D.R. BELAIR - RTMKB

 

 

 

 

CRIMES ET DÉLITS ÉLECTORAUX

 

PAR

 

GEORGES DE KÉGUELIN DE ROZIÉRES

AVOCAT A LA COUR D'APPEL

1904

 

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

CHAPITRE PREMIER

NATURE DES INFRACTIONS ÉLECTORALES. CONSÉQUENCES.

§ I. — Les infractions électorales sont-elles des délits contre la chose publique ou des délits contre les particuliers ?
§ II. — Les infractions électorales sont-elles des délits politiques ou des délits de droit commun ?
§ III. — Les infractions électorales sont-elles des délits spéciaux ou des délits ordinaires ?

CHAPITRE II

LÉGISLATION PÉNALE ÉLECTORALE AVANT LA PROCLAMATION DU SUFFRAGE UNIVERSEL

CHAPITRE III

LÉGISLATION PÉNALE ÉLECTORALE DEPUIS LA PROCLAMATION DU SUFFRAGE UNIVERSEL

§ 1. Infractions relatives à l'établissement des listes électorales
§ II. Infractions relatives à la légalité du vote.
§ III. Infractions relatives à la sincérité du scrutin
§ IV. Infractions relatives à l'expression des suffrages. Corruption. Contraintes. Manoeuvres destinées à égarer l'opinion

1. Délits s'exerçant par des moyens dirigés contre les électeurs pris individuellement
2. Délits s'exerçant par des moyens dirigés contre les électeurs pris collectivement

§ V. Infractions relatives à l'accomplissement des opérations électorales
§ VI. Loi du 30 mars 1902. Vote obligatoire. Candidatures multiples.

CHAPITRE IV

PORTÉE D'APPLICATION DES DIFFÉRENTS TEXTES RELATIFS AUX INFRACTIONS ÉLECTORALES

CHAPITRE V

ACTION PUBLIQUE ET ACTION CIVILE. PRESCRIPTION. CUMUL DES PEINES

 

 

 

CRIMES ET DÉLITS ÉLECTORAUX

INTRODUCTION

Le fonctionnement régulier de toute institution sociale doit trouver sa sauvegarde dans la répression des actes qui pourraient lui porter atteinte. Cette répression apparaît d'autant plus nécessaire que les institutions à protéger sont plus importantes. Or, parmi celles qui régissent un pays dans lequel la démocratie a sa place, au premier rang se trouve l'élection. Son importance, toujours considérable, augmente en même temps que se développe l'institution elle-même : elle s'affirme davantage à mesure que le droit de suffrage a plus d'applications et appartient à un plus grand nombre ; elle devient tout à fait capitale dans un État constitué comme la France actuelle, où la souveraineté nationale a son expression dans le suffrage universel.

Dans notre Démocratie, l'élection par le suffrage universel est à la base du système politique tout entier. Il n'y a pas une autorité qui n'en relève directement ou indirectement : les membres de la Chambre des députés sont élus directement par le peuple ; l'élection des membres du Sénat est faite par un collège spécial il est vrai, mais composé d'électeurs qui trouvent dans le suffrage populaire le principe de leurs pouvoirs ; à leur tour, la Chambre des députés et le Sénat ainsi formés se réunissent en Assemblée nationale pour élire le Président de la République qui est le chef du Pouvoir Exécutif de qui dépend toute la hiérarchie administrative et judiciaire ; enfin, c'est du suffrage universel direct que sortent les assemblées municipales et départementales.

Si maintenant on considère que la souveraineté réside dans le peuple et qu'elle s'exerce par le moyen des suffrages, chaque vote apparaît comme une manifestation de la souveraineté. Donc, si l'élection, qui n'est que l'ensemble des opérations auxquelles le vote donne lieu, est influencée, c'est la souveraineté elle-même qui est atteinte. Cela constitue un crime de lèse-majesté. Voilà un premier motif pour veiller à la régularité des opérations électorales : il est tiré de l'essence même du vote. Il y a une seconde raison, celle-là puisée dans les conséquences du vote : c'est la prédominance du rôle joué dans l'État par les autorités qui sont issues des élections. Toute élection, en effet, quelle qu'elle soit, est la source d'une force qui, selon qu'elle s'exercera avec sagesse ou imprévoyance aura pour le pays des effets bienfaisants ou néfastes.

C'est à une consultation sur le choix de ceux qui paraissent à leurs concitoyens los plus aptes à préparer les effets bienfaisants que concourent les opérations électorales. Ainsi abandonnée au jugement d'un grand nombre, au lieu que le soin en appartienne à une autorité arbitraire, cette désignation doit, pour n'avoir pas d'inconvénients, résulter d'un vote éclairé et indépendant qui ne soit faussé ni dans sou principe par une usurpation de droits, ni dans son expression par des contraintes matérielles ou morales, ni dans son effet par l'altération des suffrages exprimés. On conçoit donc la nécessité de donner aux élections une protection efficace. Pour l'assurer, il fallait une législation prévoyante et une répression sévère. La loi a prévu les violences et les fraudes auxquelles les partis rivaux pouvaient être tentés de recourir pour faire prévaloir la candidature de leur choix et elle a puni les infractions, selon leur gravité, de peines afflictives infamantes ou correctionnelles : ce sont les crimes et les délits électoraux.

Ils forment, dans notre législation, une catégorie dont la caractéristique est l'atteinte au résultat normal des élections. Nous réunirons dans cette étude, pour les analyser, tous les textes qui les prévoient. Auparavant, nous envisagerons les infractions électorales dans leur ensemble pour en dégager la physionomie générale et en préciser la nature.

CHAPITRE PREMIER

NATURE DES INFRACTIONS ÉLECTORALES

CONSÉQUENCES

On a fait des délits en général de nombreuses classifications, selon qu'on les a envisagés sous une de leurs faces ou sous une autre. Nous ne reprendrons pas toutes ces divisions dans le but de placer les infractions électorales d'un côté ou de l'autre dans chacune d'elles successivement. Cela serait, dans bien des cas, sans intérêt. On se trouverait même, parfois, dans l'impossibilité de se décider, car nos délits étant ici envisagés dans leur collectivité on ne pourrait pas toujours les porter tous en bloc soit dans un sens, soit dans l'autre. Mais nous nous arrêterons aux trois classifications suivantes, parce qu'en même temps que leurs termes sont assez compréhensifs pour s'appliquer à tous nos délits, elles serviront à faire connaître, le caractère spécial du groupe dont nous nous occupons :

Délits contre la chose publique et délits contre les particuliers ;
Délits politiques et délits de droit commun ;
Délits spéciaux et délits ordinaires. Plus particulièrement la classification en délits politiques et de droit commun retiendra notre attention.

§ I. — Les infractions électorales sont-elles des délits contre la chose publique ou des délits contre les particuliers ?

Il n'y a pas de difficulté pour prendre parti entre le côté réservé aux atteintes contre la chose publique et celui où se rangent les atteintes contre les particuliers. L'infraction électorale est assurément un délit contre la chose publique. Nous savons, en effet, que les élections ont pour but de fournir aux pouvoirs de l'État les éléments nécessaires à leur organisation. Elles remplissent le cadre auquel la Constitution n'a donné que la forme ; elles l'animent et lui donnent en quelque sorte la vie. Or on a voulu que la volonté de la majorité se retrouve dans l'activité de quelques-uns : pour cela, on a combiné une série d'opérations qui doivent avoir lieu dans la forme et dans l'ordre établis. C'est bien évidemment pour le plus grand avantage de tous que cette organisation a été prévue. On a recherché le bien commun par tous les moyens propres à le réaliser et toutes les précautions prises concourent à cette fin. Ainsi, le trouble jeté dans les opérations dont on attend le bien général affecte incontestablement la chose publique. Prétendre le contraire serait dire qu'à côté de l'intérêt général il y a un intérêt privé lequel ne se concevrait alors que dans un avantage personnel fait à l'élu, avantage qu'une manoeuvre pourrait lui faire perdre au profit d'un concurrent plus heureux. Cela est inadmissible et l'existence d'une action civile spéciale, sur la nature de laquelle nous reviendrons, dans une matière où l'action civile de droit commun sera difficilement recevable, ne change rien à cette situation. En effet, si des dommages et intérêts peuvent être alloués à l'occasion des crimes ou délits électoraux, la loi n'autorise à les réclamer que les électeurs du collège ayant procédé à l'élection qui a donné lieu à ces crimes ou délits. La limitation à ces électeurs du droit d'exercer l'action civile indique suffisamment que c'est le citoyen lésé et non le particulier qui agit.

En soi, cette distinction en délits contre la chose publique et contre les particuliers ne conduit pas à des différences pratiques. Pour cette raison, nous aurions, peut-être, cru pouvoir la passer sous silence si, en la signalant, nous n'avions, du moins, pensé éclairer une face de notre sujet et préparer naturellement la classification en délits politiques et de droit commun à laquelle nous arrivons

§ II. — Les infractions électorales sont-elles des délits politiques ou des délits de droit commun ?

On pourrait être tenté de croire que, d'une part, délits contre la chose publique et délits contre les particuliers, d'autre part, délits politiques et délits de droit commun, ne sont que des mots différents pour exprimer une seule idée. Les deux classifications sont cependant bien distinctes, mais l'illusion vient de ce que, dans leurs termes opposés,, elles sont réciproquement des réductions l'une de l'autre. En effet, si des délits contre la chose publique on retranche quelques infractions, il reste l'ensemble des délits politiques, et si Ton ajoute les infractions ainsi retranchées aux délits contre les particuliers, on forme l'ensemble des délits de droit commun. De sorte que s'il n'est pas exact de considérer tous les délits qui affectent la chose publique comme appartenant à la classification des délits politiques, on peut dire avec vérité que tous les délits politiques sont compris dans la division des délits contre la chose publique.

On le voit, dans un de ses termes, notre nouvelle classification est comme une sous-division de la précédente. Demandons-nous donc si les infractions électorales que nous savons appartenir aux délits contre la chose publique font partie des délits politiques ou restent en dehors de cette sous-division.

Les infractions électorales sont assurément des délits politiques ; ils affectent la chose publique dans sa partie la plus caractéristique, dans celle qui est faite des intérêts propres aux seules organisations sociales et qui n'ont pas d'existence en dehors d'elles. Ce sont les intérêts immatériels de la Nation, ses droits de souveraineté qui sont en jeu et c'est bien là ce qui constitue le caractère politique proprement dit.

Si cette démonstration avait besoin d'être soutenue par l'autorité de la loi positive, nous trouverions un texte dans une loi d'octobre 1830, car si le législateur n'a pas cru devoir définir les délits politiques, il a cependant été amené à nous les signaler. La Constitution du 14 août 1830, dans son article 69, posait le principe de l'attribution au jury des délits politiques et elle décidait qu'il serait pourvu à cet objet par une loi très prochaine. Moins de deux mois après elle était faite : c'est la loi du 8 octobre 1830. Par son article 6, elle attribue connaissance des délits politiques aux Conrs d'assises et, dans son article 7, à défaut d'une définition, elle donne une énumération qui, limitative on non, renferme en tout cas les délits électoraux. Voici le texte de cet article dans sa partie relative à notre sujet :

« Sont réputés politiques les délits prévus : 1e par les chapitres I et II, du titre I, du livre III, du Code pénal..... »

Or le chapitre II commence par une section intitulée : « Des crimes et délits relatifs à l'exercice des droits civiques », section dans laquelle sont groupés tous les délits électoraux prévus à cette époque.

Enfin le caractère politique des infractions électorales a été reconnu par la jurisprudence : Cass 24 juin 1836, Etchebarne-, 28 janvier 1841, Farce ; 5 décembre 1846, Drouillard ; 15 juin 1848, .foraid ; 9 janvier 1851, Ortoli.

Ainsi, aucun doute ne peut exister, les délits électoraux sont bien des délits politiques. Cela reconnu, demandons- nous quelles sont les conséquences de cette constatation-La distinction en délits politiques et délita de droit commun offre de l'intérêt à plusieurs points de vue : les règles de compétence ne sont pas toujours les mêmes ; certaines peines ne sont appliquées qu'aux infractions politiques ; les lois sur la récidive renferment des dispositions différentes quand il s'agit des délits politiques ou « les délits de droit commun, tant pour la relégation que pour le sursis à l'exécution de la peine ; l'intérêt existe encore au point de vue de l'amnistie, de l'extradition , de certaines incapacités pour lesquelles le législateur ne fait pas entrer eu ligne de compte les délits politiques, et de la procédure pour les flagrants délits.

Reprenons chacun de ces points et voyons, dans chaque ordre d'idées, les conséquences qui résultent pour les infractions électorales de leur caractère politique.

Compétence. — Les règles ordinaires de compétence ont d'abord été appliquées aux infractions électorales comme aussi à toutes les infractions politiques : s'il s'agissait d'un crime, la Cour d'assises était appelée à statuer ; s'il s'agissait d'un délit stricto sensu, le Tribunal correctionnel était compétent. C'était l'application pure et simple des articles 179 et 231 du Code d'instruction criminelle combinés avec les articles 6 à 9 du Code pénal. D'ailleurs, avant la Révolution de Juillet, la distinction en infractions politiques et de droit commun, qui a pris depuis une importance si grande, n'existait guère pratiquement.

