière lueur de son talent qui lui reste, son style lui fait pardonner les imperfections de son cœur. Voici ce qu'il écrivait un jour sur cette pauvre Flore, qui jouait le rêle de la Fille terrible :

« Sa figure ressemble à  ces dieux décrépits et vieillots des pagodes indiennes, son cou à  un morceau de parchemin, et sa gorge à  un baquet de colle renversé. »

Vous aurez beau dire, c'est fort drôle. On est tenté de prendre Flore en grippe, et l'on résiste avec peine au désir d'embrasser Théophile, après ces lignes aussi courageuses que coloriées.

J'avoue aussi que je ne partage pas l'opinion émise par un poète assermenté près le Tintamarre qui, à  l'apparition de cette appréciation de la pauvre Flore, fît paraître cette épitaphe :

Ci-gît un grand fantaisiste,
Ou plutêt un fier aiglon,
Poète et feuilletoniste,
Chevelu comme Absalon...
On le vit, dans mainte strophe,
Exalter la cachucha ;
Sa plume était chocnosophe,
Et ses goûts ceux d'un pacha.
Sa prose assez médiocre
Sentait le cinabre et l'ocre,
H ne put prendre sur lui
D'être de l'avis d'autrui...
Hernani le compta parmi ses chauds apôtres...
De lui-même on le vit se moquer fréquemment...
C'est en ce point seulement
Qu'il fut de l'avis des autres.

Théophile eut des admirations successives pour Mlles Ozy et Carlotta Grisi, et pour les romans emplâtres de Mme de Girardin.

Je ne parlerai pas des affreuses obscénités de Mademoiselle de Maupin ; depuis longtemps Théophile a jeté, lui-même, de la cendre dessus pour nettoyer la place qu'elle avait maculée. — Il s'occupe aujourd'hui de la vertu dans ses moments d'oisiveté ; malheureusement il est très occupé au journal de M. de Girardin, et il ne flâne presque jamais.

Je ne reconnais que deux torts graves à  Théophile : 1° il possède l'infirmité littéraire du calembour ; 2° il a commis la Juive de Comtantine, où Epiménide n'eût jamais si bien dormi qu'à  la première représentation de cette œuvre. — A part cela, Gautier est mon homme ; il me va.

Gautier eut des destinées errantes comparables à  celles d'Ulysse. Mais pendant ses voyages, il ne laissa jamais la moindre Pénélope en butte aux obsessions des amoureux. — Il quitta donc la France et alla en Espagne, en Angleterre et à  Constantinople.

A propos de Constantinople, encore quelques citations de son style empourpré par le radieux soleil d'Orient. Je m'en empare avec transport, et je m'empresse d'en faire part à  mes amis et connaissances, à  tous les vrais admirateurs de l'art et du style coloré.

ÉTUDE DE STYLE CONTEMPORAIN.

La fille de mon hôtesse, quoique vêtue d'un peignoir rose à  l'européenne, roulait, sous un masque pâle serti dans les cheveux noirs d'un ton mat, des yeux langoureusement asiatiques ; une jeune servante grecque, fort jolie sous le petit mouchoir tortillé autour de sa tête, et une sorte de Jocrisse des Cyclades, complétaient le personnel de la maison, et lui donnaient une espèce de couleur orientale.

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Au milieu de la rue, une lice rogneuse allaitait ses petits d'un air fier.

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Çà et là, des vaches cherchent quelques maigres brins d'herbe, et paissent, au lieu de verdure, des quartiers de savates et des morceaux de vieux chapeaux.

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Un pauvre petit âne aux oreilles flasques, aux flancs maigres et saigneux.

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De vieilles mendiantes, assises sur leurs cuisses plates reployées comme des articulations de sauterelle, tendaient piteusement vers moi, hors d'un feredgé en haillons, leurs mains de momie démaillotée ; leurs yeux de chouette tachaient de deux trous bruns la loque de mousseline, bossuée par l'arqûre de leur bec d'oiseau de proie, et jetée comme un suaire sur leur visage hideux.

J'en passe et des meilleures.

La littérature lui doit en outre le Ballet de Giselle et la Péri, dont les succès ont été étourdissants.

Théophile n'a jamais aimé d'amour que les tulipes bleues de M. Alfred de Musset. — On a dit qu'il avait été le Gautier d'Aulnay de Mlle Ernesta Grisi. C'est un bruit qu'on a fait courir. La preuve qu'il n'en est rien, c'est qu'il n'a pas encore été assassiné.

Jean Louis Auguste Commerson (1802-1879), Biographie comique, Les Binettes contemporaines, 1854-1855.

 


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