ÉMAUX ET
CAMÉES
PAR
THÉOPHILE
GAUTIER
1852
Préface
Affinités Secrêtes
Le Poème de la Femme
Étude de Mains
Variations sur le Carnaval de Venise
Symphonie en Blanc Majeur
Coquetterie Posthume
Diamant du cur
Premier Sourire du Printemps
Contralto
Cærulei Oculi
Rondalla
Nostalgies d’Obélisques
Vieux de la vieille. 15 décembre
Tristesse en mer
À une Robe rose
Le Monde méchant
Inès de las Sierras. À la Petra Camara
Odelette anacréontique
Fumée
Apollonie
L'Aveugle
Lied
Fantaisies d'hiver
|
La Source
Bûchers et tombeaux
Le souper des armures
La montre
Les Néréides
Les Accroche-curs
La rose-thé
Carmen
Ce que disent les hirondelles. Chanson d'automne
Noël
Les joujoux de la morte
Après le feuilleton
Le château du souvenir
Camélia et paquerette
La fellah. Sur une aquarelle de la princesse M..
La mansarde
La nue
Le merle
La fleur qui fait le printemps
Dernier voeu
Plaintive tourterelle
La bonne soirée
L'art
|
PRÉFACE
Pendant les guerres
de l'empire
Goethe, au bruit du canon brutal
Fit le Divan occidental,
Fraîche oasis où l'art respire.
Pour Nisami quittant
Shakspeare
Il se parfuma de santal
Et sur un mètre oriental
Nota le chant qu'Hudhud soupire.
Comme Goethe sur
son divan
A Weimar s'isolait des choses
Et d'Hafiz effeuillait les roses
Sans prendre garde
à l'ouragan
Qui fouettait mes vitres fermées
Moi, j'ai fait Émaux et Camées.
AFFINITÉS
SECRÈTES
MADRIGAL
PANTHÉISTE
Dans le fronton d'un
temple antique
Deux blocs de marbre ont, trois mille ans
Sur le fond bleu du ciel attique
Juxtaposé leurs rêves blancs
Dans la même
nacre figées
Larmes des flots pleurant Vénus
Deux perles au gouffre plongées
Se sont dit des mots inconnus
Au frais Généralife
écloses
Sous le jet d'eau toujours en pleurs
Du temps de Boabdil, deux roses
Ensemble ont fait jaser leurs fleurs
Sur les coupoles
de Venise
Deux ramiers blancs aux pieds rosés
Au nid où l'amour s'éternise
Un soir de mai se sont posés.
Marbre, perle, rose,
colombe
Tout se dissout, tout se détruit
La perle fond, le marbre tombe
La fleur se fane et l'oiseau fuit.
En se quittant, chaque
parcelle
S'en va dans le creuset profond
Grossir la pâte universelle
Faite des formes que Dieu fond.
Par de lentes métamorphoses
Les marbres blancs en blanches chairs
Les fleurs roses en lèvres roses
Se refont dans des corps divers.
Les ramiers de nouveau
roucoulent
Au cur de deux jeunes amants
Et les perles en dents se moulent
Pour l'écrin des rires charmants.
De là naissent
ces sympathies
Aux impérieuses douceurs
Par qui les âmes averties
Partout se reconnaissent soeurs.
Docile à l'appel
d'un arome
D'un rayon ou d'une couleur
L'atome vole vers l'atome
Comme l'abeille vers la fleur.
L'on se souvient
des rêveries
Sur le fronton ou dans la mer
Des conversations fleuries
Près de la fontaine au flot clair
Des baisers et des
frissons d'ailes
Sur les dômes aux boules d'or
Et les molécules fidèles
Se cherchent et s'aiment encor.
L'amour oublié
se réveille
Le passé vaguement renaît
La fleur sur la bouche vermeille
Se respire et se reconnaît.
Dans la nacre où
le rire brille
La perle revoit sa blancheur
Sur une peau de jeune fille
Le marbre ému sent sa fraîcheur.
Le ramier trouve
une voix douce
Écho de son gémissement
Toute résistance s'émousse
Et l'inconnu devient l'amant.
Vous devant qui je
brûle et tremble
Quel flot, quel fronton, quel rosier
Quel dôme nous connut ensemble
Perle ou marbre, fleur ou ramier ?
LE POÈME
DE LA FEMME
MARBRE
DE PAROS
Un jour, au doux
rêveur qui l'aime
En train de montrer ses trésors
Elle voulut lire un poëme
Le poëme de son beau corps.
D'abord, superbe
et triomphante
Elle vint en grand apparat
Traînant avec des airs d'infante
Un flot de velours nacarat :
Telle qu'au rebord
de sa loge
Elle brille aux Italiens
Ecoutant passer son éloge
Dans les chants des musiciens.
Ensuite, en sa verve
d'artiste
Laissant tomber l'épais velours
Dans un nuage de batiste
Elle ébaucha ses fiers contours.
Glissant de l'épaule
à la hanche
La chemise aux plis nonchalants
Comme une tourterelle blanche
Vint s'abattre sur ses pieds blancs.
Pour Apelle ou pour
Cléomène
Elle semblait, marbre de chair
En Vénus Anadyomène
Poser nue au bord de la mer.
De grosses perles
de Venise
Roulaient au lieu de gouttes d'eau
Grains laiteux qu'un rayon irise
Sur le frais satin de sa peau.
Oh ! quelles ravissantes
choses
Dans sa divine nudité
Avec les strophes de ses poses
Chantait cet hymne de beauté !
Comme les flots baisant
le sable
Sous la lune aux tremblants rayons
Sa grâce était intarissable
En molles ondulations.
Mais bientôt,
lasse d'art antique
De Phidias et de Vénus
Dans une autre stance plastique
Elle groupe ses charmes nus.
Sur un tapis de Cachemire
C'est la sultane du sérail
Riant au miroir qui l'admire
Avec un rire de corail
La Géorgienne
indolente
Avec son souple narguilhé
Etalant sa hanche opulente
Un pied sous l'autre replié.
Et comme l'odalisque
d'Ingres
De ses reins cambrant les rondeurs
En dépit des vertus malingres
En dépit des maigres pudeurs !
Paresseuse odalisque,
arrière !
Voici le tableau dans son jour
Le diamant dans sa lumière
Voici la beauté dans l'amour !
Sa tête penche
et se renverse
Haletante, dressant les seins
Aux bras du rêve qui la berce
Elle tombe sur ses coussins.
Ses paupières
battent des ailes
Sur leurs globes d'argent bruni
Et l'on voit monter ses prunelles
Dans la nacre de l'infini.
D'un linceul de point
d'Angleterre
Que l'on recouvre sa beauté :
L'extase l'a prise à la terre
Elle est morte de volupté !
Que les violettes
de Parme
Au lieu des tristes fleurs des morts
Où chaque perle est une larme
Pleurent en bouquets sur son corps !
Et que mollement
on la pose
Sur son lit, tombeau blanc et doux
Où le poète, à la nuit close
Ira prier à deux genoux.
ÉTUDE DE
MAINS
I
IMPERIA
Chez un sculpteur,
moulée en plâtre
J'ai vu l'autre jour une main
D'Aspasie ou de Cléopâtre
Pur fragment d'un chef-d'oeuvre humain
Sous le baiser neigeux
saisie
Comme un lis par l'aube argenté
Comme une blanche poésie
S'épanouissait sa beauté.
Dans l'éclat
de sa pâleur mate
Elle étalait sur le velours
Son élégance délicate
Et ses doigts fins aux anneaux lourds.
Une cambrure florentine
Avec un bel air de fierté
Faisait, en ligne serpentine
Onduler son pouce écarté.
A-t-elle joué
dans les boucles
Des cheveux lustrés de don Juan
Ou sur son caftan d'escarboucles
Peigné la barbe du sultan
Et tenu, courtisane
ou reine
Entre ses doigts si bien sculptés
Le sceptre de la souveraine
Ou le sceptre des voluptés ?
Elle a dû,
nerveuse et mignonne
Souvent s'appuyer sur le col
Et sur la croupe de lionne
De sa chimère prise au vol.
Impériales
fantaisies
Amour des somptuosités
Voluptueuses frénésies
Rêves d'impossibilités
Romans extravagants,
poèmes
De haschisch et de vin du Rhin
Courses folles dans les bohèmes
Sur le dos des coursiers sans frein
On voit tout cela
dans les lignes
De cette paume, livre blanc
Où Vénus a tracé des signes
Que l'amour ne lit qu'en tremblant.
II
LACENAIRE
Pour contraste, la
main coupée
De Lacenaire l'assassin
Dans des baumes puissants trempée
Posait auprès, sur un coussin.
Curiosité
dépravée !
J'ai touché, malgré mes dégoûts
Du supplice encor mal lavée
Cette chair froide au duvet roux.
Momifiée et
toute jaune
Comme la main d'un pharaon
Elle allonge ses doigts de faune
Crispés par la tentation.
Un prurit d'or et
de chair vive
Semble titiller de ses doigts
L'immobilité convulsive
Et les tordre comme autrefois.
Tous les vices avec
leurs griffes
Ont, dans les plis de cette peau
Tracé d'affreux hiéroglyphes
Lus couramment par le bourreau.
On y voit les oeuvres
mauvaises
Ecrites en fauves sillons
Et les brûlures des fournaises
Où bouillent les corruptions
Les débauches
dans les Caprées
Des tripots et des lupanars
De vin et de sang diaprées
Comme l'ennui des vieux Césars !
En même temps
molle et féroce
Sa forme a pour l'observateur
Je ne sais quelle grâce atroce
La grâce du gladiateur !
Criminelle aristocratie
Par la varlope ou le marteau
Sa pulpe n'est pas endurcie
Car son outil fut un couteau.
Saints calus du travail
honnête
On y cherche en vain votre sceau.
Vrai meurtrier et faux poète,
Il fut le Manfred du ruisseau !
VARIATIONS SUR
LE CARNAVAL DE VENISE
I
DANS
LA RUE
Il est un vieil air
populaire
Par tous les violons raclé
Aux abois des chiens en colère
Par tous les orgues nasillé.
Les tabatières
à musique
L'ont sur leur répertoire inscrit
Pour les serins il est classique
Et ma grand mère, enfant, l'apprit.
Sur cet air, pistons,
clarinettes
Dans les bals aux poudreux berceaux
Font sauter commis et grisettes
Et de leurs nids fuir les oiseaux.
La guinguette, sous
sa tonnelle
De houblon et de chèvrefeuil
Fête, en braillant la ritournelle
Le gai dimanche et l'argenteuil.
L'aveugle au basson
qui pleurniche
L'écorche en se trompant de doigts
La sébile aux dents, son caniche
Près de lui le grogne à mi-voix.
Et les petits guitaristes
Maigres sous leurs minces tartans
Le glapissent de leurs voix tristes
Aux tables des cafés chantants.
Paganini, le fantastique
Un soir, comme avec un crochet
A ramassé le thème antique
Du bout de son divin archet
Et, brodant la gaze
fanée
Que l'oripeau rougit encor
Fait sur la phrase dédaignée
Courir ses arabesques d'or.
II
SUR
LES LAGUNES
Tra la, tra la,
la, la, la laire !
Qui ne connaît pas ce motif ?
A nos mamans il a su plaire
Tendre et gai, moqueur et plaintif :
L'air du Carnaval
de Venise
Sur les canaux jadis chanté
Et qu'un soupir de folle brise
Dans le ballet a transporté !
Il me semble, quand
on le joue
Voir glisser dans son bleu sillon
Une gondole avec sa proue
Faite en manche de violon.
Sur une gamme chromatique
Le sein de perles ruisselant
La Vénus de l'Adriatique
Sort de l'eau son corps rose et blanc.
Les dômes,
sur l'azur des ondes
Suivant la phrase au pur contour
S'enflent comme des gorges rondes
Que soulève un soupir d'amour.