En 1830, sous l'impulsion d'un mouvement libéral, un changement se produisit : tous les délits politiques furent soumis au jury. Nous avons déjà signalé la loi du 8 octobre 1830 qui réalise cette modification aux lois ordinaires de la compétence et nous savons que l'article 7. de cette loi prévoit spécialement les délits électoraux. Ceux-ci suivent donc le sort de la grande catégorie à laquelle ils appartiennent et, désormais, qu'il y ait crime ou délit la Cour d'assises est compétente. Cette compétence exceptionnelle est confirmée pour les délits électoraux par l'article 117 de la loi électorale du 15 mars 1849.

La situation reste la même jusqu'en 1852, mais pendant la période dictatoriale qui suivit le Coup d'État du 2 décembre, deux décrets furent rendus qui remirent les choses dans l'état dans lequel elles se trouvaient avant 1830.
— On sait que les décrets rendus entre le 2 décem bre 1851 et le 29 mars 1852 ont force de loi en vertu de pouvoirs spéciaux donnés au Président de la République par l'article 58 de la Constitution du 14 janvier 1852.
— Le premier de ces deux décrets-lois porte la date du 2 février 1852. Il a pour titre : « Décret organique pour l'élection des Députés au Corps législatif. » Après avoir prévu les crimes et les délits, il décide, dans son article 48, que les premiers seront jugés par la Cour d'assises et les seconds par le Tribunal correctionnel.

Ainsi, le sort des délits électoraux est séparé de celui des délits politiques pris dans leur ensemble. Mais cette séparation eut une courte durée. Le 25 du même mois, le second décret auquel nous avons fait allusion enlevait à lu compétence des Cours d'assises la collectivité des délits politiques.

Depuis, un retour à la législation de 1830 a eu lieu : les délits de presse notamment ont été rendus au jury, mais cette mesure n'a pas atteint les délits électoraux qui, depuis 1852, n'ont pas cessé de dépendre des Tribunaux correctionnels.

Signalons toutefois qu'un décret rendu le 27 octobre 1870 par le Gouvernement de la Défense nationale attribue au jury la connaissance de tous les délits politiques, mais ce décret, n'ayant pas été promulgué régulièrement, n'a pas force obligatoire. Ainsi l'a jugé la Cour de cassation dans un arrêt du 30 décembre 1870 (S. 1878, I, 195.). Il n'a donc tenu qu'à une question de forme que le délits électoraux ne fussent soumis de nouveau a la compétence des Cours d'assises.

Pénalités. — Les peines correctionnelles sont les mêmes en matières politique et de droit commun : l'emprisonnement et l'amende sont applicables à tous les délits. Les délits électoraux ne sauraient donc être punis d'autres peines que de la prison et de l'amende.

Les peines criminelles, au contraire, sont généralement différentes selon la nature des infractions qu'elles répriment. C'est ainsi que le Code pénal de 1810 réservait la déportation, le bannissement et, en tant que peine principale, la dégradation civique aux crimes politiques. A ces trois peines, la loi de révision de 1832 ajouta la détention, et la loi du 8 juin 1850 établit la déportation dans une enceinte fortifiée pour remplacer la peine de mort abolie, en matière politique, en 1848. Si l'on combine les textes qui prévoient ces différentes peines avec l'article 463 du Code pénal, on arrive à la formation d'une échelle spéciale qui, dans l'ordre de gravité descendante, se compose de la déportation dans une enceinte fortifiée, de la déportation simple, de la détention, du bannissement et de la dégradation civique.

Toutes ces différentes pénalités sanctionnent exclu sivement les crimes politiques. Mais il n'y a pas réci procité, et les crimes politiques ne sont pas réprimés par les seules peines politiques. Il y a des crimes qui sont politiques par leur nature et qui sont punis de peines de droit commun : c'est le cas des crimes électoraux ; les travaux forcés à temps et la réclusion, deux peines de droit commun, leur sont applicables. Par cette désignation de peines, le législateur a-t-il voulu donner à entendre que les crimes électoraux ne sont pas des crimes politiques ? Non, assurément, car il ne dépend de personne qu'un acte ait, ou n'ait pas, un caractère politique ; les crimes électoraux sont des crimes politiques par eux-mêmes et en dehors de toute-volonté des autorités législatives.
Alors, quelle explication peut-on donner de cette anomalie : crimes politiques punis de peines de droit commun ?

Dira-t-on que celles des infractions électorales qui sont qualifiées crimes participent dans une certaine mesure de la nature des infractions de droit commun et que le côté politique disparaît devant l'autre ? Qu'ainsi l'irruption dans un collège électoral en vue d'empêcher un choix, acte qui en lui-même est considéré comme un délit, devient un crime puni de la réclusion si les auteurs sont porteurs d'armes ? Mais, outre que le port d'armes, en dehors, bien entendu, de l'usage qui en serait fait, est une inlraction d'une gravité très inférieure comparativement à l'atteinte portée à la liberté des suffrages, remarquons que la peine de la réclusion est aussi applicable à la même irruption faite sans armes, mais suivie de la violation du scrutin, ce qui a bien alors un caractère exclusivement politique.

Peut-être pourrait-on faire intervenir ici un caractère des infractions électorales dont nous parlerons plus loin et dire que la législation qui régit la matière étant une législation spéciale par opposition à la législation ordinaire, les règles généralement appliquées ont pu être négligées sans qu'il y ait lieu d'y trouver une anomalie. Les apparences seraient en faveur de cette explication, car on constate que les crimes électoraux prévus par le Code pénal, lequel constitue la législation pénale ordinaire, ont été punis de peines politiques, tandis que c'est seulement depuis la loi du 15 mars 1849, première loi spéciale en la matière, que sont appliquées des peines criminelles de droit commun.

Mais l'omnipotence du Pouvoir législatif doit, sans doute, dispenser de toute autre recherche, et cette simple constatation est peut-être encore la meilleure explication.

Récidive.— La récidive est la rechute d'un condamné. Cette rechute indique chez le délinquant une perversité particulière contre laquelle la société doit se mettre en garde. On appréciera donc dans quels cas la récidive est particulièrement dangereuse et l'on prendra vis-a-vis de ceux qui se seront placés dans les conditions que l'on aura prévues, des mesures spéciales.

Puisque la sévérité moyenne que l'on a apportée dans la première répression n'a pas suffi à amender le coupable, on usera, après une seconde faute, d'une plus grande rigueur. Lorsque le nombre ou la gravité des infractions commises indiquera une criminalité incorrigible constituant dès lors un danger social permanent, on mettra le récidiviste assez loin pour que la société n'ait plus à redouter ses coups. Enfin, il ne sera plus question, pour le récidiviste, des dispositions que la loi abandonne à la clémence du juge lorsque l'on peut encore espérer que la faute commise a été le résultat d'une erreur passagère.

Le Code pénal a pourvu à la première de ces mesures par ses articles 56 à 59, qui indiquent dans quels cas il y a récidive au sens légal du mot, et règlent les conséquences de cette rechute. La deuxième est prévue dans la loi du 27 mai 1885, qui institue la relégation. La troisième résulte de la non applicabilité aux récidivistes des dispositions de la loi qui autorise le sursis à l'exécution de la peine.

Mais faut-il traiter de la même façon les récidivistes de droit commun et les récidivistes politiques ? Il n'y a certainement pas dans les actes des uns et dans ceux des autres une semblable immoralité. Tel qui, doué d'une saine conscience, éprouverait des remords à la suite d'une seule infraction de droit commun, tirera quelquefois vanité d'une série de condamnations politiques ; et l'on doit reconnaître que l'infraction politique peut être le résultat de l'exaltation de sentiments respectables. En outre, comme ce genre d'infractions affecte seulement la forme de la société et non la société ellemême, le danger social qui en résulte est moins grand que dans les cas d'infractions de droit commun. Bien entendu, comme tout crime ou tout délit apporte un trouble dans l'ordre existant, il est indispensable de les réprimer, quel que soit leur caractère ; mais on comprend que le législateur ait tenu compte des considérations que nous venons d'indiquer pour affranchir la récidive politique de quelques-unes des conséquences de la récidive de droit commun.

C'est sur les deux dernières mesures indiquées plus haut que porteront les différences. Quant à la première, elle aura l'application la plus générale, ce qui n'est pas sans prêter à la critique.

Examinons successivement chacune de ces mesures en faisant application de leurs dispositions au délits électoraux.

A. — Les articles 56 à 59 du Code pénal ne distinguent pas la récidive politique de la récidive de droit commun. Qu'il s'agisse d'infractions de l'une ou de l'autre nature, toutes se combinent indifféremment pour constituer la récidive et entraîner les conséquences qui y sont attachées. Il en résulte qu'une première condamnation pour une infraction électorale suivie d'une infraction de droit commun place celui qui s'en est rendu coupable en état de récidive et que, réciproquement, une condamnation de droit commun suivie d'une infraction électorale rend le coupable passible d'une plus grande sévérité. Voilà la règle dans toute sa rigueur.

Il est vrai, que dans l'état actuel de notre législation les conséquences en sont tout à fait annihilées s'il s'agit d'un délit stricto sensu venant à la suite d'une condamnation pour un premier délit. En effet, depuis la loi du 26 mars 1891 la récidive n'existe de délit à délit que si la seconde infraction est la même que la première. La conséquence de cette nouvelle disposition est que pour qu'un délit de droit commun, par exemple, engendre la récidive, il faut nécessairement que le premier délit soit un délit de droit commun puisque ce doit être le même.

Mais si la récidive, au lieu d'être de délit à délit, est de crime à crime, la situation n'est plus la même, et c'est ici que Ton peut trouver la loi critiquable. Supposons deux personnes commettant un même crime de droit commun, toutes deux après avoir été condamnées à une peine affiictive et infamante, mais l'une pour crime de droit commun, et l'autre pour crime électoral, par conséquent politique. Il semble bien qu'il n'y ait pas chez la seconde la même perversité que chez la première. Cependant, toutes les deux pourront être punies de la même peine de droit commun aggravée. L'élévation de la peine aura lieu également si c'est le crime électoral qui est commis le second. Dans ce cas, la disposition de la loi paraît encore plus rigoureuse parce qu'à une première sévérité, qui consiste, comme nous l'avons déjà fait remarquer, à punir la plupart des crimes électoraux de peines de droit commun, s'en ajoute une seconde qui est l'aggravation d'une peine déjà exceptionnelle. Puisqu'on a établi deux échelles distinctes de peines criminelles, ne peut-on pas s'étonner qu'une condamnation à une peine prise dans une échelle puisse servir à élever une peine qui appartient à l'autre. Ne serait-il pas plus rationnel de traiter la récidive politique et la récidive de droit commun séparément ? Le principe qui domine les lois sur la matière n'en soulTrirait pas. Pourquoi, en effet, un condamné est-il, en cas de nouvelle infraction, puni d'une peine plus forte ? C'est parce que sa persévérance dans le crime le présente à la société comme un incorrigible. Or, on ne peut pas dire qu'un criminel politique qui commet un crime de droit commun, soit un incorrigible puisqu'il n'a commis qu'une seule faute politique et qu'une seule faute de droit commun.

Ce qui vient d'être dit de la récidive de crime à crime peut être répété pour la récidive de crime à délit.

B. — La seconde mesure dont nous avons à nous occuper est la relégation. La relégation est une peine accessoire instituée pour éloigner de la société un individu réputé dangereux. Aux termes mêmes de la loi, elle consiste « dans l'internement perpétuel sur le territoire de colonies ou possessions françaises. » Ceux qui s'y trouvent soumis sont l'objet d'une surveillance spéciale et sont astreints au travail s'ils n'ont pas de moyens de subsistance dûment constatés.

On le voit, c'est une peine qui, pour être accessoire, n'en est pas moins très sévère, plus sévère même qu'une peine principale qui la rappelle beaucoup, je veux dire le bannissement. Mais le bannissement est une peine politique, et nous allons voir que la relégation ne s'applique pas aux condamnés politiques. L'article 3 de la loi du 27 mai 1885 est, en effet, ainsi conçu : « Les condamnations pour crimes et délits politiques ou pour crimes et délits qui leur sont connexes ne seront, en aucun cas, comptés pour la relégation. »

Ainsi, ni les crimes ni les délits électoraux ne doivent entrer en ligne de compte lorsqu'il s'agit de prononcer la relégation. Cela veut dire non seulement que les infractions électorales ne se combinent pas avec les infractions de droit commun pour former le nombre exigé par la loi, mais encore, que même si ce nombre était formé par toutes infractions électorales, il n'y aurait pas lieu à la relégation. En un mot, la relégation ignore les infractions politiques. Ici, le législateur a complètement séparé le sort des délinquants politiques du sort des délinquants de droit commun. Il faut en voir l'explication dans la date récente de la loi qui nous occupe, et la cause dans l'évolution de l'idée qui tend à reconnaître dans chaque individu comme deux personnes distinctes : la personne politique et la personne de droit commun.

