D.R. BELAIR - RTMKB

 

 

LES POISSONS D'AVRIL,

DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE,

DE LA COMMUNE, etc. etc,

A PARIS.

1790

LES POISSONS D'AVRIL

DE L'ANNÉE

Mil sept cent quatre-vingt-dix

PAUVRE Français ! que je plains ton sort ! De tous ceux que tu as choisis pour briser les chaînes sous le poids desquelles tu gémissais depuis si longemps, il n'en n'est pas un qui ne travaille à  ta ruine ; donnes-toi la peine de me lire, laisse de côté cet enthousiasme dont tu es la triste victime, et tu verras que toutes les belles promesses qu'on t'a faites, ne sont que des Poissons d'Avril. Tu t'es plaint avec raison de l'ancien Gouvernement ; les Grands étoient des despotes, des tyrans, et le pauvre peuple n'était qu'un tas d'êtres méprisés, qu'une classe de malheureux esclaves ; on lui ôtait ses biens, sa liberté, et pour peu qu'il criât à  l'injustice, on le sacrifiait : mais qu'il se retrace tant qu'il voudra toutes les horreurs dont le despotisme ministériel s'est autrefois rendu coupable, qu'il maudisse les noms de tant de scélérats qui jouèrent si indignement l'humanité, je soutiens, et j'ai malheureusement l'expérience pour moi, oui, Peuple aveugle et imbécile, je soutiens, à  la face de la terre, que l'état affreux où tu es présentement réduit, est cent fois pis que celui d'où tu viens de sortir.

Tu désiras, tu demandas des États-Généraux ; ta sotte crédulité te fit mettre ta confiance dans ceux qui se disent les Pères de la Patrie ; chaque Député devint pour toi une divinité sur l'autel de laquelle tu aurais sacrifié jusqu'à  ta personne même. Quand ils traversèrent Paris, ce jour de troubles où le Roi se rendit dans cette Capitale, chaque mère se répandait en éloges, et disait à  un fils qu'elle serrait dans ses bras, regarde bien, mon enfant, regarde bien ces hommes-là , ce sont les Libérateurs de la Patrie ; ce sont eux qui ont mis fin à notre esclavage, et qui consacrent gênéreusement leurs veilles pour nous procurer un éternel bonheur. Chaque Décret qu'a porté cette assemblée de nouveaux tyrans, a été loué, applaudi, comme s'il eût été l'ouvrage de Minerve elle-même : mais, ô Peuple insensé ! est-ce que la sagesse d'un Décret qui supprime les chasses, si funestes à  tes moissons, qui détruit quelques abus, doit te faire regarder comme sages tant d'autres décrets qui te ruinent, qui t'ôtent le pain ?
Tous les bavardages que ces Messieurs ont fait sur les finances rendent-ils l'argent plus commun ? ne faut-il pas donner 60 liv. pour changer un billet de 1000 liv. ? Le payement des pensions se fait-il plus exactement qu'auparavant ? Français ! sois aveugle tant que tu voudras, fais-toi gloire de vanter la sagesse de tes Députés, de vanter leurs Décrets, je ne me laisse point entraîner par le torrent, et je dis hautement, dussé-je être pendu, que les Députés, à  quelques-uns près, sont gueux et voleurs comme les anciens Ministres, ou des sots indignes du choix que l'on a fait d'eux, puisqu'ils ne savent pas faire le bien. Après t'avoir montré bien clairement que l'Assemblée nationale n'a gueres fait que des sottises, je vais te montrer aussi clairement que la Commune de Paris ne travaille pas moins à  la ruine de la France, que l'Assemblée nationale elle-même. Qu'as-tu à  me dire de bien au sujet de la Commune ? Elle a reçu des sommes immenses pour remédier à nos maux, et elle ne les a employées en partie qu'à  des repas, à  des illuminations aussi scandaleuses qu'inutiles, à  faire chanter des Te Deum en réjouissance de tes malheurs. Elle n'a rendu compte de ces dépôts sacrés qu'aux Traiteurs, aux Marchands de vin et aux Catins, chez lesquels ils font passés. Voilà , Parisiens, ce que j'ai à  dire de moins désavantageux sur la Commune. Je sais que ceux qui jugent de sa probité par de séduisantes affiches exposées au Public, doivent avoir une haute idée d'elle ; mais je laisse ces placards aux sots, et j'examine de près leur conduite, qui ne me laisse voir en eux que des gueux qui nous dupent. Hélas ! de quelque côté que je me retourne, je ne vois qu'abus crians ; je ne rencontre que des scélérats qui nous trahissent.

On se récriait autrefois contre l'iniquité des Juges, contre des procédures odieuses, et l'on conserve aujourd'hui un Corps qui ne craint point, dans un temps de soi-disante liberté, de sacrifier indignement l'innocent. Un Marquis de Favras est soupçonné d'avoir trempé dans une conspiration, et le Châtelet le condamne à  expirer sur un échafaud. Un Bézenval, fieffé scélérat, est reconnu coupable ; mais il est l'ami de la Cour, il a de grands protecteurs, et il échappe aux supplices que lui avaient justement mérité la plus noire trahison. Après tant de scélératesses, qui pourrait ne pas trembler pour la perte entière de la France ?

A tous ces Corps, dont chacun doit se déclarer ennemi, il s'en joint un autre dans ce moment-ci qui semble nous réserver de nouveaux troubles. La Bazoche (*), qui, malgré ses promesses de fidélité à  la Nation, exprimées dans l'affiche du District des très-Petits-Pères, n'est composée que d'un tas de Clercs affamés, aboye et se fait placarder dans toutes les rues de Paris. Le désespoir de ne pouvoir plus montrer un patriotisme qui coûtait 7 à 800 liv. par jour, lorsqu'ils gardaient, à  Brie-Comte-Robert, leur cher ami Bézenval ; le chagrin de ne plus garder que des salles et des appartemens à  louer ; le désespoir d'avoir perdu la maison d'un Procureur, où ils faisaient l'apprentissage de voleurs, les porte à  faire du bruit, et à  exciter une contre-révolution.

Le Clergé, d'un autre côté, peu capable de sentimens d'honneur, a recours aux plus sourdes menées, pour se mainenir dans la plus scandaleuse opulence dans laquelle il était accoutumé de vivre. Un Évêque débauché, plus voluptueux qu'un Satyre, craint de voir diminuer des revenus qui servaient à  entretenir des concubines, à  payer une loge de Spectacle, à  afficher un luxe insultant.

Voilà, Français, les hommes, les scélérats sur lesquels sont fondés tes espérances. Peux-tu donc, de bonne foi, t'aveugler plus longtemps, et regarder comme tes bienfaiteurs ceux qui te dupent et te préparent les plus grands malheurs, en te donnant d'avance des Poissons d'Avril.

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(*) Basoche
1 - Nom d'une cour de justice, établie fort anciennement entre les clercs du parlement de Paris, pour juger les différends qui s'élevaient entre eux.
2 - L'ensemble des avoués et des clercs, leurs habitudes.

ÉTYMOLOGIE : Basilica, basilique, lieu où se tenaient les tribunaux. Ce qui prouve indubitablement cette étymologie, c'est que les lieux qui se nomment bazoche, bazoge, bazoque, s'appelaient en latin basilica : à Tours, l'église Saint-Martin de la basoche, en latin Sancti Martini basilica (Supplément aux chroniques de Touraine, p. 20). Basilica, avec l'accent sur si, et l'i bref dans li, a donné nécessairement, dans le vieux français, basilque, prononcé baseuque, basoque, basoche, etc.

 


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