L'esquif aborde et
me dépose
Jetant son amarre au pilier
Devant une façade rose
Sur le marbre d'un escalier.
Avec ses palais,
ses gondoles
Ses mascarades sur la mer
Ses doux chagrins, ses gaîtés folles
Tout Venise vit dans cet air.
Une frêle corde
qui vibre
Refait sur un pizzicato
Comme autrefois joyeuse et libre
La ville de Canaletto !
III
CARNAVAL
Venise pour le bal
s'habille.
De paillettes tout étoilé
Scintille, fourmille et babille
Le carnaval bariolé.
Arlequin, nègre
par son masque
Serpent par ses mille couleurs
Rosse d'une note fantasque
Cassandre son souffre-douleurs.
Battant de l'aile
avec sa manche
Comme un pingouin sur un écueil
Le blanc Pierrot, par une blanche
Passe la tête et cligne l'oeil.
Le Docteur bolonais
rabâche
Avec la basse aux sons traînés
Polichinelle, qui se fâche
Se trouve une croche pour nez.
Heurtant Trivelin
qui se mouche
Avec un trille extravagant
A Colombine Scaramouche
Rend son éventail ou son gant.
Sur une cadence se
glisse
Un domino ne laissant voir
Qu'un malin regard en coulisse
Aux paupières de satin noir.
Ah ! fine barbe de
dentelle
Que fait voler un souffle pur
Cet arpège m'a dit : C'est elle !
Malgré tes réseaux, j'en suis sûr
Et j'ai reconnu,
rose et fraîche
Sous l'affreux profil de carton
Sa lèvre au fin duvet de pêche
Et la mouche de son menton.
IV
CLAIR
DE LUNE SENTIMENTAL
A travers la folle
risée
Que Saint-Marc renvoie au Lido
Une gamme monte en fusée
Comme au clair de lune un jet d'eau...
A l'air qui jase
d'un ton bouffe
Et secoue au vent ses grelots
Un regret, ramier qu'on étouffe
Par instant mêle ses sanglots.
Au loin, dans la
brume sonore
Comme un rêve presque effacé
J'ai revu, pâle et triste encore
Mon vieil amour de l'an passé.
Mon âme en
pleurs s'est souvenue
De l'avril, où, guettant au bois
La violette à sa venue
Sous l'herbe nous mêlions nos doigts.
Cette note de chanterelle
Vibrant comme 1'harmonica
C'est la voix enfantine et grêle
Flèche d'argent qui me piqua.
Le son en est si
faux, si tendre
Si moqueur, si doux, si cruel
Si froid, si brûlant, qu'à l'entendre
On ressent un plaisir mortel
Et que mon cur,
comme la voûte
Dont l'eau pleure dans un bassin
Laisse tomber goutte par goutte
Ses larmes rouges dans mon sein.
Jovial et mélancolique
Ah ! vieux thème du carnaval
Où le rire aux larmes réplique
Que ton charme m'a fait de mal !
SYMPHONIE EN BLANC
MAJEUR
De leur col blanc
courbant les lignes
On voit dans les contes du Nord
Sur le vieux Rhin, des femmes-cygnes
Nager en chantant près du bord.
Ou, suspendant à
quelque branche
Le plumage qui les revêt
Faire luire leur peau plus blanche
Que la neige de leur duvet.
De ces femmes il
en est une
Qui chez nous descend quelquefois
Blanche comme le clair de lune
Sur les glaciers dans les cieux froids
Conviant la vue enivrée
De sa boréale fraîcheur
A des régals de chair nacrée
A des débauches de blancheur !
Son sein, neige moulée
en globe
Contre les camélias blancs
Et le blanc satin de sa robe
Soutient des combats insolents.
Dans ces grandes
batailles blanches
Satins et fleurs ont le dessous
Et, sans demander leurs revanches
Jaunissent comme des jaloux.
Sur les blancheurs
de son épaule
Paros au grain éblouissant
Comme dans une nuit du pôle
Un givre invisible descend.
De quel mica de neige
vierge
De quelle moelle de roseau
De quelle hostie et de quel cierge
A-t-on fait le blanc de sa peau ?
A-t-on pris la goutte
lactée
Tachant l'azur du ciel d'hiver
Le lis à la pulpe argentée
La blanche écume de la mer
Le marbre blanc,
chair froide et pâle
Où vivent les divinités
L'argent mat, la laiteuse opale
Qu'irisent de vagues clartés
L'ivoire, où
ses mains ont des ailes
Et, comme des papillons blancs
Sur la pointe des notes frêles
Suspendent leurs baisers tremblants
L'hermine vierge
de souillure
Qui, pour abriter leurs frissons
Ouate de sa blanche fourrure
Les épaules et les blasons
Le vif-argent aux
fleurs fantasques
Dont les vitraux sont ramagés
Les blanches dentelles des vasques
Pleurs de l'ondine en l'air figés
L'aubépine
de mai qui plie
Sous les blancs frimas de ses fleurs
L'albâtre où la mélancolie
Aime à retrouver ses pâleurs
Le duvet blanc de
la colombe
Neigeant sur les toits du manoir
Et la stalactite qui tombe
Larme blanche de l'antre noir ?
Des Groenlands et
des Norvèges
Vient-elle avec Séraphita ?
Est-ce la Madone des neiges
Un sphinx blanc que 1'hiver sculpta
Sphinx enterré
par l'avalanche
Gardien des glaciers étoilés
Et qui, sous sa poitrine blanche
Cache de blancs secrets gelés ?
Sous la glace où
calme il repose
Oh ! qui pourra fondre ce cur !
Oh ! qui pourra mettre un ton rose
Dans cette implacable blancheur !
COQUETTERIE POSTHUME
Quand je mourrai,
que l'on me mette
Avant de clouer mon cercueil
Un peu de rouge à la pommette
Un peu de noir au bord de l'oeil.
Car je veux, dans
ma bière close
Comme le soir de son aveu
Rester éternellement rose
Avec du kh'ol sous mon oeil bleu.
Pas de suaire en
toile fine
Mais drapez-moi dans les plis blancs
De ma robe de mousseline
De ma robe à treize volants.
C'est ma parure préférée
Je la portais quand je lui plus.
Son premier regard l'a sacrée
Et depuis je ne la mis plus.
Posez-moi, sans jaune
immortelle
Sans coussin de larmes brodé
Sur mon oreiller de dentelle
De ma chevelure inondé.
Cet oreiller, dans
les nuits folles
A vu dormir nos fronts unis
Et sous le drap noir des gondoles
Compté nos baisers infinis.
Entre mes mains de
cire pâle
Que la prière réunit
Tournez ce chapelet d'opale
Par le pape à Rome bénit :
Je l'égrènerai
dans la couche
D'où nul encor ne s'est levé
Sa bouche en a dit sur ma bouche
Chaque Pater et chaque Ave.
DIAMANT DU CUR
Tout amoureux, de
sa maîtresse
Sur son cur ou dans son tiroir
Possède un gage qu'il caresse
Aux jours de regret ou d'espoir.
L'un d'une chevelure
noire
Par un sourire encouragé
A pris une boucle que moire
Un reflet bleu d'aile de geai.
L'autre a, sur un
cou blanc qui ploie
Coupé par derrière un flocon
Retors et fin comme la soie
Que l'on dévide du cocon.
Un troisième,
au fond d'une boîte
Reliquaire du souvenir
Cache un gant blanc, de forme étroite
Où nulle main ne peut tenir.
Cet autre, pour s'en
faire un charme
Dans un sachet, d'un chiffre orné
Coud des violettes de Parme
Frais cadeau qu'on reprend fané.
Celui-ci baise la
pantoufle
Que Cendrillon perdit un soir
Et celui-ci conserve un souffle
Dans la barbe d'un masque noir.
Moi, je n'ai ni boucle
lustrée
Ni gant, ni bouquet, ni soulier
Mais je garde, empreinte adorée
Une larme sur un papier :
Pure rosée,
unique goutte
D'un ciel d'azur tombée un jour
Joyau sans prix, perle dissoute
Dans la coupe de mon amour !
Et, pour moi, cette
obscure tache
Reluit comme un écrin d'Ophyr
Et du vélin bleu se détache
Diamant éclos d'un saphir.
Cette larme, qui
fait ma joie
Roula, trésor inespéré
Sur un de mes vers qu'elle noie
D'un oeil qui n'a jamais pleuré !
PREMIER SOURIRE
DU PRINTEMPS
Tandis qu'à
leurs oeuvres perverses
Les hommes courent haletants
Mars qui rit, malgré les averses
Prépare en secret le printemps.
Pour les petites
pâquerettes
Sournoisement lorsque tout dort
Il repasse des collerettes
Et cisèle des boutons d'or.
Dans le verger et
dans la vigne
Il s'en va, furtif perruquier
Avec une houppe de cygne
Poudrer à frimas l'amandier.
La nature au lit
se repose
Lui, descend au jardin désert
Et lace les boutons de rose
Dans leur corset de velours vert.
Tout en composant
des solfèges
Qu'aux merles il siffle à mi-voix
Il sème aux prés les perce-neiges
Et les violettes aux bois.
Sur le cresson de
la fontaine
Où le cerf boit, l'oreille au guet
De sa main cachée il égrène
Les grelots d'argent du muguet.
Sous l'herbe, pour
que tu la cueilles
Il met la fraise au teint vermeil
Et te tresse un chapeau de feuilles
Pour te garantir du soleil.
Puis, lorsque sa
besogne est faite
Et que son règne va finir
Au seuil d'avril tournant la tête
Il dit : « Printemps, tu peux venir ! »
CONTRALTO
On voit dans le musée
antique
Sur un lit de marbre sculpté
Une statue énigmatique
D'une inquiétante beauté.
Est-ce un jeune homme
? est-ce une femme
Une déesse, ou bien un dieu ?
L'amour, ayant peur d'être infâme
Hésite et suspend son aveu.
Dans sa pose malicieuse
Elle s'étend, le dos tourné
Devant la foule curieuse
Sur son coussin capitonné.
Pour faire sa beauté
maudite
Chaque sexe apporta son don.
Tout homme dit : C'est Aphrodite !
Toute femme : C'est Cupidon !
Sexe douteux, grâce
certaine
On dirait ce corps indécis
Fondu, dans l'eau de la fontaine
Sous les baisers de Salmacis.
Chimère ardente,
effort suprême
De l'art et de la volupté
Monstre charmant, comme je t'aime
Avec ta multiple beauté !
Bien qu'on défende
ton approche
Sous la draperie aux plis droits
Dont le bout à ton pied s'accroche
Mes yeux ont plongé bien des fois.
Rêve de poète
et d'artiste
Tu m'as bien des nuits occupé
Et mon caprice qui persiste
Ne convient pas qu'il s'est trompé.
Mais seulement il
se transpose
Et, passant de la forme au son
Trouve dans sa métamorphose
La jeune fille et le garçon.
Que tu me plais,
ô timbre étrange !
Son double, homme et femme à la fois
Contralto, bizarre mélange
Hermaphrodite de la voix !
C'est Roméo,
c'est Juliette
Chantant avec un seul gosier
Le pigeon rauque et la fauvette
Perchés sur le même rosier
C'est la châtelaine
qui raille
Son beau page parlant d'amour
L'amant au pied de la muraille
La dame au balcon de sa tour
Le papillon, blanche
étincelle
Qu'en ses détours et ses ébats
Poursuit un papillon fidèle
L'un volant haut et l'autre bas
L'ange qui descend
et qui monte
Sur l'escalier d'or voltigeant
La cloche mêlant dans sa fonte
La voix d'airain, la voix d'argent
La mélodie
et l'harmonie
Le chant et l'accompagnement
A la grâce la force unie
La maîtresse embrassant l'amant !