C. — Nous retrouvons la même idée dans l'article 1er de la loi du 26 mars 1891, qui réalise la troisième mesure à laquelle nous avons fait allusion. On connaît les dispositions de cet article qui constitue la principale innovation de la loi vulgarisée sous le nom de Loi Béranger : tout condamné à l'amende ou à la prison peut obtenir le sursis à l'exécution de sa peine, s'il n'a pas été condamné antérieurement à la prison, ou à une peine plus forte, pour infraction de droit commun ; si, dans les cinq ans qui suivent le jugement ordonnant le sursis, il n'y a pas rechute du condamné dans une infraction de droit commun entraînant une condamnation au moins à la prison, la première faute sera entièrement oubliée ; mais s'il y a récidive dans les conditions indiquées, non seulement un nouveau sursis ne sera pas possible, mais la seconde condamnation entraînera l'exécution des deux peines. Voici d'ailleurs le texte de l'article 1er de la loi :

« En cas de condamnation à l'emprisonnement ou à l'amende, si l'inculpé n'a pas subi de condamnation antérieure à la prison pour crime ou délit de droit commun, les Cours et Tribunaux peuvent ordonner, par le même jugement et par décision motivée, qu'il sera sursis à l'exécution de la peine. Si pendant le délai de cinq ans, à dater du jugement ou de l'arrêt, le condamné n'a encouru aucune poursuite suivie de condamnation à l'emprisonnement ou à une peine plus grave pour crime ou délit de droit commun, la condamnation sera comme non avenue. Dans le cas contraire, la première peine sera d'abord exécutée, sans qu'elle puisse se confondre avec la seconde. »

Il en résulte que les délinquants politiques, parmi lesquels sont les délinquants électoraux, sont dans une situation privilégiée par rapport aux délinquants de droit commun. Après avoir été condamnés, même à la prison, ils peuvent encore obtenir le bénéfice de la loi de sursis pour une infraction de droit commun. D'un autre côté, ils ne perdent pas, s'ils sont condamnés à la prison, le bénéfice d'un sursis antérieurement accordé pour infraction de droit commun.

On pourrait même être tenté de dire, si l'on s'en tenait strictement à la lettre de la loi, que le sursis peut être accordé indéfiniment pour les délits politiques puisque, dans une série, si longue soit-elle, de condamnations pour infractions de cette nature, on ne se trouve jamais dans le cas d'une condamnation antérieure pour crime ou délit de droit commun. Mais cette interprétation nous semble difficile à admettre. Elle parait, en effet, en opposition avec l'esprit de la loi qui est manifestement d'amender par l'indulgence les délinquants primaires et non de permettre qu'un récidiviste puisse échapper indéfiniment à l'exécution de sa peine.

Rien, au contraire, ne s'oppose à ce que le sursis soit accordé successivement pour deux délits, l'un politique, l'autre de droit enmmun, si l'ordre dans lequel ils se produisent permet l'application du sursis. Voyons donc comment sera traitée la récidive lorsque l'on passera d'une infraction électorale à une infraction de droit commun et inversement. Supposons d'abord le cas d'une infraction électorale suivie d'une infraction de droit commun. La question est de savoir : si la première condamnation mettra obstacle à ce que le sursis puisse être ordonné pour la seconde ; si la deuxième condamnation entraînera l'exécution de la peine prononcée par la première.

Sur le premier point, répondons négativement puisque la condamnation antérieure prononcée contre le délinquant ne l'a pas été pour une infraction de droit commun, et remarquons que cela est vrai lorsque le sursis a été accordé à la suite de l'infraction électorale aussi bien que dans le cas où il a été refusé.

Mais lorsque le sursis aura été accordé par le juge de l'infraction électorale, si le juge de l'infraction de droit commun ne croit pas devoir user de son droit d'indulgeuco, il résulte de l'interprétation stricte de la loi que le bénéfice du premier jugement sera perdu et que les deux peines seront exécutées. Cette conséquence est assez inattendue, car on s'explique mal cette alternative dans laquelle le juge se trouve placé d'avoir à ordonner, un nouveau sursis ou de devoir prononcer une peine qui, si légère soit-elle, se grossira de tout ce que contient la première condamnation. Cependent, il faut bien admettre cette solution en présence des termes de l'article 1er de la loi qui dispose, sans s'occuper de la nature du délit, que la condamnation sera non avenue si, pendant cinq ans, il n'y a pas de poursuite suivie de condamnation pour infraction de droit com mun, mais « que, dans le cas contraire, la première peine sera d'abord exécutée sans qu'elle puisse se confondre avec la seconde ». On arrive ainsi à ce résultat singulier qu'une condamnation pour infraction de droit commun entraîne l'exécution d'une peine prononcée pour infraction politique.

L'examen de la situation inverse à celle que nous venons d'envisager nous conduira aussi à des consé-quences inattendues. Au lieu que l'infraction électorale précède l'infraction de droit commun, supposons le cas d'une infraction de droit commun suivie d'une infraction électorale. Nous avons ici, comme précédemment, deux questions à résoudre : celle de la possibilité d'un sursis pour la deuxième condamnation et celle du cumul des peines.

Répondant sur le premier point, nous dirons que le tribunal, statuant sur l'infraction politique, ne peut pas ' accorder le sursis parce que le délinquant a été condamné antérieurement pour infraction de droit commun. Il n'y a donc pas réciprocité. Tout à l'heure nous avons vu qu'un individu commettant successivemente deux délits, le premier politique, le second de droit commun, peut obtenir deux sursis ; nous voyons, maintenant, qu'un individu commettant successivement les deux mêmes délits, mais commençant par l'infraction de droit commun, ne peut obtenir qu'un seul sursis. On objectera peut-être que la situation de ces deux délinquants n'est pas la même et qu'eu se présentant devant les juges. Us y arrivent avec des condamnations qui rendent leur casier judiciaire plus ou moins accablant. Cela est vrai, mais il faut observer que si les premières condamnations qui sont à l'actif de l'un et de l'autre ne sont pas de même gravité, les deuxièmes infractions commises par eux rétablissent l'égalité.

Sur le second point, celui du cumul : si la peine prononcée par le deuxième jugement doit nécessairement être subie, par contre, le bénéfice du premier sursis ne sera jamais perdu et le cumul n'aura pas lieu. Sur ce point encore, la réciprocité n'existe pas entre notre hypothèse et l'hypothèse précédente ; mais, au lieu que notre cas s'en trouve aggravé, il profite, au contraire, d'un avantage. On n'en est pas moins frappé de cette différence de situation entre deux délinquants ayant commis les mêmes infractions, l'un encourant le cumul des peines parce qu'il a commencé par l'infraction politique et l'autre ne purgeant que la deuxième condamnation parce qu'il s'est d'abord rendu coupable de l'infraction de droit commun.

Ces résultats, qui peuvent ne pas paraître se déduire toujours d'un principe bien dégagé, auraient plus d'harmonie si la personne politique était tout à fait distincte de la personne de droit commun, ce qui ne serait d'ailleurs que le point terminus de l'évolution dont nous avons signalé plus haut la marche progressive.

Amnistie. — L'amnistie est une mesure inspirée par la clémence et par l'intérêt. Il y a certaines lois dont l'inobservation est due très peu à la criminalité de ceux qui les méconnaissent et beaucoup à leur entraînement. Dans les moments de troubles, les infractions á ces lois deviennent particulièrement fréquentes, mais, en tout temps, la fièvre de la vie publique entretient leur transgression. Les condamnations qui en résultent ont pour effet de comprimer les débordements, mais elles font aussi naître les rancunes ; elles restent comme un ferment de nouveaux désordres et comme une amorce à de nouvelles infractions. En intervenant à propos, l'amnistie évitera ou retardera leur retour. Son but est l'apaisement par l'oubli. Le passé oublié, il en résultera une détente et l'on pourra espérer une trêve d'un moment.

Le caractère de l'amnistie indique suffisamment qu'elle aura son application principalement pour les infractions politiques, et, de fait, bien que rien ne s'oppose à ce que les lois d'amnistie comprennent des infractions de droit commun, il est rare qu'elles s'étendent à ces dernières. Au contraire, les infractions politiques s'y retrouvent en grand nombre et, parmi elles, sinon toutes les infractions électorales, du moins les plus fréquemment commises et les moins graves, les délits et les contraventions.

En prenant les lois les plus récentes relatives à l'amnistie, on voit qu'ils y ont leur place. L'article ler de la loi du 19 juillet 1889 est ainsi conçu :
« Amnistie pleine et entière est accordée pour toutes les condamnations prononcées ou encourues au 14 juillet 1889 à raison... de délits et contraventions en matière électorale ».

La loi du 1er février 1895 dispose aussi dans son arti cle 1er que : « Amnistie pleine et entière est accordée pour toutes les condamnations prononcées ou encou rues jusqu'au 28 janvier 1895 à raison............ de délits et contraventions en matière électorale ». C'est le cliché de la loi précédente qui est ici reproduit.

Enfin, la loi du 27 décembre 1900 accorde amnistie pleine et entière, pour les faits antérieurs au 15 décembre 1900, aux délits et contraventions prévus et punis par la loi du 17 juillet 1889 et par le titre IV du décret du 2 février 1852 ». Or la loi du 17 juillet 1889 est relative aux candidatures multiples et le titre IV du décret du 2 février 1852 est, comme nous le verrons bientôt une sorte de Code pénal électoral.

Ce n'est pas à dire que, par leur caractère, les délits électoraux aient droit de cité dans les lois d'amnistie ou que l'habitude de les y admettre leur donne un droit acquis à y figurer. Le législateur est toujours libre d'apprécier ce qu'il convient de faire à leur égard, et, s'il s'est trouvé au parlement des orateurs pour soutenir leur cause, il s'en est trouvé aussi pour la combattre.

Dans la séance de la Chambre des députés du 6 juillet 1889 le rapporteur s'exprimait ainsi au nom de la Commission chargée de l'examen du projet qui est devenu la loi du 19 juillet 1889 : » Assurément les délits électoraux commis contre le suffrage universel soulèvent une juste réprobation. Nous avons pourtant été d'accord pour les amnistier. On ne peut nier, en effet, d'une part, qu'ils ne soient inspirés par l'esprit de parti, d'autre part, qu'il ne soit très difficile d'exclure absolument l'esprit de parti de la répression qui les frappe ».

Une manière de voir moins indulgente a été exprimée pendant la discussion de la loi du 1er février 1895, par un membre de la Chambre des députés, dans la séance du 28 janvier 1895. Voici le passage relatif à cette opinion : « Je suis résolument partisan de l'amnistie en matière politique, au moinsdans les circonstances actuelles où il est évident que la sûreté de l'État ne court aucun danger. Mais il ne semble pas que nous soyons également intéressés à couvrir d'une indulgence au moins inutile les délits commis en matière électorale qui portent un si grave préjudice au bon renom des institutions. Pour ma part, il me semble que nous devrions nous montrer de plus en plus sévères pour ceux qui ont introduit la fraude dans les opérations électorales lesquelles sont la base de tous les pouvoirs en France ».

A la vérité, l'amnistie qui efface le délit politique ne doit pas être accordée trop fréquemment. Si elle était périodiquement certaine, elle perdrait son caractère de mesure d'apaisement social pour devenir un encouragement au désordre puisqu'elle serait comme un blancseing accordé d'avance aux délinquants.

Extradition. — L'extradition est l'acte par lequel un État sur le territoire duquel un délinquant s'est réfugié, livre celui-ci à un autre État qui a qualité pour le réclamer.

Cette institution dont il faut chercher la source dans la solidarité internationale, a, selon les temps, singulièrement varié dans son application. Alors que l'histoire nous apprend qu'autrefois et jusqu'au xix siècle les infractions qui donnaient lieu à l'extradition étaient celles qui avaient le caractère le plus politique, nous voyons qu'à notre époque, la règle est entièrement renversée et que les iufractions politiques sont celles pour lesquelles l'extradition n'est jamais demandée et ne serait pas accordée. De nos jours, les gouvernements se sentent assez forts pour ne pas poursuivre leurs ennemis au-delà des frontières, et, de plus, le paysde refuge comprend bien qu'il ne court pas grand danger de la présence sur son territoire d'un individu coupable d'avoir attaqué les institutions du voisin.

On lit, dans une circulaire ministérielle du 5 avril 1841, le passage suivant qui, inspiré par des considérations un peu différentes, pose bien le principe en ce qui concerne notre pays : « Les crimes politiques s'accomplissent dans des circonstances si difficiles à apprécier, ils naissent de passions si ardentes qui souvent sont leur excuse, que la France maintient le principe que l'extradition ne doit pas avoir lieu pour faits politiques. C'est une règle qu'elle met son honneur à soutenir. Elle a toujours refusé, depuis 1830, de pareilles extraditions, elle n'en demandera jamais » L'avenir n'a pas démenti les promesses du ministre de 1841 et toutes les conventions d'extradition passées avec les puissances étrangères contiennent une clause écartant expressément les infractions politiques. (Conventions : avec les ÉtatsUnis d'Amérique, du 9 novembre 1843, art. 5 ; avec le Grand Duché de Bade, du 27 juin 1844, art. 6 ; avec la Prusse, du 21 juin 1845, art. 8 ; avec la Ville libre do Brème, du 10 juillet 1847, art. 8 ; avec la Ville libre de Hambourg, du 5 février 1848, art. 8 ; avec le royaume de Saxe, du 28 avril 1850, art. 8 ; avec la Nouvelle Grenade, du 9 avril 1850, art. 10 : avec le Wurtemberg, du 25 janvier 1853, art. 8 ; avec le Grand-Duché de Hesse, du 26 janvier 1853, art. 7 ; etc., etc.)