Sur le pli de sa
jupe assise
Ce soir, ce sera Cendrillon
Causant près du feu qu'elle attise
Avec son ami le grillon
Demain le valeureux
Arsace
A son courroux donnant l'essor
Ou Tancrède avec sa cuirasse
Son épée et son casque d'or
Desdemona chantant
le Saule
Zerline bernant Mazetto
Ou Malcolm le plaid sur l'épaule
C'est toi que j'aime, ô contralto !
Nature charmante
et bizarre
Que Dieu d'un double attrait para
Toi qui pourrais, comme Gulnare
Etre le Kaled d'un Lara
Et dont la voix dans
sa caresse
Réveillant le cur endormi
Mêle aux soupirs de la maîtresse
L'accent plus mâle de l'ami !
CÆRULEI
OCULI
Une femme mystérieuse
Dont la beauté trouble mes sens
Se tient debout, silencieuse
Au bord des flots retentissants.
Ses yeux, où
le ciel se reflète
Mêlent à leur azur amer
Qu'étoile une humide paillette
Les teintes glauques de la mer.
Dans les langueurs
de leurs prunelles
Une grâce triste sourit
Les pleurs mouillent les étincelles
Et la lumière s'attendrit
Et leurs cils comme
des mouettes
Qui rasent le flot aplani
Palpitent, ailes inquiètes
Sur leur azur indéfini.
Comme dans l'eau
bleue et profonde
Où dort plus d'un trésor coulé
On y découvre à travers l'onde
La coupe du roi de Thulé.
Sous leur transparence
verdâtre
Brille parmi le goémon
L'autre perle de Cléopâtre
Près de l'anneau de Salomon.
La couronne au gouffre
lancée
Dans la ballade de Schiller
Sans qu'un plongeur l'ait ramassée
Y jette encor son reflet clair.
Un pouvoir magique
m'entraîne
Vers l'abîme de ce regard
Comme au sein des eaux la sirène
Attirait Harald Harfagar.
Mon âme, avec
la violence
D'un irrésistible désir
Au milieu du gouffre s'élance
Vers l'ombre impossible à saisir.
Montrant son sein,
cachant sa queue
La sirène amoureusement
Fait ondoyer sa blancheur bleue
Sous l'émail vert du flot dormant.
L'eau s'enfle comme
une poitrine
Aux soupirs de la passion
Le vent, dans sa conque marine
Murmure une incantation.
« Oh ! viens
dans ma couche de nacre
Mes bras d'onde t'enlaceront
Les flots, perdant leur saveur âcre
Sur ta bouche, en miel couleront.
Laissant bruire sur
nos têtes
La mer qui ne peut s'apaiser
Nous boirons l'oubli des tempêtes
Dans la coupe de mon baiser. »
Ainsi parle la voix
humide
De ce regard céruléen
Et mon cur, sous l'onde perfide
Se noie et consomme l'hymen.
RONDALLA
Enfant aux airs d'impératrice
Colombe aux regards de faucon
Tu me hais, mais c'est mon caprice
De me planter sous ton balcon.
Là, je veux,
le pied sur la borne
Pinçant les nerfs, tapant le bois
Faire luire à ton carreau morne
Ta lampe et ton front à la fois.
Je défends
à toute guitare
De bourdonner aux alentours.
Ta rue est à moi : - je la barre
Pour y chanter seul mes amours
Et je coupe les deux
oreilles
Au premier racleur de jambon
Qui devant la chambre où tu veilles
Braille un couplet mauvais ou bon.
Dans sa gaine mon
couteau bouge
Allons, qui veut de l'incarnat ?
A son jabot qui veut du rouge
Pour faire un bouton de grenat ?
Le sang dans les
veines s'ennuie
Car il est fait pour se montrer
Le temps est noir, gare la pluie !
Poltrons, hâtez-vous de rentrer.
Sortez, vaillants
! sortez, bravaches !
L'avant-bras couvert du manteau
Que sur vos faces de gavaches
J'écrive des croix au couteau !
Qu'ils s'avancent
! seuls ou par bande
De pied ferme je les attends.
A ta gloire il faut que je fende
Les naseaux de ces capitans.
Au ruisseau qui gêne
ta marche
Et pourrait salir tes pieds blancs
Corps du Christ ! je veux faire une arche
Avec les côtes des galants.
Pour te prouver combien
je t'aime
Dis, je tuerai qui tu voudras :
J'attaquerai Satan lui-même
Si pour linceul j'ai tes deux draps.
Porte sourde ! -
Fenêtre aveugle !
Tu dois pourtant ouïr ma voix
Comme un taureau blessé je beugle
Des chiens excitant les abois !
An moins plante un
clou dans ta porte :
Un clou pour accrocher mon cur.
A quoi sert que je le remporte
Fou de rage, mort de langueur ?
NOSTALGIES D'OBÉLISQUES
I
L'OBÉLISQUE
DE PARIS
Sur cette place
je m'ennuie,
Obélisque dépareillé ;
Neige, givre, bruine et pluie
Glacent mon flanc déjà rouillé
Et ma vieille aiguille,
rougie
Aux fournaises d'un ciel de feu,
Prend des pâleurs de nostalgie
Dans cet air qui n'est jamais bleu.
Devant les colosses
moroses
Et les pylônes de Luxor,
Près de mon frère aux teintes roses
Que ne je suis-je debout encor,
Plongeant dans l'azur
immuable
Mon pyramidion vermeil,
Et de mon ombre, sur le sable,
Écrivant les pas du soleil !
Rhamsès !
un jour, mon bloc superbe,
Où l'éternité s'ébréchait,
Roula, fauché comme un brin d'herbe,
Et Paris s'en fit un hochet.
La sentinelle granitique,
Gardienne des énormités,
Se dresse entre un faux temple antique
Et la Chambre des députés.
Sur l'échafaud
de Louis seize,
Monolithe au sens aboli,
On a mis mon secret, qui pèse
Le poids de cinq mille ans d'oubli.
Les moineaux francs
souillent ma tête,
Où s'abattaient dans leur essor
L'ibis rose et le gypaète
Au blanc plumage, aux serres d'or.
La Seine, noir égout
des rues,
Fleuve immonde fait de ruisseaux,
Salit mon pied, que dans ses crues
Baisait le Nil, père des eaux,
Le Nil, géant
à barbe blanche
Coiffé de lotus et de joncs,
Versant de son urne qui penche
Des crocodiles pour goujons !
Les chars d'or étoilés
de nacre
Des grands Pharaons d'autrefois
Rasaient mon bloc heurté du fiacre
Emportant le dernier des rois.
Jadis, devant ma
pierre antique,
Le pschent au front, les prêtres saints
Promenaient la bari mystique
Aux emblèmes dorés et peints ;
Mais aujourd'hui,
pilier profane
Entre deux fontaines campé,
Je vois passer la courtisane
Se renversant dans son coupé.
Je vois, de janvier
à décembre,
La procession de bourgeois,
Les Solons qui vont à la Chambre,
Et les Arthurs qui vont au Bois.
Oh ! dans cent ans,
quels laids squelettes
Fera ce peuple impie et fou,
Qui se couche sans bandelettes
Dans des cercueils que ferme un clou,
Et n'a pas même
d'hypogées
À l'abri des corruptions,
Dortoirs où, par siècles rangées,
Plongent les générations !
Sol sacré
des hiéroglyphes
Et des secrets sacerdotaux,
Où les sphinx s'aiguisent les griffes
Sur les angles des piédestaux,
Où sous le
pied sonne la crypte,
Où l'épervier couve son nid,
Je te pleure, ô ma vieille Égypte,
Avec des larmes de granit !
II
L'OBÉLISQUE
DE LUXOR
Je veille, unique
sentinelle
De ce grand palais dévasté,
Dans la solitude éternelle,
En face de l'immensité.
À l'horizon
que rien ne borne,
Stérile, muet, infini,
Le désert sous le soleil morne,
Déroule son linceul jauni.
Au-dessus de la
terre nue,
Le ciel, autre désert d'azur,
Où jamais ne flotte une nue,
S'étale implacablement pur.
Le Nil, dont l'eau
morte s'étame
D'une pellicule de plomb,
Luit, ridé par l'hippopotame,
Sous un jour mat tombant d'aplomb ;
Et les crocodiles
rapaces,
Sur le sable en feu des îlots,
Demi-cuits dans leurs carapaces,
Se pâment avec des sanglots.
Immobile sur son
pied grêle,
L'ibis, le bec dans son jabot,
Déchiffre au bout de quelque stèle
Le cartouche sacré de Thot.
L'hyène rit,
le chacal miaule,
Et, traçant des cercles dans l'air,
L'épervier affamé piaule,
Noire virgule du ciel clair.
Mais ces bruits
de la solitude
Sont couverts par le bâillement
Des sphinx, lassé de l'attitude
Qu'ils gardent immuablement.
Produit des blancs
reflets du sable
Et du soleil toujours brillant,
Nul ennui ne t'est comparable,
Spleen lumineux de l'Orient !
C'est toi qui faisais
crier : Grâce !
À la satiété des rois
Tombant vaincus sur leur terrasse ;
Et tu m'écrases de ton poids.
Ici jamais le vent
n'essuie
Une larme à l'il sec des cieux,
Et le temps fatigué s'appuie
Sur les palais silencieux.
Pas un accident
ne dérange
La face de l'éternité ;
L'Égypte, en ce monde où tout change,
Trône sur l'immobilité.
Pour compagnons
et pour amies,
Quand l'ennui me prend par accès,
J'ai les fellahs et les momies
Contemporaines de Rhamsès ;
Je regarde un pilier
qui penche,
Un vieux colosse sans profil,
Et les canges à voile blanche
Montant ou descendant le Nil.
Que je voudrais
comme mon frère,
Dans ce grand Paris transporté,
Auprès de lui, pour me distraire,
Sur une place être planté !
Là -bas,
il voit à ses sculptures
S'arrêter un peuple vivant,
Hiératiques écritures,
Que l'idée épelle en rêvant.
Les fontaines juxtaposées
Sur la poudre de son granit
Jettent leurs brumes irrisées ;
Il est vermeil, il rajeunit !
Des veines roses
de Syène
Comme moi cependant il sort,
Mais je reste à ma place ancienne ;
Il est vivant, et je suis mort !
VIEUX DE LA VIEILLE
15 DÉCEMBRE
Par l'ennui chassé
de ma chambre,
J'errais le long du boulevard :
Il faisait un temps de décembre,
Vent froid, fine pluie et brouillard ;
Et là je
vis, spectacle étrange,
Échappés du sombre séjour,
Sous la bruine et dans la fange,
Passer des spectres en plein jour.
Pourtant c'est la
nuit que les ombres,
Par un clair de lune allemand,
Dans les vieilles tours en décombres,
Reviennent ordinairement ;
C'est la nuit que
les Elfes sortent
Avec leur robe humide au bord,
Et sous les nénuphars emportent
Leur valseur de fatigue mort ;
C'est la nuit qu'a
lieu la revue
Dans la ballade de Zedlitz,
Où l'Empereur, ombre entrevue,
Compte les ombres d'Austerlitz.
Mais des spectres
près du Gymnase,
À deux pas des Variétés,
Sans brume ou linceul qui les gaze,
Des spectres mouillés et crottés !
Avec ses dents jaunes
de tartre,
Son crâne de mousse verdi,
À Paris, boulevard Montmartre,
Mob se montrant en plein midi !
La chose vaut qu'on
la regarde :
Trois fantômes de vieux grognards,
En uniformes de l'ex-garde,
Avec deux ombres de hussards !
On eût dit
la lithographie
Où, dessinés par un rayon,
Les morts, que Raffet déifie,
Passent, criant : Napoléon !
Ce n'était
pas les morts qu'éveille
Le son du nocturne tambour,
Mais bien quelques vieux de la vieille
Qui célébraient le grand retour.
Depuis la suprême
bataille,
L'un a maigri, l'autre a grossi ;
L'habit, jadis fait à leur taille,
Est trop grand ou trop rétréci.