Dans les relations à titre de réciprocité il n'est pas douteux que la même règle ne soit toujours suivie.

Ainsi les crimes et les délits électoraux qui sont des infractions politiques ne donneront jamais lieu à l'extradition.

Incapacités diverses. — La nature des infractions électorales les fera encore bénéficier de certaines dispositions législatives qui, en prononçant des incapacités particulières disposent expressément que celles-ci ne seront pas encourues du fait d'infractions politiques.

Citons la loi du 15 juillet 1889 sur le recrutement de l'armée. Son article 4 déclare « exclus de l'armée, mais mis, soit pour leur temps de service, soit en cas de mobilisation, à la disposition du Ministre de la Marine et des Colonies » les individus qui auront été condamnés dans les conditions qu'il prévoit. L'article 5, de son côté, indique les cas dans lesquels un conscrit sera incorporé dans les bataillons d'infanterie légère d'Afrique. Mais l'article 6 décide que : « Les dispositions des articles 4 et 5 ne seront pas applicables aux individus qui ont été condamnés pour faits politiques ou connexes à des faits politiques ».

La même exception pour les infractions politiques se retrouve dans la loi du 30 novembre 1892. L'article 25 énumère un certain nombre de condamnations qui peuvent faire prononcer la suspension temporaire ou l'incapacité absolue de l'exercice des professions médicales et dispose, dans son dernier paragraphe, que dans aucun cas, les crimes et les délits politiques ne pourront entraîner cette suspension ni cette incapacité ni encore l'exclusion des Établissements d'enseignement médical.

Procédure. — Si les règles de procédure s'appliquent, en général, indistinctement aux crimes et délits politiques et de droit commun, il y a cependant un cas où la nature de l'infraction doit être prise en considération : c'est celui d'un flagrant délit. Une loi du 20 mai 1863 organise une procédure rapide pour les flagrants délits correctionnels, mais elle déclare, dans son article 7, que ladite procédure n'est pas applicable aux délits politiques.

Cette distinction aura souvent son intérêt pour les délits électoraux qui, en raison des circonstances dans lesquelles ils sont commis, donnent fréquemment lieu à des flagrants délits.

Faisons une dernière remarque spéciale aux infractions électorales. Les pourvois formés ne sont pas portés devant la Chambre criminelle, mais devant la Chambre civile de la Cour de cassation.

§ III. Les infractions électorales sont-elles des délits spéciaux ou des délits ordinaires ?

On appelle quelquefois délits spéciaux ceux qui ne peuvent être commis que par certaines personnes, en raison de leurs fonctions, et délits ordinaires ceux qui peuvent être commis par tout le monde. Dans cette acception, les.infractions électorales ne sont pas des délits spéciaux, car il n'est pas nécessaire d'être électeur pour s'en rendre coupable. Le délit électoral consiste dans un acte qui porte atteinte au résultat de l'élection et toute personne peut agir dans ce sens, par la corruption par exemple. Il y a même des délits qui ne seront commis que par des non-électeurs : celui du vote illégal par un individu qui est déchu de ses droits civiques.

On appelle encore délits spéciaux ceux qui sont prévus par des lois non incorporées dans le Code pénal, et délits ordinaires ceux qui se trouvent, au contraire régis par ce Code. Dans ce sens, la plupart des infractions électorales sont des délits spéciaux. En effet, nous verrons plus loin qu'après avoir été longtemps prévues dans le Code pénal, elles ont fait l'objet, depuis la loi du 15 mars 1849, d'une législation spéciale. De sorte que, sous la réserve des cas où les articles du Code pénal sont encore en vigueur, les infractions électorales sont actuellement des délits spéciaux.

La classification en délits spéciaux et délits ordinaires, à la base de laquelle on ne trouve aucun critérium interne et qui repose seulement sur une distinction de fait, offre surtout de l'intérêt au point de vue de l'application des circonstances atténuantes. Celles-ci peuvent être accordées pour toutes les infractions ordinaires, crimes ou délits, mais non pas indifféremment pour toutes les infractions spéciales. Dans ce dernier groupe, s'agit-il d'un crime, les circonstances atténuantes peuvent toujours être prononcées ; s'agit-il, au contraire, d'un délit, il faut qu'une disposition expresse de la loi qui les régit autorise leur admission. Cette différence résulte de l'article 463 du Code pénal qui, dans sa partie relative aux crimes, dispose que :
« Les peines prononcées par la loi contre celui ou ceux des accusés reconnus coupables, en faveur de qui le jury aura déclaré les circonstances atténuantes, seront modifiées comme suit..., » et dans sa partie relative aux délits, décide que : « dans tous les cas où la peine de l'emprisonnement et celle de l'amende sont prononcées par le Code pénal, si les circonstances paraissent atténuantes,. les Tribunaux correctionnels sont autorisés, même en cas de récidive, à réduire... »

En ce qui concerne les délits électoraux, la disposition expresse indispensable pour que l'on puisse prononcer l'atténuation de la peine est inscrite dans le titre IV du décret du 2 février 1852. On y lit, article 48 : « L'article 463 du Code pénal pourra être appliqué. » Ce texte se retrouve encore à la fin de la plupart des articles de lois qui complètent la législation en la matière : articles 6 de la loi du 7 juillet 1874 ; 19 de la loi du 2 août 1875 ; 22 de la loi du 30 novembre 1875 ; ler et unique de la loi du 30 mars 1902. Signalons aussi la loi du 29 juillet 1881 sur la Presse, dont l'article 17 prévoit un délit électoral, et l'article 64 de la même loi, en vertu duquel les circonstances atténuantes pourront être accordées.

Par contre, il n'a pas été inscrit à la suite de quelques autres articles dont les dispositions répressives devront par conséquent être appliquées sans atténuation. Ce sont les articles : 18 de la loi du 2 août 1875, lequel punit l'abstention, sans cause légitime, des délégués sénatoriaux, et 6 de la loi du 17 juillet 1889, qui réprime les infractions relatives aux candidatures. A la vérité, les circonstances atténuantes appliquées à ces deux délits, se seraient mal comprises : pour le premier, la peine, d'ailleurs minime — 50 francs d'amende — n'est appliquée que si l'abstention a eu lieu « sans cause légitime, » ce qui permet au juge de tenir compte de toutes les circonstances ; pour le second, la peine qui est de 10.000 francs d'amende pour le candidat contrevenant et de 1.000 à 5.000 francs pour les autres délinquants, témoigne d'une sévérité incompatible avec l'admission des circonstances atténuantes, puisque celles-ci permettraient l'abaissement de l'amende au dessous de 16 francs, ce qui détruirait tout l'effet de la loi.

CHAPITRE II

LÉGISLATION PÉNALE ÉLECTORALE AVANT LA PROCLAMATION

DU SUFFRAGE UNIVERSEL.

La législation actuelle en matière d'infractions électorales ne s'est pas formée en une fois. Des lois successives sont venues se combiner modifiant la situation antérieure ou y ajoutant. De sorte que pour donner l'énumération complète des textes actuellement en vigueur, il faudra chercher dans le travail législatif de près d'un siècle. Nous trouverons les dispositions les plus anciennes dans le Code pénal de 1810, les plus récentes dans des lois qui datent seulement de quelques années.

Sans doute, avant 1810, comme conséquence du régime électif que la Révolution avait placé à la base des institutions nouvelles, on avait eu à s'occuper de réprimer les actes tendants à fausser l'expression de la volonté nationale et, les principes de droit pénal n'admettant plus alors de peines arbitraires, nous trouvons des textes sur la question ; mais tous sont abrogés.

Signalons les articles 616 et suivants du Code du 3 brumaire an IV qui sont reproduits en termes à peu près semblables des articles 1er et suivants de la section 3 du titre 1er de la deuxième partie du Code du 8 octobre 1791 :

Art. 616. — Tous complots ou attentats pour empêcher la réunion ou pour opérer la dissolution d'une assemblée primaire ou d'une assemblée électorale, seront punis de la peine de la gêne pendant 15 ans.

Art. 617. — Quiconque sera convaincu d'avoir par force ou violence écarté ou chassé d'une assemblée primaire un citoyen ayant droit d'y voter, sera puni de la peine de la dégradation civique.

Art. 618. — Si des troupes investissent le lieu des séances d'une assemblée primaire ou électorale, ou pénètrent dans son enceinte sans l'autorisation ou la réquisition de son président, les membres du Directoire Exécutif, ou le ministre, ou le commandant qui en auront donné l'ordre, et les officiers qui l'auront tait exécuter, seront punis de la peine de la gêne pendant 15 années.

On le voit, des peines très sévères étaient prévues pour punir les actes de violence dirigés contre une assemblée électorale. Les actes de force étaient d'ailleurs, à cette époque, l'objet de préoccupations particulières. Un décret de l'Assemblée Nationale, en date du 15 août 1792 déclarait infâme, traître à la Patrie et coupable de haute trahison, tout fonctionnaire public qui aurait concouru à des délibérations ou à des actes quelconques tendants à retarder, suspendre ou empêcher les assemblées électorales devant avoir lieu pour la nomination des députés à la Convention Nationale. L'article 107 de la Constitution du 5 fructidor an III, déclarait coupable de haute trahison et d'attentat envers la sûreté de la République, tout citoyen qui mettrait obstacle â la convocation des assemblées primaires et électorales chargées de nommer les membres du Corps Législatif dans le cas spécial qu'il prévoit. Citons encore l'article 32 de la Constitution de l'an III, aux termes duquel tout citoyen qui était légalement convaincu d'avoir vendu ou acheté un suffrage était exclu des assemblées primaires et communales et de toute fonction publique pendant 20 ans et, en cas de récidive, pour toujours. Cette peine était déclarée infamante par la loi du 4 thermidor an V.

Ces textes, dont la sévérité se ressent de l'époque révolutionnaire pendant laquelle ils ont été élaborés, ne devaient être que provisoires.

Nous trouvons des dispositions plus durables dans le Code de 1810. Il s'occupe des infractions électorales dans ses articles 109 à 113. Ces articles ont formé la seule législation en la matière jusqu'en 1849. Aujourd'hui, à part l'article 112, ils sont remplacés pour un grand nombre d'élections par des dispositions nouvelles, mais puisqu'ils ont encore leur application dans certains cas nous allons les étudier en détail.
En voici le texte :
Art. 109. — « Lorsque, par attroupements, voies de fait ou menaces, on aura empêché un ou plusieurs citoyens d'exercer leurs droits civiques, chacun des coupables sera puni d'un emprisonnement de 6 mois au moins, et de 2 ans au plus, et de l'interdiction du droit de voter et d'être éligible pendant 5 ans au moins et 10 ans au plus. »
Art. 110. — « Si ce crime a été commis par suite d'un plan concerté pour être exécuté, soit dans toute la République, soit dans un ou plusieurs départements, soit dans un ou plusieurs arrondissements communaux, la peine sera le bannissement. »
Art. 111. — « Tout citoyen qui, étant chargé, dans un scrutin, du dépouillement des billets contenant les suffrages des citoyens, sera surpris falsifiant ces billets, ou en soustrayant de la masse, ou y ajoutant, ou inscrivant sur les billets des votants non lettrés des noms autres que ceux qui lui auraient été déclarés, sera puni de la peine de la dégradation civique. »
Art. 112.— « Toutes autres personnes coupables des faits énoncés dans l'article précédent, seront punies d'un emprisonnement de six mois au moins et de deux ans au plus, et de l'interdiction du droit de voter et d'être éligibles pendant cinq ans au moins et dix ans au plus. »
Art. 113. — « Tout citoyen qui aura, dans les élections, acheté ou vendu un suffrage à un prix quelconque, sera puni d'interdiction des droits de citoyen et de toute fonction ou emploi public pendant cinq ans au moins et dix ans au plus.
— Seront, en outre, le vendeur et l'acheteur du suffrage, condamnés à une amende double de la valeur des choses reçues ou promises. »

Si l'on groupe ces infractions, d'après leur caractère, sous des idées générales, on voit que le législateur a voulu protéger la liberté de l'élection et sa sincérité. Ce sont là, en effet, deux grandes conditions, pour que le régime électif conduise à un résultat normal. Mais il y en a une troisième, également importante, qui est restée en dehors des prévisions expresses de nos articles : c'est la légalité du vote. Un vote est légal lorsqu'il est exprimé par une personne à laquelle la loi confère l'exercice du droit de suffrage ; il est illégal si l'exercice de ce droit est usurpé. La loi, en vertu d'un pouvoir qui lui est aujourd'hui généralement reconnu, considérant le suffrage politique, non comme un droit individuel intangible, mais comme une fonction sociale qui ne doit être confiée qu'à ceux qui sont capables et dignes de la remplir, a établi des règles fixant les conditions à défaut desquelles la qualité d'électeur n'existe pas. Ces règles ont notablement changé selon les différents régimes qui ont gouverné la France. Sans rechercher le degré de libéralisme contenu dans les dispositions successives qui nous occupent, constatons seulement qu'elles ont dû être inspirées par ce qui a semblé répondre le mieux aux besoins de chaque époque et que, par conséquent, il n'était pas indifférent qu'elles fussent, ou non, observées. De là à concevoir la néces site de punir leur transgression, il n'y avait qu'un pas, mais il n'a pas été nettement franchi par nos articles. La vigilance administrative restait l'unique obstacle à la fraude en cette matière, mais cette vigilance pouvait être surprise et alors, par le seul fait de la fraude et en dehors, bien entendu, de la répression de toute infraction particulière ayant aidé à la commettre, il n'y avait aucune sanction. Cette absence de pénalité spéciale constituait évidemment une lacune, car, dans bien des cas, l'usurpation du droit de suffrage n'est pas accompagnée d'un délit caractérisé.