Nobles lambeaux,
défroque épique,
Saints haillons, qu'étoile une croix,
Dans leur ridicule héroïque
Plus beaux que des manteaux de rois !
Un plumet énervé
palpite
Sur leur kolback fauve et pelé ;
Près des trous de balle, la mite
A rongé leur dolman criblé ;
Leur culotte de
peau trop large
Fait mille plis sur leur fémur ;
Leur sabre rouillé, lourde charge,
Creuse le sol et bat le mur ;
Ou bien un embonpoint
grotesque,
Avec grand'peine boutonné,
Fait un poussah, dont on rit presque,
Du vieux héros tout chevronné.
Ne les raillez pas,
camarade ;
Saluez plutôt chapeau bas
Ces Achilles d'une Iliade
Qu'Homère n'inventerait pas !
Respectez leur tête
chenue !
Sur leur front par vingt cieux bronzé,
La cicatrice continue
Le sillon que l'âge a creusé.
Leur peau, bizarrement
noircie,
Dit l'Égypte aux soleils brûlants ;
Et les neiges de la Russie
Poudrent encor leurs cheveux blancs.
Si leurs mains tremblent,
c'est sans doute
Du froid de la Bérésina ;
Et s'ils boitent, c'est que la route
Est longue du Caire à Wilna ;
S'ils sont perclus,
c'est qu'à la guerre
Les drapeaux étaient leurs seuls draps ;
Et si leur manche ne va guère,
C'est qu'un boulet a pris leur bras.
Ne nous moquons
pas de ces hommes
Qu'en riant le gamin poursuit :
Ils furent le jour dont nous sommes
Le soir et peut-être la nuit.
Quand on oublie,
ils se souviennent !
Lancier rouge et grenadier bleu,
Au pied de la colonne ils viennent
Comme à l'autel de leur seul dieu :
Là , fiers
de leur longue souffrance,
Reconnaissants des maux subis,
Ils sentent le cur de la France
Battre sous leurs pauvres habits.
Aussi les pleurs
trempent le rire
En voyant ce saint carnaval,
Cette mascarade d'empire
Passer comme un matin de bal ;
Et l'aigle de la
grande armée,
Dans le ciel qu'emplit son essor,
Du fond d'une gloire enflammée,
Étend sur eux ses ailes d'or !
TRISTESSE EN MER
Les mouettes volent
et jouent ;
Et les blancs coursiers de la mer,
Cabrés sur les vagues, secouent
Leurs crins échevelés dans l'air.
Le jour tombe ;
une fine pluie
Éteint les fournaises du soir,
Et le steam-boat crachant la suie
Rabat son long panache noir.
Plus pâle
que le ciel livide
Je vais au pays du charbon,
Du brouillard et du suicide ;
Pour se tuer le temps est bon.
Mon désir
avide se noie
Dans le gouffre amer qui blanchit ;
Le vaisseau danse, l'eau tournoie,
Le vent de plus en plus fraîchit.
Oh ! je me sens
l'âme navrée ;
L'Océan gonfle, en soupirant,
Sa poitrine désespérée,
Comme un ami qui me comprend.
Allons ! peines
d'amour perdues,
Espoirs lassés, illusions
Du socle idéal descendues,
Un saut dans les moites sillons !
À la mer,
souffrances passées,
Qui revenez toujours, pressant
Vos blessures cicatrisées
Pour leur faire pleurer du sang !
À la mer,
spectres de mes rêves,
Regrets aux mortelles pâleurs
Dans un cur rouge ayant sept glaives,
Comme la Mère des douleurs !
Chaque fantôme
plonge et lutte
Quelques instants avec le flot
Qui sur lui ferme sa volute
Et l'engloutit dans un sanglot.
Lest de l'âme,
pesant bagage,
Trésors misérables et chers,
Sombrez, et dans votre naufrage
Je vais vous suivre au fond des mers !
Bleuâtre,
enflé, méconnaissable,
Bercé par le flot qui bruit,
Sur l'humide oreiller du sable
Je dormirai bien cette nuit !
... Mais une femme
dans sa mante
Sur le pont assise à l'écart,
Une femme jeune et charmante
Lève vers moi son long regard.
Dans ce regard,
à ma détresse
La Sympathie aux bras ouverts
Parle et sourit, sur ou maîtresse.
Salut, yeux bleus ! bonsoir, flots verts !
Les mouettes volent
et jouent ;
Et les blancs coursiers de la mer,
Cabrés sur les vagues, secouent
Leurs crins échevelés dans l'air.
À UNE ROBE
ROSE
Que tu me plais
dans cette robe
Qui te déshabille si bien,
Faisant jaillir ta gorge en globe,
Montrant tout nu ton bras païen !
Frêle comme
une aile d'abeille,
Frais comme un cur de rose-thé,
Son tissu, caresse vermeille,
Voltige autour de ta beauté.
De l'épiderme
sur la soir
Glissent des frissons argentés,
Et l'étoffe à la chair renvoie
Ses éclairs roses reflétés.
D'où te vient
cette robe étrange
Qui semble faite de ta chair,
Trame vivante qui mélange
Avec ta peau son rose clair ?
Est-ce à
la rougeur de l'aurore,
À la coquille de Vénus,
Au bouton de sein près d'éclore,
Que sont pris ces tons inconnus ?
Ou bien l'étoffe
est-elle teinte
Dans les roses de ta pudeur ?
Non ; vingt fois modelée et peinte,
Ta forme connaît sa splendeur.
Jetant le voile
qui te pèse,
Réalité que l'art rêva,
Comme la princesse Borghèse
Tu poserais pour Canova.
Et ces plis roses
sont les lèvres
De mes désirs inapaisés,
Mettant au corps dont tu les sèvres
Une tunique de baisers.
LE MONDE MÉCHANT
Le monde est méchant,
ma petite :
Avec son sourire moqueur
Il dit qu'à ton côté palpite
Une montre en place de cur.
Pourtant ton sein
ému s'élève
Et s'abaisse comme la mer,
Aux bouillonnements de la sève
Circulant sous ta jeune chair.
Le monde est méchant,
ma petite :
Il dit que tes yeux vifs sont morts
Et se meuvent dans leur orbite
À temps égaux et par ressorts.
Pourtant une
larme irisée
Tremble à tes cils, mouvant rideau,
Comme une perle de rosée
Qui n'est pas prise au verre d'eau.
Le monde est méchant,
ma petite :
Il dit que tu n'as pas d'esprit,
Et que les vers qu'on te récite
Sont pour toi comme du sanscrit.
Pourtant, sur ta
bouche vermeille,
Fleur s'ouvrant et se refermant,
Le rire, intelligente abeille,
Se pose à chaque trait charmant.
C'est que tu m'aimes,
ma petite,
Et que tu hais tous ces gens-là .
Quitte-moi ; comme ils diront vite :
Quel cur et quel esprit elle a !
INÈS DE
LAS SIERRAS
A LA
PETRA CAMARA
Nodier raconte qu'en
Espagne
Trois officiers cherchant, un soir,
Une venta dans la campagne,
Ne trouvèrent qu'un vieux manoir ;
Un vrai château
d'Anne Radcliffe,
Aux plafonds que le temps ploya,
Aux vitraux rayés par la griffe
Des chauves-souris de Goya,
Aux vastes salles
délabrées,
Aux couloirs livrant leur secret,
Architectures effondrées
Où Piranèse se perdrait.
Pendant le souper,
que regarde
Une collection d'aïeux
Dans leurs cadres montant la garde,
Un cri répond aux chants joyeux ;
D'un long corridor
en décombres,
Par la lune bizarrement
Entrecoupé de clairs et d'ombres,
Débusque un fantôme charmant ;
Peigne au chignon,
basquine aux hanches,
Une femme accourt en dansant,
Dans les bandes noires et blanches
Apparaissant, disparaissant.
Avec une volupté
morte,
Cambrant les reins, penchant le cou,
Elle s'arrête sur la porte,
Sinistre et belle à rendre fou.
Sa robe, passée
et fripée
Au froid humide des tombeaux,
Fait luire, d'un rayon frappée,
Quelques paillons sur ses lambeaux ;
D'un pétale
découronnée
À chaque soubresaut nerveux,
Sa rose, jaunie et fanée,
S'effeuille dans ses noirs cheveux.
Une cicatrice, pareille
À celle d'un coup de poignard,
Forme une couture vermeille
Sur sa gorge d'un ton blafard ;
Et ses mains pâles
et fluettes
Au nez des soupeurs pleins d'effroi
Entre-choquent les castagnettes,
Comme des dents claquant de froid.
Elle danse, morne
bacchante,
La cachucha sur un vieil air,
D'une grâce si provocante,
Qu'on la suivrait même en enfer.
Ses cils palpitent
sur ses joues
Comme des ailes d'oiseau noir,
Et sa bouche arquée a des moues
À mettre un saint au désespoir.
Quand de sa jupe
qui tournoie
Elle soulève le volant,
Sa jambe, sous le bas de soie,
Prend des lueurs de marbre blanc.
Elle se penche jusqu'à
terre,
Et sa main, d'un geste coquet,
Comme on fait des fleurs d'un parterre,
Groupe les désirs en bouquet.
Est-ce un fantôme
? est-ce une femme ?
Un rêve, une réalité,
Qui scintille comme une flamme
Dans un tourbillon de beauté ?
Cette apparition
fantasque,
C'est l'Espagne du temps passé,
Aux frissons du tambour de Basque
S'élançant de son lit glacé,
Et, brusquement
ressuscitée
Dans un suprême boléro,
Montrant sous sa jupe argentée
La divisa prise au taureau.
La cicatrice qu'elle
porte,
C'est le coup de grâce donné
À la génération morte
Par chaque siècle nouveau-né.
J'ai vu ce fantôme
au Gymnase,
Où Paris entier l'admira,
Lorsque dans son linceul de gaze,
Parut la Petra Camara,
Impassible et passionnée,
Fermant ses yeux morts de langueur,
Et comme Inès l'assassinée
Dansant, un poignard dans le cur !
ODELETTE ANACRÉONTIQUE
Pour que je t'aime,
ô mon poète,
Ne fais pas fuir par trop d'ardeur
Mon amour, colombe inquiète,
Au ciel rose de la pudeur.
L'oiseau qui marche
dans l'allée
S'effraye et part au moindre bruit ;
Ma passion est chose ailée
Et s'envole quand on la suit.
Muet comme l'Hermès
de marbre,
Sous la charmille pose-toi ;
Tu verras bientôt de son arbre
L'oiseau descendre sans effroi.
Tes tempes sentiront
près d'elles,
Avec des souffles de fraîcheur,
Une palpitation d'ailes
Dans un tourbillon de blancheur ;
Et la colombe apprivoisée
Sur ton épaule s'abattra,
Et son bec à pointe rosée
De ton baiser s'enivrera.
FUMÈE
Là -bas,
sous les arbres s'abrite
Une chaumière au dos bossu ;
Le toit penche, le mur s'effrite,
Le seuil de la porte est moussu.
La fenêtre,
un volet la bouche ;
Mais du taudis, comme au temps froid
La tiède haleine d'une bouche,
La respiration se voit :
Un tire-bouchon
de fumée,
Tournant son mince filet bleu,
De l'âme en ce bouge enfermée
Porte des nouvelles à Dieu.
APOLLONIE
J'aime ton nom d'Apollonie,
Écho grec du sacré vallon,
Qui, dans sa robuste harmonie,
Te baptise sur d'Apollon.
Sur la lyre au plectre
d'ivoire,
Ce nom splendide et souverain,
Beau comme l'amour et la gloire,
Prend des résonnances d'airain.
Classique, il fait
plonger les Elfes
Au fond de leur lac allemand,
Et seule la Pythie à Delphes
Pourrait le porter dignement,
Quand, relevant
sa robe antique,
Elle s'assoit au trépied d'or,
Et dans sa pose fatidique
Attend le dieu qui tarde encor.
L'AVEUGLE
Un aveugle au coin
d'une borne
Hagard comme au jour un hibou
Sur son flageolet, d'un air morne
Tâtonne en se trompant de trou
Et joue un ancien
vaudeville
Qu'il fausse imperturbablement
Son chien le conduit par la ville
Spectre diurne à l'oeil dormant.
Les jours sur lui
passent sans luire
Sombre, il entend le monde obscur
Et la vie invisible bruire
Comme un torrent derrière un mur !
Dieu sait quelles
chimères noires
Hantent cet opaque cerveau !
Et quels illisibles grimoires
L'idée écrit en ce caveau !
Ainsi dans les puits
de Venise
Un prisonnier à demi fou
Pendant sa nuit qui s'éternise
Grave des mots avec un clou.
Mais peut-être
aux heures funèbres
Quand la mort souffle le flambeau
L'âme habituée aux ténèbres
Y verra clair dans le tombeau !
LIED
Au mois d'avril,
la terre est rose
Comme la jeunesse et l'amour
Pucelle encore, à peine elle ose
Payer le Printemps de retour.
Au mois de juin,
déjà plus pâle
Et le cur de désir troublé
Avec l'Eté tout brun de hâle
Elle se cache dans le blé.
Au mois d'août,
bacchante enivrée
Elle offre à l'Automne son sein
Et, roulant sur la peau tigrée
Fait jaillir le sang du raisin.
En décembre,
petite vieille
Par les frimas poudrée à blanc
Dans ses rêves elle réveille
L'Hiver auprès d'elle ronflant.
FANTAISIES D'HIVER
I
Le nez rouge, la
face blême
Sur un pupitre de glaçons
L'Hiver exécute son thème
Dans le quatuor des saisons.
Il chante d'une voix
peu sûre
Des airs vieillots et chevrotants
Son pied glacé bat la mesure
Et la semelle en même temps
Et comme Haendel,
dont la perruque
Perdait sa farine en tremblant
Il fait envoler de sa nuque
La neige qui la poudre à blanc.
II
Dans le bassin des
Tuileries
Le cygne s'est pris en nageant
Et les arbres, comme aux féeries
Sont en filigrane d'argent.
Les vases ont des
fleurs de givre
Sous la charmille aux blancs réseaux
Et sur la neige on voit se suivre
Les pas étoilés des oiseaux.
Au piédestal
où, court-vêtue
Vénus coudoyait Phocion
L'Hiver a posé pour statue
La Frileuse de Clodion.
III
Les femmes passent
sous les arbres
En martre, hermine et menu-vair
Et les déesses, frileux marbres
Ont pris aussi l'habit d'hiver.
La Vénus Anadyomène
Est en pelisse à capuchon
Flore, que la brise malmène
Plonge ses mains dans son manchon.
Et pour la saison,
les bergères
De Coysevox et de Coustou
Trouvant leurs écharpes légères
Ont des boas autour du cou.
IV
Sur la mode parisienne
Le Nord pose ses manteaux lourds
Comme sur une Athénienne
Un Scythe étendrait sa peau d'ours.
Partout se mélange
aux parures
Dont Palmyre habille l'Hiver
Le faste russe des fourrures
Que parfume le vétyver.
Et le Plaisir rit
dans l'alcôve
Quand, au milieu des Amours nus
Des poils roux d'une bête fauve
Sort le torse blanc de Vénus.
V
Sous le voile qui
vous protège
Défiant les regards jaloux
Si vous sortez par cette neige
Redoutez vos pieds andalous
La neige saisit comme
un moule
L'empreinte de ce pied mignon
Qui, sur le tapis blanc qu'il foule
Signe, à chaque pas, votre nom.
Ainsi guidé,
l'époux morose
Peut parvenir au nid caché
Où, de froid la joue encor rose
A l'Amour s'enlace Psyché.
LA SOURCE
Tout près
du lac filtre une source
Entre deux pierres, dans un coin
Allègrement l'eau prend sa course
Comme pour s'en aller bien loin.
Elle murmure : Oh
! quelle joie !
Sous la terre il faisait si noir !
Maintenant ma rive verdoie
Le ciel se mire à mon miroir.
Les myosotis aux
fleurs bleues
Me disent : Ne m'oubliez pas !
Les libellules de leurs queues
M'égratignent dans leurs ébats :
A ma coupe l'oiseau
s'abreuve
Qui sait ? Après quelques détours
Peut-être deviendrai-je un fleuve
Baignant vallons, rochers et tours.
Je broderai de mon
écume
Ponts de pierre, quais de granit
Emportant le steamer qui fume
À l'Océan où tout finit.
Ainsi la jeune source
jase
Formant cent projets d'avenir
Comme l'eau qui bout dans un vase
Son flot ne peut se contenir
Mais le berceau touche
à la tombe
Le géant futur meurt petit
Née à peine, la source tombe
Dans le grand lac qui l'engloutit !
BÛCHERS
ET TOMBEAUX
Le squelette était
invisible
Au temps heureux de l'Art païen
L'homme, sous la forme sensible
Content du beau, ne cherchait rien.
Pas de cadavre sous
la tombe
Spectre hideux de l'être cher
Comme d'un vêtement qui tombe
Se déshabillant de sa chair
Et, quand la pierre
se lézarde
Parmi les épouvantements
Montrait à l'oeil qui s'y hasarde
Une armature d'ossements
Mais au feu du bûcher
ravie
Une pincée entre les doigts
Résidu léger de la vie
Qu'enserrait l'urne aux flancs étroits
Ce que le papillon
de l'âme
Laisse de poussière après lui
Et ce qui reste de la flamme
Sur le trépied, quand elle a lui !
Entre les fleurs
et les acanthes
Dans le marbre joyeusement
Amours, aegipans et bacchantes
Dansaient autour du monument
Tout au plus un petit
génie
Du pied éteignait un flambeau
Et l'art versait son harmonie
Sur la tristesse du tombeau.
Les tombes étaient
attrayantes :
Comme on fait d'un enfant qui dort
D'images douces et riantes
La vie enveloppait la mort
La mort dissimulait
sa face
Aux trous profonds, au nez camard
Dont la hideur railleuse efface
Les chimères du cauchemar.
Le monstre, sous
la chair splendide
Cachait son fantôme inconnu
Et l'oeil de la vierge candide
Allait au bel éphèbe nu.
Seulement pour pousser
à boire
Au banquet de Trimalcion
Une larve, joujou d'ivoire
Faisait son apparition
Des dieux que l'art
toujours révère
Trônaient au ciel marmoréen
Mais l'Olympe cède au Calvaire
Jupiter au Nazaréen ;
Une voix dit : Pan
est mort ! L'ombre
S'étend. Comme sur un drap noir
Sur la tristesse immense et sombre
Le blanc squelette se fait voir
Il signe les pierres
funèbres
De son paraphe de fémurs
Pend son chapelet de vertèbres
Dans les charniers, le long des murs ;
Des cercueils lève
le couvercle
Avec ses bras aux os pointus ;
Dessine ses côtes en cercle
Et rit de son large rictus ;
Il pousse à
la danse macabre
L'empereur, le pape et le roi
Et de son cheval qui se cabre
Jette bas le preux plein d'effroi ;
Il entre chez la
courtisane
Et fait des mines au miroir,
Du malade il boit la tisane,
De l'avare ouvre le tiroir ;
Piquant l'attelage
qui rue
Avec un os pour aiguillon,
Du laboureur à la charrue
Termine en fosse le sillon ;
Et, parmi la foule
priée,
Hôte inattendu, sous le banc
Vole à la pâle mariée
Sa jarretière de ruban.
A chaque pas grossit
la bande ;
Le jeune au vieux donne la main ;
L'irrésistible sarabande
Met en branle le genre humain.
Le spectre en tête
se déhanche
Dansant et jouant du rebec,
Et sur fond noir, en couleur blanche
Holbein l'esquisse d'un trait sec.
Quand le siècle
devient frivole
Il suit la mode; en tonnelet
Retrousse son linceul et vole
Comme un Cupidon de ballet
Au tombeau-sofa des
marquises
Qui reposent, lasses d'amour,
En des attitudes exquises,
Dans les chapelles Pompadour.
Mais voile-toi, masque
sans joues
Comédien que le ver rnord
Depuis assez longtemps tu joues
Le mélodrame de la Mort.
Reviens, reviens,
bel art antique,
De ton paros étincelant
Couvrir ce squelette gothique ;
Dévore-le, bûcher brûlant !
Si nous sommes une
statue
Sculptée à l'image de Dieu,
Quand cette image est abattue,
Jetons-en les débris au feu.
Toi, forme immortelle,
remonte
Dans la flamme aux sources du beau
Sans que ton argile ait la honte
Et les misères du tombeau !
LE SOUPER DES
ARMURES
Biorn, étrange
cénobite,
Sur le plateau d'un roc pelé,
Hors du temps et du monde, habite
La tour d'un burg démantelé.
De sa porte l'esprit
moderne
En vain soulève le marteau.
Biorn verrouille sa poterne
Et barricade son château.
Quand tous ont les
yeux vers l'aurore
Biorn, sur son donjon perché
A l'horizon contemple encore
La place du soleil couché.
Ame rétrospective,
il loge
Dans son burg et dans le passé
Le pendule de son horloge
Depuis des siècles est cassé.
Sous ses ogives féodales
Il erre, éveillant les échos
Et ses pas, sonnant sur les dalles
Semblent suivis de pas égaux.
Il ne voit ni laïcs,
ni prêtres
Ni gentilshommes, ni bourgeois
Mais les portraits de ses ancêtres
Causent avec lui quelquefois.
Et certains soirs,
pour se distraire
Trouvant manger seul ennuyeux
Biorn, caprice funéraire
Invite à souper ses aïeux.
Les fantômes,
quand minuit sonne
Viennent armés de pied en cap ;
Biorn, qui malgré lui frissonne
Salue en haussant son hanap.
Pour s'asseoir, chaque
panoplie
Fait un angle avec son genou,
Dont l'articulation plie
En grinçant comme un vieux verrou ;
Et tout d'une pièce,
l'armure
D'un corps absent gauche cercueil,
Rendant un creux et sourd murmure,
Tombe entre les bras du fauteuil.
Landgraves, rhingraves,
burgraves,
Venus du ciel ou de l'enfer,
Ils sont tous là, muets et graves
Les roides convives de fer !
Dans l'ombre, un
rayon fauve indiquc
Un monstre, guivre, aigle à deux cous
Pris au bestiaire héraldique
Sur les cimiers faussés de coups.
Du mufle des bêtes
difformes
Dressant leurs ongles arrogants
Partent des panaches énormes
Des lambrequins extravagants ;
Mais les casques
ouverts sont vides
Comme les timbres du blason ;
Seulement deux flammes livides
Y luisent d'étrange façon.
Toute la ferraille
est assise
Dans la salle du vieux manoir
Et, sur le mur, l'ombre indécise
Donne à chaque hôte un page noir.
Les liqueurs aux
feux des bougies
Ont des pourpres d'un ton suspect
Les mets dans leurs sauces rougies
Prennent un singulier aspect.
Parfois un corselet
miroite
Un morion brille un moment ;
Une pièce qui se déboîte
Choit sur la nappe lourdement.
L'on entend les battements
d'ailes
D'invisibles chauves-souris
Et les drapeaux des infidèles
Palpitent le long du lambris.
Avec des mouvements
fantasques
Courbant leurs phalanges d'airain
Les gantelets versent aux casques
Des rasades de vin du Rhin,
Ou découpent
au fil des dagues
Des sangliers sur des plats d'or...
Cependant passent des bruits vagues
Par les orgues du corridor.
La débauche devient
farouche,
On n’entendrait pas tonner Dieu ;
Car, lorsqu’un fantôme découche,
C’est le moins qu’il s’amuse un peu.
Et la fantastique
assemblée
Se tracassant dans son harnois,
L’orgie a sa rumeur doublée
Du tintamarre des tournois.