On a pu, il est vrai, soutenir, et non sans de bonnes raisons, que l'exercice frauduleux du droit électoral est un acte délictueux rentrant dans les termes des articles 111 et 112 du Code pénal. Voici au moyen de quel syllogisme très simple on arrive à cette déduction. Les articles 111 et 112, dit-on, prévoient le cas de toute personne ajoutant frauduleusement des billets a la masse. Or, lorsqu'une personne, n'ayant pas le droit de voter, parvient, à l'aide d'une fraude quelconque, à déposer un bulletin, celui-ci s'ajoute à la masse de ceux qui ont été remis légalement.

Donc, les peines des articles 111 et 112 s'appliquent à ceux qui auront voté sans avoir la qualité d'électeur.

La logique de ce raisonnement, dont la valeur est soutenue par l'autorité d'auteurs considérables, tels que MM. Chauveau et Faustin Hélie, n'a cependant pas entraîné les décisions de la jurisprudence. Voici une espèce qui a été jugée quelques années après la promulgation du Code pénal. Un sieur Guimier, neveu et légataire universel d'un sieur Duclos décédé en 1822, recevait, peu de jours après le décès de son oncle, la carte d'électeur de celui-ci et s'en servait. Il fut poursuivi. Le 6 juin 1822, le tribunal de Beauvais le renvoyait des fins de la plainte, « attendu que le fait reproché n'est caractérisé ni dans le chapitre 2, livre III, titre ler , où il est traité des crimes et délits relatifs à l'exercice des droits civiques, ni par aucune autre disposition du Code pénal. » Sur appel, la Cour d'Amiens rendit un arrêt conforme : « Attendu que le Code pénal, dans un chapitre particulier comprenant les articles 109 à 113, a prévu les crimes et délits relatifs à l'exercice des droits civiques, et qu'aucun des articles ne comprend de peine contre le fait imputé à Guimier » (Amiens, 26 juin 1822. S. 1824. 2, 209.).

La vérité est-elle du côté de la doctrine ou du côté de la jurisprudence ? C'est là un point sur lequel on peut hésiter à se prononcer. En tout cas, cette difficulté ne se présente plus aujourd'hui, du moins toutes les fois que le décret du 2 février 1852 est applicable, ce qui a lieu pour la plus grande majorité des élections. En effet, les articles 31 à 34 de ce décret prévoient expressément les atteintes à la légalité des suffrages.

Quoi qu'il en soit de la protection donnée à la légalité du vote par le Code pénal, voyons si, du moins, les dispositions répressives relatives à la liberté et à la sincérité de l'élection ont une étendue suffisante pour assurer la régularité des opérations.

Les articles 109 et 110 punissent l'empêchement à l'exercice des droits civiques par attroupements, voies de fait ou menaces. Ce sont les mêmes actes qui sont prévus par les deux articles, mais ils constituent des délits dans le premier, tandis que la circonstance aggravante de leur accomplissement à la suite d'un plan concerté pour être exécuté dans toute la République ou dans plusieurs collèges électoraux, transforme les infractions en crimes, dans le second article. Deux éléments nouveaux entrent donc dans l'infraction de l'arlicle 110 : d'abord la préméditation — le plan concerté — et ensuite l'exécution dans plusieurs lieux. Si l'un des deux faisait défaut, le crime ne serait pas constitué. MM. Chauveau et Faustin Hélie ont cependant soutenu que la loi a seulement en vue la préméditation et que la pluralité des lieux est indifférente (Théorie du Code pénal, 6.º édit., n 521.). Mais n'est-il pas plus conforme à la lettre de l'article 110, comme à son esprit, de dire que la circonstance aggravante consiste dans cette sorte d'insurrection qui a pour effet de mettre obstacle aux élections dans tout le pays ou dans une région, ou, du moins, dans plusieurs communes, la préméditation étant d'ailleurs une condition de ce mouvement général.

L'article 109 dit : « Lorsque, par attroupements, voies de fait ou menaces, on aura empêché... » Il faut donc que le délit soit consommé, qu'il y ait eu empêchement, pour que l'article 109 puisse être appliqué. La tentative, n'étant pas spécialement prévue, ne sera pas punie : en effet, nous sommes ici en présence d'un délit stricto sensu, et, d'après l'article 3 du Code pénal, la tentative de délit n'est considérée comme délit que dans les cas déterminés par une disposition spéciale de la loi. Au contraire, dans le cas de l'article 110, comme il s'agit d'un crime, la tentative sera punissable si d'ailleurs elle s'est manifestée par un commencement d'exécution et n'a été suspendue ou n'a manqué son effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur : c'est l'application de l'article 2 du Code pénal.

Si les droits civiques sont exercés, sauf la restriction pour la tentative de crime, il n'y a pas de répression. Cela est vrai même si le vote est, par suite de l'un des moyens énoncés, effectué dans un sens différent de celui qui lui aurait été donné sans la contrainte. L'empêchement est réprimé, mais non la dénaturation du vote.

De plus, cet empêchement, s'il est la conséquence de moyens autres qu'un attroupement, des voies de fait, ou des menaces, n'exposera pas celui par le fait duquel il est résulté, à la sanction de nos articles. Cependant, il est possible d'obtenir une abstention autrement que par la violence : les promesses et surtont les dons sont des moyens tout aussi efficaces, bien que plus doux, dont le Code ne parle pas. Sans doute, ceux qui entrent dans la voie de la corruption ne se contenteront pas, en échange de leur coupable générosité, de l'effet négatif d'une abstention ; ils essaieront d'obtenir davantage et exigeront un vote conforme à leur désir. C'est le cas prévu par l'article 113 qui punit l'achat et la vente de suffrages faits à un prix quelconque. Mais cela n'est pas suffisant : il y a des degrés dans les faiblesses civiques, et tel qui sur la foi d'une promesse, ou pour quelques deniers, acceptera de rester chez lui le jour du scrutin ne pourra pas toujours se résoudre à un acte qui va directement contre ses convictions. Il eut donc été prévoyant de songer à cette situation pour prendre les mesures propres à la rendre aussi rare que possible. Cela a été fait depuis.

Il n'y a rien à dire sur les termes « attroupements, voies de fait ou menaces », si ce n'est qu'ils sont très larges et qu'ils ont ainsi l'avantage de s'appliquer à un grand nombre de cas qui ne peuvent être indiqués limitativement.

Demandons-nous maintenant quand on peut dire que les droits civiques sont exercés. Nous avons, jusqu'à présent, surtout parlé de vote, mot qui exprime l'action de remettre un bulletin ; mais dans l'exercice des droits civiques, il y a quelque chose de plus que la remise d'un billet ; pour que l'on ait exercé entièrement son droit de citoyen, il faut que le vote ait subsisté jusqu'à ce qu'il produise son effet, c'est-à dire jusqu'au moment où, tous les bulletins ayant été remis, on a fait le relevé des suffrages et proclamé le résultat de l'élection. En conséquence, si le scrutin est détruit avant ce moment, on peut dire que les droits civiques n'ont pas été exercés et que l'article 109 doit avoir son application.

La Cour de cassation, statuant par voie de règlement de juges, a rendu un arrêt dans ce sens le 18 janvier 1849, dans l'espèce suivante : Le 11 mai 1848, des élections pour le Conseil municipal avaient lieu dans la commune de SaintPaul- Laroche (Dordogne). Le dépouillement du scrutin n'ayant pas été terminé le premier jour, les feuilles de recensement et les bulletins non encore vérifiés furent mis sous scellés* dans une boîte fermant à clef ; le maire conserva la clef, et la boîte fut donnée en garde à un citoyen de la commune. Le lendemain, on allait reprendre les opérations interrompues la veille, lorsqu'une cinquantaine d'individus se précipitèrent et, s'étant emparés de la boite, contraignirent le maire à leur livrer la clef ; ils brisèrent les scellés et s'étant saisi des bulletins et des feuilles de recensement, ils brûlèrent les uns et les autres en place publique. Les coupables furent traduits devant le tribunal correctionnel, sous la prévention de violences envers un magistrat, de bris de scellés et de destruction d'actes de l'autorité publique, délits prévus par les articles 222, 252 et 439 du Code pénal ; mais, en première instance et en appel, il fut décidé que les faits dénoncés étaient de la compétence de la Cour d'assises parce qu'ils rentraient dans les prévisions de l'article 109 du Code pénal et qu'il s'agissait, par conséquent, d'un délit politique devant être soumis au jury en vertu de la loi du 8 octobre 1830. La Cour de cassation appelée à se prononcer, a jugé que : « les prévenus, s'ils ont contraint, par violence, le maire à livrer la clef du scrutin électoral, s'ils ont brisé les scellés et brûlé les bulletins restants et les feuilles de dépouillement des bulletins recensés, se sont rendus passibles des peines prononcées par l'article 109 du Code pénal, puisqu'ils auraient, en annulant le scrutin, empêché l'élection et, consé-quemment, empêché les citoyens d'exercer leurs droits civiques » (S.1850.I.127.).

Comme dernière observation sur les articles 109 et 110, remarquons que, dans le cas de l'article 109, la peine prononcée est la même, quand les contraintes sont exercées contre un citoyen, aussi bien que lorsqu'elles le sont contre plusieurs : la loi confond dans les mêmes dispositions les atteintes portées aux droits d'un seul citoyen et celles portées aux droits d'une réunion d'électeurs. La gravité des deux cas diffère cependant beaucoup.

— Les articles 111 et 112 tendent à assurer la sincérité de l'élection par l'intégrité du scrutin. Ils s'occupent du cas de quiconque est surpris falsifiant les billets ou en soustrayant de la masse, ou y ajoutant, ou encore inscrivant sur les billets des illettrés des noms autres que ceux qui auraient été déclarés.

Comme les articles 109 et 110, ces deux textes prévoient les mêmes infractions. La différence entre l'un et l'autre consiste dans la qualité du délinquant. S'il avait été chargé, dans le scrutin, du dépouillement des billets, chargé même temporairement et en remplacement provisoire d'un membre du bureau, la faute est plus grave et la loi la considère comme un crime. S'il n'avait pas reçu cette mission de confiance, il y a seulement délit. Sous la restriction de la personnalité du coupable, tout ce que l'on peut dire de l'article 111 pourra se répéter pour l'article 112.

Un point à signaler, c'est que le flagrant délit est exigé. Cette exception aux règles ordinaires de nos lois pénales a été introduite au cours de la discussion de l'article 109. Le projet n'en parlait pas ; mais on fut frappé au Conseil d'État par la difficulté de faire la preuve d'une fraude dans le scrutin après la destruction du scrutin lui-même ; on a aussi pensé qu'il était â craindre qu'un accès trop facile ne fut ouvert à la malveillance dans la recherche tardive de faits dont il n'y avait plus de traces. Ces réflexions ayant fait admettre le flagrant délit, voyons quand il aura lieu. Sera-t-il nécessaire que le délinquant soit pris sur le fait, à l'instant où il falsifie, soustrait, ou ajoute des billets, ou bien encore écrit un autre nom que celui qui lui est demandé par un illettré ? La flagrance, c'est-à-dire la chaleur du délit, ne se conservera-t-elle pas, au contraire, au delà de ce moment et, dans l'affirmative, quel sera l'autre moment jusqu'auquel elle durera ? Bien certainement, il n'est pas indispensable que le délit soit constaté à l'instant précis de son accomplissement : le feu de l'action dure plus qu'un instant de raison et la flagrance, dans le sens étymologique du mot, ne s'éteint pas subitement. Aussi longtemps qu'elle durera, le délit sera flagrant et c'est là affaire d'appréciation pour chacun des cas qui peuvent se présenter. A défaut d'une définition générale du flagrant délit, l'article 41 du Code d'instruction criminelle, écrit en vue d'établir le départ des attributions du Procureur de la République etdu Juge d'Instruction dans la procédure d'instruction préparatoire, est une indication dont on peut s'inspirer. Il est ainsi conçu : « Le délit qui se commet actuellement, ou qui vient de se commettre, est un flagrant délit. — Seront réputés flagrants délits, le cas où le prévenu est poursuivi par la clameur publique, et celui où le prévenu est trouvé saisi d'effets, urines, instruments ou papiers faisant présumer qu'il est auteur ou complice, pourvu que ce soit dans un temps voisin du délit. »

La flagrance étant ainsi un état plus ou moi as prolongé, il nous reste à rechercher quel sera son terme. dans le cas des articles 111 et 112 du Code pénal. Pour cela le souvenir des motifs qui l'on fait admettre sera pour nous un guide précieux. Puisque le flagrant délit a été exigé en raison des difficultés d'administrer la preuve, après la destruction du scrutin, nous dirons que la flagrance existe à partir du moment où la constatatiqn est. possible jusqu'au moment où les. opérations du scrutin sont terminées. L'élection faite, le délit s'éteint. Voici une espèce intéressante dans laquelle la Chambre des mises en accusation de la Cour de Rennes a rendu un arrêt, le 6 août 1840. Les électeurs de la commune de Sarzeau (Morbihan) avaient eu à élire deux conseillers municipaux le 20 jnin 1840. Parmi les scrutateurs se trouvait un nommé Leboulicaut qu'un grand nombre, d'électeurs illettrés avaient chargé de remplir leur bulles tin de vote ; dix-huit citoyens lui avaient demandé d'inscrire le nom de Lappartient ; six le nom de Vincent Berthe. Or, il arriva, qu'en dépouillant le scrutin, il ne se trouva que quatre voix pour Lappartient et deux pour Vincent Berthe. Dénoncé, Leboulicaut bénéficia d'une ordonnance de non-lieu ; mais, sur opposition, cette ordonnance fut annulée par un arrêt de la Chambre des mises en accusation de la Cour de Rennes dont voici le passage prinoipal : « Considérant que la fraude fut découverte au seul moment où elle pouvait l'être, puisque, d'un côté, les électeurs illettrés ne peuvent vérifier par eux- mêmes si l'on a écrit les noms qu'ils ont dictés, et que, d'un autre côté, le secret des votes ne permet pas que d'autres qu'eux puissent reconnaître si les noms ont été écrits tels qu'ils ont été dictés ; qu'ici la réclamation des électeurs trompés ayant eu lieu à l'instant même où leurs suffrages furent lus, et lorsqu'on s'occupait de consigner, sur le procès-verbal de la séance, le résultat des suffrages, opération à laquelle Leboulicaut concourait comme scrutateur, il est vrai de dire qu'il a été surpris inscrivant sur les billets des votants des noms autres que ceux qui lui avaient été déclarés... Par ces motifs, annule l'ordonnance de non-lieu et déclare qu'il y a charges et indices suffisants pour l'accuser d'avoir été surpris, etc. » (D. 1841. 2. 28. 2) La Cour de cassation, dans un arrêt du 28 février 1812, avait déjà déclaré que le flagrant délit devait être constaté avant la destruction du scrutin et ne pouvait plus l'être après (S. 1812. 1. 343.).

L'article 111 parle de bulletins falsifiés, soustraits ou ajoutés. Comment faut-il entendre cette falsification, cette soustraction et cette addition ? En s'en tenant à une interprétation stricte du texte, en s'attachent aux mots plus qu'à l'idée, on sera conduit à décider qu'il faut une action directe sur les bulletins. Si cette manière de comprendre l'article 111 était exacte, on serait obligé d'admettre que toute façon de vicier le scrutin résultant de moyens autres qu'une action directe sur les bulletins échappe à ses prévisions. Serait notamment dans ce cas, le fait d'ajouter frauduleusement, sur la feuille de dépouillement, un certain nombre de suffrages au chiffre de ceux obtenus par un candidat, et le fait de lire, dans le dépouillement du scrutin, un nom qui n'est pas porté sur le billet recensé. S'attache-t-on, au contraire, à l'esprit de la loi, plus qu'à son texte ; envisage-t-on le résultat, au lieu de s'occuper seulement de l'acte on arrivera à des conséquences absolument opposées : on dira que porter, soit en plus, soit en moins, un chiffre mensonger sur la feuille de dépouillement est équivalent à ajouter ou soustraire des bulletins, et que remplacer un nom par un autre dans la lecture des bulletins, constitue une véritable falsification ayant pour effet de priver un candidat d'une voix pour la reporter sur un autre.

La Cour de cassation s'est prononcée très nettement pour l'interprétation la plus large. Voici les attendus de deux arrêts dont chacun est relatif à l'un des deux cas que nous avons signalés. Arrêt du 15 juin 1848 : « Attendu que le fait d'ajouter, sur une feuille employée au recensement des suffrages, un nombre de suffrages non exprimés, de manière à élever les votes obtenus par un candidat à un chiffre supérieur à celui qui lui appartient, est un acte équivalent à celui que produirait l'addition, aux billets émanant des électeurs, de billets fabriqués ; qu'augmenter matériellement le nombre des billets contenant les suffrages ou augmenter, par des signes destinés à les représenter, le chiffre qui, dans le contrôle final de l'opération doit déterminer la quotité de ces suffrages, c'est réaliser également la fraude que la loi a voulu punir... » (S. 1848, 1.518.) Le deuxième arrêt est du 30 août 1849 : « Attendu que les articles 111 et 112 du Code pénal relatifs aux fraudes commises dans les élections ont pour objet, dans les divers cas qu'ils énumèrent, d'assurer, par la sanction d'une peine, la sincérité de l'élection ; que ce serait méconnaître le sens de leurs dispositions et rendre vaine la prévoyance de la loi, que d'en refuser l'application à l'acte qui, sans porter directement sur les billets, aurait néanmoins pour effet d'altérer le résultat du dépouillement du scrutin ; que le suffrage inscrit sur le bulletin l'entre en ligne de compte et ne produit son effet légal que par la lecture à haute voix qu'en fait le président, ou l'un des scrutateurs, et par l'annotation qui est faite sur les feuilles de dépouillement par suite de cette lecture ; qu'en lisant un autre nom que celui qui y est inscrit, on falsifie le bulletin quant à l'effet qu'il doit produire... Par ces motifs : Casse. » (Bull. cr. n° 223.). La Cour de Reunes avait, le 2 août 1849, jugé que l'article 111 du Code pénal n'était pas applicable parce que ses dispositions n'embrassaient pas le fait imputé.

Le dernier fait prévu par l'article 111 est l'inscription frauduleuse opérée sur le bulletin d'un illettré ; c'est là un acte particulièrement immoral, participant à la fois de l'abus de confiance et de la falsification de bulletins. A ce double titre, il a paru bon de le mentionner particulièrement. Il est bien indiqué d'ailleurs que celui qui fait remplir son billet doit être illettré, c'est-à-dire ne savoir ni lire ni écrire. Le caractère délictueux est attribué à l'inscription dont la fraude ne peut être reconnue par l'intéressé, mais non à celle qui peut être découverte par une vérification personnelle. C'est ainsi que ne doit pas être puni des peines des articles 111 ou 112, selon le cas, celui qui mettrait un faux nom sur le bulletin d'une personne qui n'aurait pu le remplir elle-même parce qu'elle était blessée à la main. Le délit n'existerait pas davantage si l'électeur qui ne savait pas écrire, savait lire suffisamment pour se rendre compte du nom écrit sur son billet. L'esprit de la loi est de protéger le vote de ceux qui ne peuvent vérifier par eux-mêmes le contenu de leur bulletin.

— L'article 113 dont il nous reste à parler se propose d'assurer la sincérité de l'élection par la loyauté du vote, comme les articles 111 et 112 tendaient à ce même but en veillant à l'intégrité du scrutin : il réprime l'achat et la vente de suffrages à un prix quelconque. Les deux parties sont donc punies, l'acheteur pour avoir corrompu un électeur, le vendeur pour s'être laissé corrompre ; le premier pour avoir traité comme une marchandise le droit le plus sacré des citoyens, le second pour n'avoir pas su garder la dignité de sa qualité d'électeur.

La culpabilité de l'un est inséparable de la culpabilité de l'autre. Il faut pour qu'il y ait délit que le contrat se soit formé, qu'il y ait eu vente et achat ; la simple pollicitation n'est pas punissable. En effet, l'article 113 dit : « Tout citoyen qui aura, dans les élections, acheté ou vendu ». Or, la vente ne se conçoit pas sans l'achat, et réciproquement. Plus loin, l'article dit encore : « Seront, en outre, le vendeur et l'acheteur du suffrage condamnés à une amende double de la valeur des choses reçues ou promises ». La loi ne parle pas des choses offertes. La tentative restera donc impunie.

Mais lorsque l'accord aura eu lieu, peu importeront les conditions auxquelles le marché aura été passé. Notre article parle d'achat ou de vente « à un prix quelconque ». L'expression « quelconque « est la plus élastique que l'on ait pu employer, par conséquent il ne faut pas craindre d'en étendre le sens, à la seule condition de ne pas le déformer. Nous envisagerons deux points de vue dans la question : d'une part, la quantité des choses formant le prix, indépendamment de leur nature ; d'autre part, la nature de ces choses, indépendamment de leur quantité. Sur le premier point, il ne saurait y avoir de doute ; le prix le plus petit, serait-il encore ridiculement infime, constituera le délit. Mais, sur le second, il faut distinguer, et s'entendre sur la nature de ce qu'on appellera un prix. Les sommes d'argent rentrent naturellement dans l'expression. Des faveurs, des emplois, soit pour le vendeur, soit pour l'un des siens, seront encore le prix de la vente. Mais peut-on dire que les menaces soient également un prix ? Ce serait l'extrême limite à laquelle on pourrait tendre, sans être, d'ailleurs, bien sûr de pouvoir y atteindre tout à fait. Un prix indique toujours que quelque chose est remis en échange de ce qu'on abandonne. Les menaces, au contraire, consistent uniquement à faire craindre un dommage. Mais il y a cependant des cas où les menaces ressemblent singulièrement à des promesses. Ce serait jouer sur les mots que de prétendre assimiler les deux choses sous prétexte que menacer d'agir d'une certaine manière si l'on trouve de la résistance, c'est promettre de ne pas le faire, si l'on reçoit satisfaction. Mais il y a une distinction qui conduira à des différences réelles ; elle consiste à séparer le cas où la menace a pour but de faire craindre la perte d'une chose sur laquelle on a un droit absolu et définitif, de celui où elle aura pour objet une chose sur laquelle il n'existe pas de droit acquis. Par exemple, on menace un électeur de détruire une de ses propriétés, s'il ne vote pas dans un sens donné ; cette menace ne tombera pas sous le coup de l'article 113, parce qu'elle s'exerce sur une chose définitivement acquise et dont le propriétaire seul peut user et abuser ; l'abstention ne sera pas un prix, car le vendeur avait le droit de l'exiger. Si, au contraire, une personne influente menace un fonctionnaire de lui faire perdre sa place, l'article 113 sera applicable parce que le fonctionnaire n'ayant pas un droit acquis à conserver sa place, le menacer de le faire révoquer s'il ne vote pas pour tel candidat, c'est lui promettre de le maintenir en fonction, s'il lui donne son suffrage. Ici, semble-t-il, on peut parler de prix, puisque le vendeur reçoit quelque chose de plus que ce qu'il avait le droit d'exiger ; il conserve sa place dont on pouvait le priver. La peine édictée qui consiste dans une amende double de la valeur des choses reçues ou promises ne met pas obstacle à ce que le genre de menaces que nous venons d'indiquer puisse être compris dans les termes de l'article 113. En effet, on pourra toujours faire l'évaluation en argent de l'avantage procuré.

Un auteur d'une grande autorité, M. Carnot. semble donner une interprétation plus large encore à l'expression « prix quelconque ». Il parle des menaces sans faire de réserves, au moins expressément. Voici comment il s'exprime : « Il est certaines personnes auxquelles on n'oserait offrir de l'argent ; mais on croit pouvoir se permettre de leur faire des promesses ou des menaces, et ces promesses ou menaces deviennent le prix du vote » (Commentaire du Code pénal, 9e Edit, p. 380. ). Et plus loin, à propos de la facon de calculer l'amende) il dit ; « Rien ne serait plus facile que de s'assurer du bénéfice qu'auraient pu procurer au votant les promesses qui lui auraient été faites et des chances de perte que les menaces auraient pu lui faire éprouver». Notons, toutefois, que, dans les exemples qu'il donne, cet auteur ne cite que la promesse faite au votant de lui procurer un emploi et celle de lui conserver la place qu'il occupe, ce qui équivaut à le menacer de la lui faire perdre s'il refuse le suffrage demandé.

A la vérité, il y aura peu a s'occuper, dans la pratique, de faire ces distinctions, car, si le trafic des votes est fréquent, il faut reconnaître que, de tous les délits, c'est bien celui qui est le moins souvent réprimé. Cela tient à la difficulté très grande de l'établir. Le commerce des votes se fait dans le secret et comme, d'ailleurs, les deux parties seraient passibles d'une peine, il y aura peu de dénonciations.