Gobelets, hanaps,
vidrecomes,
Vidés toujours, remplis en vain,
Entre les mâchoires des heaumes
Forment des cascades de vin.
Les hauberts en
bombent leurs ventres,
Et le flot monte aux gorgerins,
Ils sont tous gris comme des chantres,
Les vaillants comtes suzerains !
L’un allonge dans
la salade
Nonchalamment ses pédieux,
L’autre à son compagnon malade
Fait un sermon fastidieux.
Et des armures peu
bégueules
Rappellent, dardant leur boisson,
Les lions lampassés de gueules
Blasonnés sur leur écusson.
D'une voix encore
enrouée
Par l'humidité du caveau
Max fredonne, ivresse enjouée
Un lied, en treize cents, nouveau.
Albrecht, ayant le
vin féroce
Se querelle avec ses voisins
Qu'il martèle, bossue et rosse
Comme il faisait des Sarrasins.
Échauffé,
Fritz ôte son casque
Jadis par un crâne habité
Ne pensant pas que sans son masque
Il semble un tronc décapité.
Bientôt ils
roulent pêle-mêle
Sous la table, parmi les brocs
Tête en bas, montrant la semelle
De leurs souliers courbés en crocs.
C'est un hideux champ
de bataille
Où les pots heurtent les armets
Où chaque mort par quelque entaille
Au lieu de sang vomit des mets.
Et Biorn, le poing
sur la cuisse
Les contemple, morne et hagard,
Tandis que, par le vitrail suisse,
L'aube jette son bleu regard.
La troupe, qu'un
rayon traverse
Pâlit comme au jour un flambeau
Et le plus ivrogne se verse
Le coup d'étrier du tombeau.
Le coq chante, les
spectres fuient
Et, reprenant un air hautain
Sur l'oreiller de marbre appuient
Leurs têtes lourdes du festin !
LA MONTRE
Deux fois je regarde
ma montre
Et deux fois à mes yeux distraits
L'aiguille au même endroit se montre
Il est une heure... une heure après.
La figure de la pendule
En rit dans le salon voisin
Et le timbre d'argent module
Deux coups vibrant comme un tocsin.
Le cadran solaire
me raille
En m'indiquant, de son long doigt
Le chemin que sur la muraille
A fait son ombre qui s'accroît.
Le clocher avec ironie
Dit le vrai chiffre et le beffroi
Reprenant la note finie
A l'air de se moquer de moi.
Tiens ! la petite
bête est morte.
Je n'ai pas mis hier encor
Tant ma rêverie était forte
Au trou de rubis la clef d'or !
Et je ne vois plus,
dans sa boîte
Le fin ressort du balancier
Aller, venir, à gauche, à droite
Ainsi qu'un papillon d'acier.
C'est bien de moi
! Quand je chevauche
L'Hippogriffe, au pays du Bleu
Mon corps sans âme se débauche
Et s'en va comme il plaît à Dieu !
L'éternité
poursuit son cercle
Autour de ce cadran muet
Et le temps, l'oreille au couvercle
Cherche ce cur qui remuait
Ce cur que
l'enfant croit en vie
Et dont chaque pulsation
Dans notre poitrine est suivie
D'une égale vibration
Il ne bat plus, mais
son grand frère
Toujours palpite à mon côté.
- Celui que rien ne peut distraire
Quand je dormais, l'a remonté !
LES NÉRÉIDES
J'ai dans ma chambre
une aquarelle
Bizarre, et d'un peintre avec qui
Mètre et rime sont en querelle,
Théophile Kniatowski.
Sur l'écume
blanche qui frange
Le manteau glauque de la mer
Se groupent en bouquet étrange
Trois nymphes, fleurs du gouffre amer.
Comme des lis noyés,
la houle
Fait dans sa volute d'argent
Danser leurs beaux corps qu'elle roule
Les élevant, les submergeant.
Sur leurs têtes
blondes, coiffées
De pétoncles et de roseaux
Elles mêlent, coquettes fées
L'écrin et la flore des eaux.
Vidant sa nacre,
l'huître à perle
Constelle de son blanc trésor
Leur gorge, où le flot qui déferle
Suspend d'autres perles encor.
Et, jusqu'aux hanches
soulevées
Par le bras des Tritons nerveux
Elles luisent, d'azur lavées
Sous l'or vert de leurs longs cheveux.
Plus bas, leur blancheur
sous l'eau bleue
Se glace, d'un visqueux frisson
Et le torse finit en queue
Moitié femme, moitié poisson.
Mais qui regarde
la nageoire
Et les reins aux squameux replis
En voyant les bustes d'ivoire
Par le baiser des mers polis ?
A l'horizon, piquant
mélange
De fable et de réalité,
Paraît un vaisseau qui dérange
Le choeur marin épouvanté.
Son pavillon est
tricolore
Son tuyau vomit la vapeur
Ses aubes fouettent l'eau sonore
Et les nymphes plongent de peur.
Sans crainte elles
suivaient par troupes
Les trirèmes de l'Archipel
Et les dauphins, arquant leurs croupes
D'Arion attendaient l'appel.
Mais le steam-boat
avec ses roues
Comme Vulcain battant Vénus
Souffletterait leurs belles joues
Et meurtrirait leurs membres nus.
Adieu, fraîche
mythologie !
Le paquebot passe et, de loin
Croit voir sur la vague élargie
Une culbute de marsouin.
LES ACCROCHE-COEURS
Ravivant les langueurs
nacrées
De tes yeux battus et vainqueurs
En mèches de parfum lustrées
Se courbent deux accroche-curs.
A voir s'arrondir
sur tes joues
Leurs orbes tournés par tes doigts
On dirait les petites roues
Du char de Mab fait d'une noix ;
Ou l'arc de l'Amour
dont les pointes
Pour une flèche à décocher
En cercle d'or se sont rejointes
A la tempe du jeune archer.
Pourtant un scrupule
me trouble
Je n'ai qu'un cur, alors pourquoi
Coquette, un accroche-cur double ?
Qui donc y pends-tu près de moi ?
LA ROSE-THÉ
La plus délicate
des roses
Est, à coup sûr, la rose-thé.
Son bouton aux feuilles mi-closes
De carmin à peine est teinté.
On dirait une rose
blanche
Qu'aurait fait rougir de pudeur
En la lutinant sur la branche
Un papillon trop plein d'ardeur.
Son tissu rose et
diaphane
De la chair a le velouté
Auprès, tout incarnat se fane
Ou prend de la vulgarité.
Comme un teint aristocratique
Noircit les fronts bruns de soleil
De ses soeurs elle rend rustique
Le coloris chaud et vermeil.
Mais, si votre main
qui s'en joue
A quelque bal, pour son parfum
La rapproche de votre joue
Son frais éclat devient commun.
Il n'est pas de rose
assez tendre
Sur la palette du printemps
Madame, pour oser prétendre
Lutter contre vos dix-sept ans.
La peau vaut mieux
que le pétale
Et le sang pur d'un noble cur
Qui sur la jeunesse s'étale
De tous les roses est vainqueur !
CARMEN
Carmen est maigre,
un trait de bistre
Cerne son oeil de gitana.
Ses cheveux sont d'un noir sinistre
Sa peau, le diable la tanna.
Les femmes disent
qu'elle est laide
Mais tous les hommes en sont fous :
Et l'archevêque de Tolède
Chante la messe à ses genoux ;
Car sur sa nuque
d'ambre fauve
Se tord un énorme chignon
Qui, dénoué, fait dans l'alcôve
Une mante à son corps mignon.
Et, parmi sa pâleur,
éclate
Une bouche aux rires vainqueurs
Piment rouge, fleur écarlate
Qui prend sa pourpre au sang des curs.
Ainsi faite, la moricaude
Bat les plus altières beautés
Et de ses yeux la lueur chaude
Rend la flamme aux satiétés.
Elle a, dans sa laideur
piquante
Un grain de sel de cette mer
D'où jaillit, nue et provocante
L'âcre Vénus du gouffre amer.
CE QUE DISENT
LES HIRONDELLES
CHANSON
D'AUTOMNE
Déjà
plus d'une feuille sèche
Parsème les gazons jaunis ;
Soir et matin, la brise est fraîche
Hélas ! les beaux jours sont finis !
On voit s'ouvrir
les fleurs que garde
Le jardin, pour dernier trésor :
Le dahlia met sa cocarde
Et le souci sa toque d'or.
La pluie au bassin
fait des bulles
Les hirondelles sur le toit
Tiennent des conciliabules :
Voici l'hiver, voici le froid !
Elles s'assemblent
par centaines
Se concertant pour le départ.
L'une dit « Oh ! que dans Athènes
Il fait bon sur le vieux rempart !
« Tous les
ans j'y vais et je niche
Aux métopes du Parthénon.
Mon nid bouche dans la corniche
Le trou d'un boulet de canon. »
L'autre : «
J'ai ma petite chambre
A Smyrne, au plafond d'un café.
Les Hadjis comptent leurs grains d'ambre
Sur le seuil, d'un rayon chauffé.
« J'entre et
je sors, accoutumée
Aux blondes vapeurs des chibouchs
Et parmi des flots de fumée
Je rase turbans et tarbouchs. »
Celle-ci : «
J'habite un triglyphe
Au fronton d'un temple, à Balbeck.
Je m'y suspends, avec ma griffe
Sur mes petits au large bec. »
Celle-là :
« Voici mon adresse :
Rhodes, palais des chevaliers
Chaque hiver, ma tente s'y dresse
Au chapiteau des noirs piliers. »
La cinquième
: « Je ferai halte
Car l'âge m'alourdit un peu
Aux blanches terrasses de Malte
Entre l'eau bleue et le ciel, bleu. »
La sixième
: « Qu'on est à l'aise
Au Caire, en haut des minarets !
J'empâte un ornement de glaise
Et mes quartiers d'hiver sont prêts. »
« A la seconde
cataracte
Fait la dernière, j'ai mon nid
J'en ai noté la place exacte
Dans le pschent d'un roi de granit. »
Toutes : «
Demain combien de lieues
Auront filé sous notre essaim
Plaines brunes, pics blancs, mers bleues
Brodant d'écume leur bassin ! »
Avec cris et battements
d'ailes
Sur la moulure aux bords étroits
Ainsi jasent les hirondelles
Voyant venir la rouille aux bois.
Je comprends tout
ce qu'elles disent
Car le poète est un oiseau
Mais, captif, ses élans se brisent
Contre un invisible réseau !
Des ailes ! des ailes
! des ailes !
Comme dans le chant de Ruckert
Pour voler, là-bas avec elles
Au soleil d'or, au printemps vert !
NOËL
Le ciel est noir,
la terre est blanche
Cloches, carillonnez gaîment !
Jésus est né; la Vierge penche
Sur lui son visage charmant.
Pas de courtines
festonnées
Pour préserver l'enfant du froid
Rien que les toiles d'araignées
Qui pendent des poutres du toit.
Il tremble sur la
paille fraîche
Ce cher petit enfant Jésus
Et pour l'échauffer dans sa crèche
L'âne et le boeuf soufflent dessus.
La neige au chaume
coud ses franges
Mais sur le toit s'ouvre le ciel
Et, tout en blanc, le choeur des anges
Chante aux bergers : « Noël ! Noël ! »
LES JOUJOUX DE
LA MORTE
La petite Marie est
morte
Et son cercueil est si peu long
Qu'il tient sous le bras qui l'emporte
Comme un étui de violon.
Sur le tapis et sur
la table
Traîne l'héritage enfantin
Les bras ballants, l'air lamentable
Tout affaissé, gît le pantin.
Et si la poupée
est plus ferme
C'est la faute de son bâton
Dans son oeil une larme germe
Un soupir gonfle son carton.
Une dînette
abandonnée
Mêle ses plats de bois verni
A la troupe désarçonnée
Des écuyers de Franconi.
La boîte à
musique est muette
Mais, quand on pousse le ressort
Où se posait sa main fluette
Un murmure plaintif en sort.
L'émotion
chevrote et tremble
Dans : Ah ! vous dirai-je maman !
Le Quadrille des Lanciers semble
Triste comme un enterrement.
Et des pleurs vous
mouillent la joue
Quand la Donna è mobile
Sur le rouleau qui tourne et joue
Expire avec un son filé.
Le cur se navre
à ce mélange
Puérilement douloureux
Joujoux d'enfant laissés par l'ange
Berceau que la tombe a fait creux !
APRÈS LE
FEUILLETON
Mes colonnes sont
alignées,
Au portique du feuilleton ;
Elles supportent résignées
Du journal le pesant fronton.
Jusqu'à lundi
je suis mon maître.
Au diable chefs-d'oeuvre mort-nés !
Pour huit jours je puis me permettre
De vous fermer la porte au nez.
Les ficelles des
mélodrames
N'ont plus le droit de se glisser
Parmi les fils soyeux des trames
Que mon caprice aime à tisser.
Voix de l'âme
et de la nature
J'écouterai vos purs sanglots
Sans que les couplets de facture
M'étourdissent de leurs grelots.
Et portant, dans
mon verre à côtes
La santé du temps disparu
Avec mes vieux rêves pour hôtes
Je boirai le vin de mon cru :
Le vin de ma propre
pensée
Vierge de toute autre liqueur
Et que, par la vie écrasée
Répand la grappe de mon cur !
LE CHÂTEAU
DU SOUVENIR
La main au front,
le pied dans l'âtre
Je songe et cherche à revenir
Par delà le passé grisâtre
Au vieux château du Souvenir.
Une gaze de brume
estompe
Arbres, maisons, plaines, coteaux
Et l'oeil au carrefour qui trompe
En vain consulte les poteaux.
J'avance parmi les
décombres
De tout un monde enseveli
Dans le mystère des pénombres
A travers des limbes d'oubli.
Mais voici, blanche
et diaphane
La Mémoire, au bord du chemin
Qui me remet, comme Ariane
Son peloton de fil en main.
Désormais
la route est certaine
Le soleil voilé reparaît
Et du château la tour lointaine
Pointe au-dessus de la forêt.
Sous l'arcade où
le jour s'émousse
De feuilles en feuilles tombant
Le sentier ancien dans la mousse
Trace encor son étroit ruban.
Mais la ronce en
travers s'enlace
La liane tend son filet
Et la branche que je déplace
Revient et me donne un soufflet.
Enfin au bout de
la clairière
Je découvre du vieux manoir
Les tourelles en poivrière
Et les hauts toits en éteignoir.
Sur le comble aucune
fumée
Rayant le ciel d'un bleu sillon
Pas une fenêtre allumée
D'une figure ou d'un rayon.
Les chaînes
du pont sont brisées
Aux fossés la lentille d'eau
De ses taches vert-de-grisées
Etale le glauque rideau.
Des tortuosités
de lierre
Pénètrent dans chaque refend
Payant la tour hospitalière
Qui les soutient... en l'étouffant.
Le porche à
la lune se ronge
Le temps le sculpte à sa façon
Et la pluie a passé l'éponge
Sur les couleurs de mon blason.
Tout ému,
je pousse la porte
Qui cède et geint sur ses pivots
Un air froid en sort et m'apporte
Le fade parfum des caveaux.
L'ortie aux morsures
aiguës
La bardane aux larges contours
Sous les ombelles des ciguës
Prospèrent dans l'angle des cours.
Sur les deux chimères
de marbre
Gardiennes du perron verdi
Se découpe l'ombre d'un arbre
Pendant mon absence grandi.
Levant leurs pattes
de lionne
Elles se mettent en arrêt.
Leur regard blanc me questionne
Mais je leur dis le mot secret.
Et je passe. Dressant
sa tête
Le vieux chien retombe assoupi
Et mon pas sonore inquiète
L'écho dans son coin accroupi.
Un jour louche et
douteux se glisse
Aux vitres jaunes du salon
Où figurent, en haute lisse
Les aventures d'Apollon.
Daphné, les
hanches dans l'écorce
Etend toujours ses doigts touffus
Mais aux bras du dieu qui la force
Elle s'éteint, spectre confus.
Apollon, chez Admète,
garde
Un troupeau, des mites atteint
Les neuf Muses, troupe hagarde
Pleurent sur un Pinde déteint
Et la Solitude en
chemise
Trace au doigt le mot : « Abandon »
Dans la poudre qu'elle tamise
Sur le marbre du guéridon.
Je retrouve au long
des tentures
Comme des hôtes endormis
Pastels blafards, sombres peintures
Jeunes beautés et vieux amis.
Ma main tremblante
enlève un crêpe
Et je vois mon défunt amour,
Jupons bouffants, taille de guêpe,
La Cidalise en Pompadour !
Un bouton de rose
s'entr'ouvre
A son corset enrubanné,
Dont la dentelle à demi couvre
Un sein neigeux d'azur veiné.
Ses yeux ont de moites
paillettes ;
Comme aux feuilles que le froid mord
La pourpre monte à ses pommettes
Éclat trompeur, fard de la mort !
Elle tressaille à
mon approche,
Et son regard, triste et charmant
Sur le mien d'un air de reproche
Se fixe douloureusement.
Bien que la vie au
loin m'emporte
Ton nom dans mon cur est marqué
Fleur de pastel, gentille morte
Ombre en habit de bal masqué !
La nature de l'art
jalouse
Voulant dépasser Murillo
A Paris créa l'Andalouse
Qui rit dans le second tableau.
Par un caprice poétique
Notre climat brumeux para
D'une grâce au charme exotique
Cette autre Petra Camara.
De chaudes teintes
orangées
Dorent sa joue au fard vermeil
Ses paupières de jais frangées
Filtrent des rayons de soleil.
Entre ses lèvres
d'écarlate
Scintille un éclair argenté
Et sa beauté splendide éclate
Comme une grenade en été.
Au son des guitares
d'Espagne
Ma voix longtemps la célébra.
Elle vint un jour, sans compagne
Et ma chambre fut l'Alhambra.
Plus loin une beauté
robuste
Aux bras forts cerclés d'anneaux lourds
Sertit le marbre de son buste
Dans les perles et le velours.
D'un air de reine
qui s'ennuie
An sein de sa cour à genoux
Superbe et distraite, elle appuie
La main sur un coffre à bijoux.
Sa bouche humide
et sensuelle
Semble rouge du sang des curs
Et, pleins de volupté cruelle
Ses yeux ont des défis vainqueurs.
Ici, plus de grâce
touchante
Mais un attrait vertigineux.
On dirait la Vénus méchante
Qui préside aux amours haineux.
Cette Vénus,
mauvaise mère
Souvent a battu Cupidon.
O toi, qui fus ma joie amère
Adieu pour toujours... et pardon !
Dans son cadre, que
l'ombre moire
Au lieu de réfléchir mes traits
La glace ébauche de mémoire
Le plus ancien de mes portraits.
Spectre rétrospectif
qui double
Un type à jamais effacé,
Il sort du fond du miroir trouble
Et des ténèbres du passé.
Dans son pourpoint
de satin rose
Qu'un goût hardi coloria
Il semble chercher une pose
Pour Boulanger ou Devéria.
Terreur du bourgeois
glabre et chauve
Une chevelure à tous crins
De roi franc ou de lion fauve
Roule en torrent jusqu'à ses reins.
Tel, romantique opiniâtre
Soldat de l'art qui lutte encor
Il se ruait vers le théâtre
Quand d'Hernani sonnait le cor.
... La nuit tombe
et met avec l'ombre
Ses terreurs aux recoins dormants.
L'inconnu, machiniste sombre
Monte ses épouvantements.
Des explosions de
bougies
Crèvent soudain sur les flambeaux !
Leurs auréoles élargies
Semblent des lampes de tombeaux.
Une main d'ombre
ouvre la porte
Sans en faire grincer la clé.
D'hôtes pâles qu'un souffle apporte
Le salon se trouve peuplé.
Les portraits quittent
la muraille
Frottant de leurs mouchoirs jaunis
Sur leur visage qui s'éraille
La crasse fauve du vernis.
D'un reflet rouge
illuminée
La bande se chauffe les doigts
Et fait cercle à la cheminée
Où tout à coup flambe le bois.
L'image au sépulcre
ravie
Perd son aspect roide et glacé
La chaude pourpre de la vie
Remonte aux veines du passé.
Les masques blafards
se colorent
Comme au temps où je les connus.
O vous que mes regrets déplorent
Amis, merci d'être venus !
Les vaillants de
dix-huit cent trente
Je les revois tels que jadis.
Comme les pirates d'Otrante
Nous étions cent, nous sommes dix.
L'un étale
sa barbe rousse
Comme Frédéric dans son roc
L'autre superbement retrousse
Le bout de sa moustache en croc.
Drapant sa souffrance
secrète
Sous les fiertés de son manteau
Pétrus fume une cigarette
Qu'il baptise papelito.
Celui-ci me conte
ses rêves
Hélas ! jamais réalisés
Icare tombé sur les grèves
Où gisent les essors brisés.
Celui-là me
confie un drame
Taillé sur le nouveau patron
Qui fait, mêlant tout dans sa trame
Causer Molière et Calderon.
Tom, qu'un abandon
scandalise
Récite « Love's labours lost »
Et Fritz explique à Cidalise
Le « Walpurgisnachtstraum » de Faust.
Mais le jour luit
à la fenêtre
Et les spectres, moins arrêtés
Laissent les objets transparaître
Dans leurs diaphanéités.
Les cires fondent
consumées
Sous les cendres s'éteint le feu
Du parquet montent des fumées
Château du Souvenir, adieu !
Encore une autre
fois décembre
Va retourner le sablier.
Le présent entre dans ma chambre
Et me dit en vain d'oublier.
CAMÉLIA
ET PAQUERETTE
On admire les fleurs
de serre
Qui loin de leur soleil natal,
Comme des joyaux mis sous verre,
Brillent sous un ciel de cristal.
Sans que les brises
les effleurent
De leurs baisers mystérieux,
Elles naissent, vivent et meurent
Devant le regard curieux.
À l'abri de
murs diaphanes
De leur sein ouvrant le trésor,
Comme de belles courtisanes,
Elles se vendent à prix d'or.
La porcelaine de
la Chine
Les reçoit par groupes coquets
Ou quelque main gantée et fine
Au bal les balance en bouquets.
Mais souvent parmi
l'herbe verte
Fuyant les yeux, fuyant les doigts
De silence et d'ombre couverte
Une fleur vit au fond des bois.
Un papillon blanc
qui voltige
Un coup d'oeil au hasard jeté
Vous fait surprendre sur sa tige
La fleur dans sa simplicité.
Belle de sa parure
agreste
S'épanouissant au ciel bleu
Et versant son parfum modeste
Pour la solitude et pour Dieu.
Sans toucher à
son pur calice
Qu'agite un frisson de pudeur
Vous respirez avec délice
Son âme dans sa fraîche odeur.
Et tulipes au port
superbe
Camélias si cher payés
Pour la petite fleur sous l'herbe
En un instant, sont oubliés !
LA FELLAH
SUR
UNE AQUARELLE DE LA PRINCESSE M...
Caprice d'un pinceau
fantasque
Et d'un impérial loisir
Votre fellah, sphinx qui se masque
Propose une énigme au désir.
C'est une mode bien
austère
Que ce masque et cet habit long
Elle intrigue par son mystère
Tous les dipes du salon.
L'antique Isis légua
ses voiles
Aux modernes filles du Nil
Mais, sous le bandeau, deux étoiles
Brillent d'un feu pur et subtil.