Telles sont les infractions prévues par les articles 109 à 113 du Code de 1810. Quant aux pénalités, elles sont :
pour les crimes ; la dégradation civique et le bannissement ; pour les délits : l'emprisonnement de six mois à deux ans, l'interdiction temporaire du droit de voter et d'être éligible, l'interdiction de toute fonction ou emploi public, enfin l'amende. Toutes ces peines ne sont pas en somme très sévères. On peut, en particulier, trouver trop peu rigoureuse la peine applicable à ceux qui trafiquent de leur vote ; c'est, en effet, pour beaucoup de personnes une peine illusoire que la privation des droits de citoyen, ainsi que l'incapacité d'occuper un emploi public. Au sujet des pénalités de nos articles, MM. Chauveau et Faustin Hélie constatent qu'il « est étrange que l'anéantissement des droits les plus sacrés, qu'un acte d'usurpation et de tyrannie qui est de nature à troubler tout le corps social, soit moins sévèrement puni que les violences, même légères, exercées contre un garde champêtre et un huissier. »

Si l'on juge l'ensemble de cette législation, on ne peut manquer de la trouver peu complète : la légalité du vote n'est pas expressément garantie ; sa liberté et sa sincérité ne sont protégées que sur quelques points ; la tentative des délits n'est pas punie ; le flagrant délit est souvent exigé ; enfin certaines peines ne sont pas de nature à effrayer bon nombre d'individus.

Malgré ces lacunes, nos articles avaient pu paraître suffisants à l'époque de la rédaction du Code pénal. L'exercice des droits civiques était alors régi par les dispositions du sénatus-consulte organique du 16 thermidor an X. Or, le régime électif qui en résultait s'éloignait beaucoup de ce qu'il est devenu depuis. L'élection ne conduisait pas directement à la désignation de ceux auxquels une fonction publique était confiée ; elle aboutissait seulement à la présentation de candidats, parmi lesquels les autorités compétentes prenaient ceux qui leur agréaient.

Voici, en quelques lignes, quel était le mécanisme de cette organisation, en 1810. A la base, se trouvait l'assemblée de canton composée de tous ceux qui, domiciliés dans le canton, jouissaient des droits de citoyen. Cette assemblée participait à la nomination des juges de paix et de leurs suppléants, en présentant, pour chaque place vacante, deux citoyens entre lesquels le pouvoir exécutif avait le choix. Dans les villes d'une certaine importance, c'était aussi sur présentation de deux candidats pour chaque place vacante que se formait le Conseil Municipal. Une autre attribution des assemblées de canton était de désigner les citoyens qui devaient faire partie des collèges électoraux d'arrondissement et de département : le premier était composé d'un membre par 500 habitants ayant leur domicile dans l'arrondissement ; le second était formé de deux cents à trois cents membres, selon la population domiciliée dans le département. Les collèges électoraux ainsi constitués proposaient des candidats à diverses fonctions : les collèges d'arrondissement présentaient au gouvernement deux citoyens pour chaque place au Conseil d'arrondissement ; les collèges de département faisaient de la même manière des présentations pour le Conseil Général et désignaient, en outre, à chaque réunion, deux citoyens pour former la liste sur laquelle le Sénat recrutait ses membres. Enfin, tout collège électoral, soit départemental, soit d'arrondissement, proposait deux citoyens pour former la liste sur laquelle étaient choisis par le Sénat les membres de la députa-tion au Corps Législatif. Sur la liste formée par la réunion des présentations de tous les collèges, il devait y avoir trois fois autant de candidats différents qu'il y avait de places vacantes.

Comme on le voit, l'élection, dans ce système, avait pour résultat, moins de désigner un titulaire à une fonction, que d'écarter des chances d'une nomination les citoyens non présentés, puisque ceux-ci devenaient légalement incapables de parvenir aux fonctions dites électives, tandis que bon nombre des élus ne devaient recevoir aucun emploi. C'était un système hybride dans lequel le principe de liberté et le principe d'autorité s'entrechoquaient, gênant le gouvernement et donnant au peuple, dans les élections, une part plus factice que réelle.

Dans ces conditions, l'intérêt du droit de suffrage était singulièrement atténué. Sinon l'indifférence, du moins peu d'ardeur entourait les opérations du scrutin. On s'agitait peu en faveur d'un candidat qui, même élu, pouvait ne rien devenir. En somme, la partie qui se jouait n'était que préparatoire et c'était à une autorité arbitraire qu'il appartenait de décider du résultat final. Alors les violences et la fraude n'étaient pas en terrain propice et l'on peut dire que les mesures du Code pénal étaient à peu près suffisantes.

Après la chute de l'Empire, l'élection est rendue à ses fins naturelles : on n'élit plus des candidats, mais des représentants. Par contre, son application est restreinte à la nomination des membres de la Chambre des députés, et d'étroites limites circonscrivent la composition du corps électoral. Désormais, pour être électeur, il faudra payer une contribution directe de 300 francs et avoir au moins 30 ans. Il résultait de cet état de choses que les élections étaient peu fréquentes et que les votants étaient peu nombreux, ce qui rendait la surveillance relativement facile et efficace. Particulièrement, la personnalité des électeurs étant plus généralement connue que si le suffrage avait été universel, l'usurpation du droit de vote était moins aisée.

Sous la Monarchie de juillet, le régime de la Restauration se perpétue avec quelques modifications qui le rendent un peu moins rigoureux. L'âge de 25 ans suffit pour être électeur, et le cens est abaissé de 300 francs à 200 francs, et, dans certains cas, à 100 francs. Malgré cela, le nombre des votants est encore très limité et l'article 2 de la loi du 19 avril 1831 a prévu le cas où il y aurait moins de 150 électeurs dans l'arrondissement. Ajoutons que, sous la Monarchie de 1830, les fonctions aux conseils municipaux, généraux et d'arrondissement redeviennent électives, en vertu des lois des 21 mars 1831 et 22 juin 1833, et que les membres de ces différentes assemblées sont élus par des collèges spéciaux composés des électeurs des députés auxquels s'ajoutent d'autres unités ; ce sont : pour les élections aux Conseils généraux et d'arrondissement, les citoyens portés sur la liste du jury ; pour les élections municipales, les mêmes citoyens, augmentés des plus imposés au rôle des contributions directes de la commune, eu nombre variant suivant la population, et de toute une liste de capacitaires.

Ces dispositions, en rendant les élections plus fréquentes et en augmentant le nombre des électeurs, firent apparaître davantage l'insuffisance des articles 109 à 113 du Code pénal.

CHAPITRE III

LÉGISLATION PÉNALE ÉLECTORALE

DEPUIS LA PROCLAMATION DU SUFFRAGE UNIVERSEL

Lorsque le suffrage universel eut été proclamé en 1848, la nécessité d'une législation plus complète devint manifeste. Aussi la loi électorale du 15 mars 1849 a-t-elle réservé un titre tout entier aux dispositions pénales. Son titre VI prévoit les atteintes à la légalité, à la liberté et à la sincérité de l'élection, avec une ampleur de détails que l'étendue nouvelle de l'électorat rendait nécessaire. Cette loi n'a pas eu une longue durée ; c'était une oeuvre d'ensemble dans laquelle tous les détails de l'élection étaient prévus et les modifications apportées dans ces détails à la suite d'événements nouveaux, devaient amener son abrogation. Mais, bien qu'elle ait été remplacée par deux décrets en date du 2 février 1852, on peut dire qu'elle a survécu à elle-même dans sa partie relative aux infractions. Le titre VI de la loi du 15 mars 1849 a été, en effet, presque littéralement reproduit dans le titre IV du décret organique du 2 février 1852.

Comme c'est ce décret qui est aujourd'hui en vigueur ce sera sous ses articles que nous étudierons cette législation, mais, afin de signaler du moins les quelques différences qui existent entre les deux textes, nous allons les transcrire parallèlement en indiquant, en lettres italiques, les termes qui ne sont pas les mêmes dans la loi et dans le décret.

LOI DU 15 MARS 1849.
DÉCRET DU 2 FÉVRIER 1852.

Art. 98. — Toute personne qui se sera fait inscrire sur la liste électorale sous de faux noms ou de fausses qualités, ou aura, en se faisant inscrire, dissimulé une incapacité prévue par la loi, ou aura réclamé et obtenu une inscription sur deux ou plusieurs listes, sera punie d'un emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de cent francs à mille francs.

Art. 99.— Celui qui,déchu du droit de voter, soit par suite d'une condamnation judiciaire, soit par suite d'une faillite non suivie de concordat, d'excuse déclarée par Jugement ou de réhabilitation, aura voté, soit en vertu d'une inscription sur les listes antérieures à sa déchéance, soit en vertu d'une inscription postérieure, mais opérée sans sa participation, sera puni d'un emprisonnement de quinze jours à trois mois et d'une amende de cinquante francs à cinq cents francs.

Art. 100. — Quiconque aura voté dans une assemblée électorale, soit en vertu d'une ins cription obtenue dans les deux

premiers cas prévus par l'article 98, soit en prenant faussement les noms et qualités d'un électeur inscrit, sera puni d'un em prisonnement de six mois à deux ans et d'une amende de deux cents à deux mille francs.

Art. 101. — Sera puni de la même peine tout citoyen qui aura profité d'une inscription multiple pour voter plus d'une fois.

Art. 102. — Quiconque, étant chargé, dans un scrutin, de recevoir, compter ou dépouiller les bulletins contenant les suffrages des citoyens aura soustrait, ajouté ou altéré des bulletins, ou lu des noms autres que ceux inscrits, sera puni d'un emprisonnement d'un an a cinq ans et d'une amende de cinq cents francs à cinq mille francs.

Art. 103. — La même peine sera appliquée à tout individu qui, chargé par un électeur d'écrire son suffrage, aura inscrit sur le bulletin des noms autres que ceux qui lui étaient désignés.

Art. 104. — L'entrée dans l'Assemblée électorale avec armes apparentes sera punie d'une amende de seize à cent francs. La peine sera d'un emprisonnement de quinze jours à trois mois et d'une amende de cinquante francs à trois cents francs si les armes étaient cachées

Art. 105. — Quiconque aura donné, promis ou reçu des deniers, effets ou valeurs quelconques, sous la condition soit de donner ou de procurer un suffrage, soit de s'abstenir de voter, sera puni d'un emprisonnement de trois mois à deux ans et d'une amende de cinq cents à cinq mille francs. — Seront punis des mêmes peines ceux qui, sous les mêmes conditions, auront fait ou accepté l'offre ou la promesse d'emplois publics ou privés, ou de tout autre avantage, soit individuel, soit collectif. — Si le coupable est fonctionnaire public, la peine sera du double.

Art. 106. — Ceux qui, soit par voies de fait, violences ou menaces contre un électeur, soit en lui faisant craindre de perdre son emploi, ou d'exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, l'auront déterminé ou auront tenté de le déterminer à s'abstenir de voter, ou auront soit influencé, soit tenté d'influencer son vote, seront punis d'un emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de cent francs à deux mille francs. — La peine sera double si le coupable est fonctionnaire public.

Art, 107. — Ceux qui, à l'aide de fausses nouvelles, bruits calomnieux, ou autres manoeuvres frauduleuses, auront surpris ou détourné, tenté de surrendre ou de détourner des suffrages, déterminé ou tenté de déterminer un ou plusieurs électeurs à s'abstenir de voter, seront punis d'un emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de cent francs à deux mille francs.

Art. 103. — Lorsque, par attroupements. clameurs ou démonstrations menaçantes, on aura troublé les opérations d'un collège électoral, porté un tenté de porter atteinte à l'exercice du droit électoral, ou à la liberté du vote, les coupables seront punis d'un emprisonnement de trois mois à deux ans et d'une amende de cent francs à deux mille francs.

Art. 109. — Toute irruption dans un collège électoral, consommée ou tentée avec violence, en vue d'interdire ou d'empêcher un choix, sera punie d'un emprisonnement d'un an à cinq ans, et d'une amende de mille à cinq mille francs.

Art. 110. — Si les coupables étaient porteurs d'armes, ou si le scrutin a été violé, la peine sera la réclusion.

Art. 111. — Elle sera des travaux forcés à temps si le crime a été commis par suite d'un plan concerté pour être exécuté, soit dans toute la République, soit dans un ou plusieurs départe ments, soit dans un ou plusieurs arrondissements.

Art 112. — Les membres d'un collège électoral qui, pendant la réunion, se seront rendus coupables d'outrages ou de violences, soit envers le Bureau, soit envers l'un de ses membres, ou qui, par voies de fait ou menaces, auront retardé ou empêché les opérations électorales, seront punis d'un emprisonnement d'un mois à un an, et d'une amende de cent francs à deux mille francs. — Si le scrutin a été violé, l'emprisonnement sera d'an an à cinq ans, et l'amende de mille francs à cinq mille francs.

Art. 113. — L'enlèvement de l'urne contenant les suffrages émis et non encore dépouillés sera puni d'un emprisonnement d'un an à cinq ans et d'une amende de mille à cinq mille francs. — Si cet enlèvement a été effectué en réunion et avec violence, la peine sera la peine de la réclusion.

Art. 114 — La violation du scrutin faite, soit par les membres du Bureau, soit par les agents de l'autorité préposés à la garde des bulletins non encore dépouillés, sera punie de la réclusion.