Ces yeux qui sont
tout un poëme
De langueur et de volupté
Disent, résolvant le problème
« Sois l'amour, je suis la beauté. »
LA MANSARDE
Sur les tuiles où
se hasarde
Le chat guettant l'oiseau qui boit,
De mon balcon une mansarde
Entre deux tuyaux s'aperçoit.
Pour la parer d'un
faux bien-être
Si je mentais comme un auteur
Je pourrais faire à sa fenêtre
Un cadre de pois de senteur,
Et vous y montrer
Rigolette
Riant à son petit miroir
Dont le tain rayé ne reflète
Que la moitié de son oeil noir ;
Ou, la robe encor
sans agrafe
Gorge et cheveux au vent, Margot
Arrosant avec sa carafe
Son jardin planté dans un pot ;
Ou bien quelque jeune
poète
Qui scande ses vers sibyllins
En contemplant la silhouette
De Montmartre et de ses moulins.
Par malheur, ma mansarde
est vraie
Il n'y grimpe aucun liseron
Et la vitre y fait voir sa taie
Sous l'ais verdi d'un vieux chevron.
Pour la grisette
et pour l'artiste
Pour le veuf et pour le garçon
Une mansarde est toujours triste :
Le grenier n'est beau qu'en chanson.
Jadis, sous le comble
dont l'angle
Penchait les fronts pour le baiser
L'amour, content d'un lit de sangle
Avec Suzon venait causer.
Mais pour ouater
notre joie
Il faut des murs capitonnés
Des flots de dentelle et de soie
Des lits par Monbro festonnés.
Un soir, n'étant
pas revenue
Margot s'attarde au mont Breda
Et Rigolette entretenue
N'arrose plus son réséda.
Voilà longtemps
que le poète
Las de prendre la rime au vol
S'est fait reporter de gazette
Quittant le ciel pour l'entresol.
Et l'on ne voit contre
la vitre
Qu'une vieille au maigre profil
Devant Minet, qu'elle chapitre
Tirant sans cesse un bout de fil.
LA NUE
A l'horizon monte
une nue,
Sculptant sa forme dans l'azur :
On dirait une vierge nue
Émergeant d'un lac au flot pur.
Debout dans sa conque
nacrée
Elle vogue sur le bleu clair.
Comme une Aphrodite éthérée
Faite de l'écume de l'air ;
On voit onder en
molles poses
Son torse au contour incertain
Et l'aurore répand des roses
Sur son épaule de satin.
Ses blancheurs de
marbre et de neige
Se fondent amoureusement
Comme, au clair-obscur du Corrège
Le corps d'Antiope dormant.
Elle plane dans la
lumière
Plus haut que l'Alpe ou l'Apennin ;
Reflet de la beauté première,
Soeur de « l'éternel féminin ».
A son corps, en vain
retenue
Sur l'aile de la passion
Mon âme vole à cette nue
Et l'embrasse comme Ixion.
La raison dit : «
Vague fumée
Où l'on croit voir ce qu'on rêva
Ombre au gré du vent déformée
Bulle qui crève et qui s'en va ! »
Le sentiment répond
: « Qu'importe !
Qu'est-ce, après tout que la beauté
Spectre charmant qu'un souffle emporte
Et qui n'est rien, ayant été !
A l'Idéal
ouvre ton âme
Mets dans ton cur beaucoup de ciel
Aime une nue, aime une femme
Mais aime ! C'est l'essentiel ! »
LE MERLE
Un oiseau siffle
dans les branches
Et sautille gai, plein d'espoir
Sur les herbes, de givre blanches
En bottes jaunes, en frac noir.
C'est un merle, chanteur
crédule
Ignorant du calendrier
Qui rêve soleil, et module
L'hymne d'avril en février.
Pourtant il vente,
il pleut à verse
L'Arve jaunit le Rhône bleu
Et le salon, tendu de perse
Tient tous ses hôtes près du feu.
Les monts sur l'épaule
ont l'hermine
Comme des magistrats siégeant
Leur blanc tribunal examine
Un cas d'hiver se prolongeant.
Lustrant son aile
qu'il essuie
L'oiseau persiste en sa chanson
Malgré neige, brouillard et pluie
Il croit à la jeune saison.
Il gronde l'aube
paresseuse
De rester au lit si longtemps
Et, gourmandant la fleur frileuse
Met en demeure le printemps.
Il voit le jour derrière
l'ombre
Tel un croyant, dans le saint lieu
L'autel désert, sous la nef sombre
Avec sa foi voit toujours Dieu.
A la nature il se
confie
Car son instinct pressent la loi.
Qui rit de ta philosophie
Beau merle, est moins sage que toi !
LA FLEUR QUI FAIT
LE PRINTEMPS
Les marronniers de
la terrasse
Vont bientôt fleurir, à Saint-Jean
La villa d'où la vue embrasse
Tant de monts bleus coiffés d'argent.
La feuille, hier
encor pliée
Dans son étroit corset d'hiver
Met sur la branche déliée
Les premières touches de vert.
Mais en vain le soleil
excite
La sève des rameaux trop lents
La fleur retardataire hésite
A faire voir ses thyrses blancs.
Pourtant le pêcher
est tout rose
Comme un désir de la pudeur
Et le pommier, que l'aube arrose
S'épanouit dans sa candeur.
La véronique
s'aventure
Près des boutons d'or dans les prés
Les caresses de la nature
Hâtent les germes rassurés.
Il me faut retourner
encor
Au cercle d'enfer où je vis
Marronniers, pressez-vous d'éclore
Et d'éblouir mes yeux ravis.
Vous pouvez sortir
pour la fête
Vos girandoles sans péril
Un ciel bleu luit sur votre faîte
Et déjà mai talonne avril.
Par pitié
donnez cette joie
Au poète dans ses douleurs
Qu'avant de s'en aller, il voie
Vos feux d'artifice de fleurs.
Grands marronniers
de la terrasse
Si fiers de vos splendeurs d'été
Montrez-vous à moi dans la grâce
Qui précède votre beauté.
Je connais vos riches
livrées
Quand octobre, ouvrant son essor
Vous met des tuniques pourprées
Vous pose des couronnes d'or.
Je vous ai vus, blanches
ramées
Pareils aux dessins que le froid
Aux vitres d'argent étamées
Trace, la nuit, avec son doigt.
Je sais tous vos
aspects superbes
Arbres géants, vieux marronniers
Mais j'ignore vos fraîches gerbes
Et vos arômes printaniers.
Adieu, je pars lassé
d'attendre
Gardez vos bouquets éclatants !
Une autre fleur suave et tendre
Seule à mes yeux fait le printemps.
Que mai remporte
sa corbeille !
Il me suffit de cette fleur
Toujours pour l'âme et pour l'abeille
Elle a du miel pur dans le cur.
Par le ciel d'azur
ou de brume
Par la chaude ou froide saison
Elle sourit, charme et parfume
Violette de la maison !
DERNIER VU
Voilà longtemps
que je vous aime :
L'aveu remonte à dix-huit ans !
Vous êtes rose, je suis blême
J'ai les hivers, vous les printemps.
Des lilas blancs
de cimetière
Près de mes tempes ont fleuri
J'aurai bientôt la touffe entière
Pour ombrager mon front flétri.
Mon soleil pâli
qui décline
Va disparaître à l'horizon
Et sur la funèbre colline
Je vois ma dernière maison.
Oh ! que de votre
lèvre il tombe
Sur ma lèvre un tardif baiser
Pour que je puisse dans ma tombe
Le cur tranquille, reposer !
PLAINTIVE TOURTERELLE
Plaintive tourterelle
Qui roucoules toujours
Veux-tu prêter ton aile
Pour servir mes amours !
Comme toi, pauvre
amante
Bien loin de mon ramier
Je pleure et me lamente
Sans pouvoir l'oublier.
Vole et que ton pied
rose
Sur l'arbre ou sur la tour
Jamais ne se repose
Car je languis d'amour.
Évite, ô
ma colombe
La halte des palmiers
Et tous les toits où tombe
La neige des ramiers.
Va droit sur sa fenêtre
Près du palais du roi
Donne-lui cette lettre
Et deux baisers pour moi.
Puis sur mon sein
en flamme
Qui ne peut s'apaiser
Reviens, avec son âme
Reviens te reposer.
LA BONNE SOIRÉE
Quel temps de chien
! il pleut, il neige
Les cochers, transis sur leur siège,
Ont le nez bleu.
Par ce vilain soir de décembre
Qu'il ferait bon garder la chambre
Devant son feu !
A l'angle de la cheminée
La chauffeuse capitonnée
Vous tend les bras
Et semble avec une caresse
Vous dire comme une maîtresse
« Tu resteras ! »
Un papier rose à
découpures
Comme un sein blanc sous des guipures
Voile à demi
Le globe laiteux de la lampe
Dont le reflet au plafond rampe
Tout endormi.
On n'entend rien
dans le silence
Que le pendule qui balance
Son disque d'or,
Et que le vent qui pleure et rôde,
Parcourant, pour entrer en fraude,
Le corridor.
C'est bal à
l'ambassade anglaise
Mon habit noir est sur la chaise
Les bras ballants ;
Mon gilet baille et ma chemise
Semble dresser, pour être mise,
Ses poignets blancs.
Les brodequins à
pointe étroite
Montrent leur vernis qui miroite,
Au feu placés ;
A côté des minces cravates
S'allongent comme des mains plates
Les gants glacés.
Il faut sortir !
quelle corvée !
Prendre la file à l'arrivée
Et suivre au pas
Les coupés des beautés altières
Portant blasons sur leurs portières
Et leurs appas.
Rester debout contre
une porte
A voir se ruer la cohorte
Des invités ;
Les vieux museaux, les frais visages
Les fracs en cur et les corsages
Décolletés ;
Les dos où
fleurit la pustule,
Couvrant leur peau rouge d'un tulle
Aérien ;
Les dandys et les diplomates,
Sur leurs faces à teintes mates
Ne montrant rien.
Et ne pouvoir franchir
la haie
Des douairières aux yeux d'orfraie
Ou de vautour,
Pour aller dire à son oreille
Petite, nacrée et vermeille,
Un mot d'amour !
Je n'irai pas ! et
ferai mettre
Dans son bouquet un bout de lettre
A l'Opéra.
Par les violettes de Parme
La mauvaise humeur se désarme
Elle viendra !
J'ai là l'Intermezzo
de Heine
Le Thomas Grain-d'Orge de Taine
Les deux Goncourt ;
Le temps, jusqu'à l'heure où s'achève
Sur l'oreiller l'idée en rêve
Me sera court.
L'ART
Oui, l'uvre
sort plus belle
D'une forme au travail
Rebelle
Vers, marbre, onyx, émail.
Point de contraintes
fausses !
Mais que pour marcher droit
Tu chausses
Muse, un cothurne étroit.
Fi du rythme commode
Comme un soulier trop grand
Du mode
Que tout pied quitte et prend !
Statuaire, repousse
L'argile que pétrit
Le pouce
Quand flotte ailleurs l'esprit
Lutte avec le carrare
Avec le paros dur
Et rare
Gardiens du contour pur ;
Emprunte à
Syracuse
Son bronze où fermement
S'accuse
Le trait fier et charmant ;
D'une main délicate
Poursuis dans un filon
D'agate
Le profil d'Apollon.
Peintre, fuis l'aquarelle,
Et fixe la couleur
Trop frêle
Au four de l'émailleur.
Fais les sirènes
bleues
Tordant de cent façons
Leurs queues
Les monstres des blasons,
Dans son nimbe trilobe
La Vierge et son Jésus
Le globe
Avec la croix dessus.
Tout passe. L'art
robuste
Seul a l'éternité.
Le buste
Survit à la cité.
Et la médaille
austère
Que trouve un laboureur
Sous terre
Révèle un empereur.
Les dieux eux-mêmes
meurent.
Mais les vers souverains
Demeurent
Plus forts que les airains.
Sculpte, lime, cisèle
Que ton rêve flottant
Se scelle
Dans le bloc résistant !
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