Art. 115. — Sera puni d'une amende de vingt-cinq francs à trois cents francs tout président de collège ou de section qui aura fermé le scrutin avant l'heure fixée par l'article 51 de la présente loi. — Dans ce cas, les articles 116 et 117, premier paragraphe (compétence de la Cour d'assises) ne seront pas appliqués.

Art. 116. — Les condamnations encourues en vertu des articles précédents emporteront l'interdiction du droit d'élire et d'être élu. — Cette interdiction sera prononcée par le même arrêt pour an an au moins et cinq ans au plus.

Art. 31. — Toute personne qui se sera fait inscrire sur la liste électorale sous de faux noms ou de fausses qualités, ou aura, en se faisant inscrire, dissimulé une incapacité prévue par la loi, ou aura réclamé ou obtenu une inscription sur deux ou plusieurs listes, sera punie d'un emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de cent francs à mille francs

Art. 32. — Celui qui, déchu du droit de voter, soit par suite d'une condamnation judiciaire, soit par suite d'une faillite non suiciie de réhabilitation, aura voté, soit en vertu d'une inscription sur les listes antérieures à sa déchéance, soit en vertu d'une inscription postérieure, mais opérée sans sa participation, sera puni d'un emprisonnement de quinze jours à trois mois et d'une amende de ringt à cinq cents francs.

Art. 33. — Quiconque aura voté dans une assemblée électorale, soit en vertu d'une inscription obtenue dans les deux premiers cas prévus par l'article 31, soit en prenant faussement les noms et qualités d'un électeur inscrit, sera puni d'un emprisonnement de six mois à deux ans et d'une amende de deux cents à deux mille francs.

Art. 34. — Sera puni de la même peine tout citoyen qui aura profité d'une inscription multiple pour voter plus d'une fois.

Art. 35. — Quiconque, étant chargé, dans un scrutin, de recevoir, compter ou dépouiller les bulletins contenant les suffrages des citoyens, aura soustrait, ajouté ou altéré des bulletins, ou lu un nom autre que celui inscrit, sera puni d'un emprisonnement d'un an à cinq ans et d'une amende de cinq cents francs à cinq mille francs.

Art. 36. — La même peine sera appliquée à tout individu qui, chargé par un électeur d'écrire son suffrage, aura inscrit sur le bulletin un nom autre que ce ui qui lui était désigné.

Art. 37. — L'entrée dans l'Assemblée électorale avec armes apparentes est interdite. En eus d'infraction, le contrevenant sera passible d'une amende de seize à cent francs. — La peine sera d'un emprisonnement de quinze jours à trois mois et d'une amende de cinquante francs à trois cents francs, si les armes étaient cachées.

Art. 38. — Quiconque aur'a donné, promis ou reçu des deniers, effets ou valeurs quelconques, sous la condition soit de donner ou de procurer un suffrage, soit de s'abstenir de voter, sera puni d'un emprisonnement de trois mois à deux ans et d'une amende de cinq cents à cinq mille francs. — Seront punis des mêmes peines ceux qui, sous les mêmes conditions, auront fait on ac epté l'offre ou la promesse d'emplois publics ou privés. — Si le coupable est fonctionnaire public, la peine sera du double.

Art. 39. — Ceux qui, soit par voies de fait, violences ou menaces contre un électeur, soit en lui faisant craindre de perdre son emploi ou d'exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, l'auront déterminé à s'abstenir de voter ou auront influencé un vote, seront punis d'un emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de cent francs à mille francs ; la peine sera du double si le coupable est fonctionnaire public.

Art. 40. — Ceux qui, à l'aide de fausses nouvelles, bruits calomnieux, ou autres manoeuvres frauduleuses, auront surpris ou détourné des suffrages, déterminé un ou plusieurs électeurs à s'abstenir de voter, seront punis d'un emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de cent franes à deux mille francs.

Art. 41-— Lorsque, par attroupements, clameurs ou démonstrations menaçantes, on aura troublé les opérations d'un collège électoral, porté atteinte à l'exercice du droit électoral ou á la liberté du vote, les coupables seront punis d'an emprisonnement de trois mois à deux ans, et d'une amende de cent francs à deux mille francs.

Art. 42. — Toute irruption dans un collège électoral, consommée ou tentée avec violence, en vue d'empêcher un choix, sera punie d'un emprisonnement d'un an à cinq ans, et d'une amende de mille à cinq mille francs.

Art. 43. — Si les coupables étaient porteurs d'armes, ou si le scrutin a été violé, la peine sera la réclusion.

Art. 44. — Elle sera des travaux forcés à temps si le crime a été commis par suited'un plan concerté pour être exécuté, soit dans toute la République, soit dans un ou plusieurs départements, soit dans un ou plusieurs arrondissements.

Art. 45. — Les membres d'un collège électoral qui, pendant la réunion, se seront rendus coupables d'outrages ou de violences, soit envers le Bureau, soit envers l'un de ses membres, ou qui, par voies de fait ou menaces, auront retardé ou empêché les opérations électorales, seront punis d'un emprisonnement d'un mois à un an, et d'une amende de cent francs à deux mille francs. — Si le scrutin a été violé, l'emprisonnement sera d'un an à cinq ans, et l'amende de mille francs à cinq mille francs.

Art. 46. — L'enlèvement de l'urne contenant les suffrages émis et non encore dépouillés sera puni d'un emprisonnement d'un an à cinq ans et d'une amende de mille à cinq mille francs. — Si cet enlèvement a été effectué en réunion et avec violence, la peine sera la peine de la réclusion.

Art. 47. — La violation du scrutin faite, soit par les membres du Bureau, soit par les agents de l'autorité préposés à la garde des bulletins non encore dépouillés, Sera punie de la réclusion.

Aucun article du décret du 2 février 1852 ne correspond à l'article 115 de la loi du 15 mars 1849, mais la fraude qui consiste à fermer le scrutin avant l'heure légale serait aujourd'hui réprimée par la loi du 30 mars 1902 dont on trouvera plus loin le texte.

La disposition correspondante du décret de 1852 se trouve dans son article 15 : Ne seront pas inscrits sur les listes électorales : 1º les individus privés de leurs droits civils et politiques par suite de condamnations soit à des peines afffictives et infamantes soit à des peines infa mantes seulement... 7.º les individus condamnés à plus de trois mois de prison en vertu des articles 31, 33, 34, 35, 36. 38, 39, 40,41, 42, 45, 46 de la présente loi.

Comme on le voit, les différences entre les deux textes sont peu nombreuses, La première consiste dans la plus grande rigueur dont use l'article 32 du décret vis-à-vis des faillis. La loi du 15 mars 1849 ne privait pas du droit de voter celui dont la faillite avait été suivie « de concordat, d'excuse déclarée par jugement ou de réhabilitation » ; le décret du 2 février 1852 exclut les faillis ayant obtenu un concordat ou bénéficié d'une excuse, pour ne plus admettre que ceux qui ont été réhabilités. Cette modification devait être faite pour mettre en concordance les dispositions répressives avec les dispositions qui déterminent les incapacités civiques. L'article 3 de la loi de 1849 décidait que ne seraient pas inscrits sur la liste électorale : « ,. 8° les faillis qui n'ayant point obtenu de concordat ou n'ayant pas été déclarés excusables conformément à l'article 538 du Code de commerce, n'ont pas d'ailleurs été réhabilités. » La répression de l'article 99 s'appliquait alors naturellement au failli non concordataire, non excusé ou non réhabilité. Mais la loi du 31 mai 1850 remplaça le § 8 de l'article 3 précité par un autre paragraphe qui reiuse sans distinction le droit de voter aux faillis non réhabilités, et les termes de ce paragraphe furent reproduits par l'article 15 § 17 du décret de 1852. La modification de la disposition pénale devait donc s'ensuivre ; c'est ce qui a eu lieu. — Signalons une mesure toute récente qui modifie, quant à sa durée et selon certaines distinctions, l'incapacité des faillis non réhabilités. Elle est contenue dans l'article ler de la loi du 30 décembre 1903, ainsi conçu : « Les faillis non condamnés pour banqueroute simple ou frauduleuse ne peuvent être inscrits sur la liste électorale pendant dix ans à partir de la déclaration de faillite. Ils ne sont éligibles qu'après réhabilitation. »

Une deuxième différence, qui est d'ailleurs contenue dans le même article, consiste dans un léger adoucissement de la peine : le minimum de l'amende est abaissé de 50 francs à 20 francs.

La troisième modification porte sur les termes des articles 35 et 36. C'est le mode de scrutin introduit par l'article 2 du décret qui l'a motivée. En 1849, on votait au scrutin de liste ; les articles 102 et 103 parlent donc de la lecture et de l'inscription « de noms autres » que ceux inscrits et demandés. En 1852, on vote au scrutin uninominal ; aussi les articles 35 et 36 s'expriment au singulier.

L'article 37, en introduisant les mots : « En cas d'infraction, le contrevenant sera passible... », précise le caractère contraventionnel du délit prévu par l'article 104 de la loi de 1849.

L'article 38 du décret n'a pas reproduit les derniers) mots de l'article 105, auquel il correspond ; il a. supprimé : « ou tout autre avantage, soit individuel, soit collectif ». Il punit le don, la promesse ot l'acceptation de deniers, effets ou valeurs quelconques, ainsi que l'offre, la promesse et l'acceptation d'emplois publics ou privés. Etait-il bien nécessaire de parler, en outre, « de tout autre avantage, soit individuel, soit collectif» ? A la vérité, on ne conçoit guère la possibilité d'avantages, en dehors des cas qui ont été indiqués, à moins qu'il ne s'agisse de simples complaisances ou marques de sympathie dans les relations sociales, ce qui doit être considéré comme un témoignage d'amitié et non comme le prix d'une corruption. Les expressions finales ! de l'article 105 ont donc pu être retranchées sans inconvénient.

Nous arrivons maintenant à la différence la plus substantielle. C'est la suppression, dans les articles 39, 40 et 41, de la répression appliquée à la tentative par les articles 106, 107 et 108 de la loi de 1849. Ces derniers articles punissaient les voies de fait, les violences, les menaces et l'intimidation en vue de faire craindre la perte d'un emploi ou un dommage pour la personne, la famille ou la fortune d'un électeur, lorsque ces moyens tendaient, même sans y parvenir, à provoquer une abstention ou une modification dans un vote. De même, les fausses nouvelles, les bruits calomnieux ou autres manoeuvres fauduleuses, exposaient leurs auteurs à des poursuites, même lorsqu'à l'aide de ces fraudes on n'était pas parvenu à surprendre ou à détourner les suffrages d'un citoyen, ni à éloigner celui-ci du scrutin. Enfin, les attroupements, clameurs ou démonstrations menaçantes rentraient dans les prévisions de la loi de 1849, qu'il en soit ou non résulté une atteinte à l'exercice des droits électoraux ou à la liberté du vote. D'après le décret de 1852, tous ces moyens ne donnent lieu à répression que dans le cas où ils ont produit leur effet ; la tentative n'est pas punie. On peut voir le motif de cette très importante modification dans la difficulté de préciser le délit qui n'est pas consommé. On a pu aussi considérer que, le résultat n'ayant pas été atteint, le mal social n'a pas été fait et que c'est la règle commune de ne pas punir la tentative de délit. Cependant, à ce dernier point de vue, on aurait compris le maintien de l'exception inscrite dans la loi de 1849 pour la protection de droits aussi importants que ceux dont il s'agit. Des lois ultérieures ont, du reste, rétabli la répression du délit tenté.

Signalons encore trois différences : la substitution de l'article indéfini « un » à l'adjectif possessif « son » dans l'article 39, substitution dont nous verrons plus loin l'importance ; l'abaissement de deux mille francs à mille francs, du maximum de l'amende prévue par le même article ; et la suppression, dans l'article 42, du mot « interdire » placé assez inutilement à côté du mot « empêcher » dans l'article 109. Telle est, reproduite de la loi du 15 mars 1849, la partie du décret organique du 2 février 1852. relative aux pénalités. Elle forme un véritable Code des infractions électorales dont les prévisions se sont portées bien au delà des limites qui avaient été atteintes par le Code de 1810. Cependant, elle n'était pas si complète que tous les actes repréhensibles pussent y être rattachés. Aussi trouvons nous, dans des lois plus réoentes, un certain nombre d'articles relatifs à des délits électoraux : Loi du 7 juillet 1874, sur l'électorat municipal : Art.6. « Ceux qui, à l'aide de déclarations frauduleuses ou de faux certificats, se seront fait inscrire, ou auront tenté de se faire inscrire indûment sur une liste électorale ; ceux qui, à l'aide des mêmes moyens, auront fait inscrire ou rayer, tenté de faire inscrire ou rayer indûment un citoyen, et les complices de ces délits, seront passibles d'un emprisonnement de six jours à un an et d'une amende de cinquante à cinq cents francs. — Les coupables pourront, en outre, être privés pendant deux ans de l'exercice de leurs droits civiques. — L'article 463 du Code pénal est, dans tous les cas, applicable. »

Loi du 2 août 1875, sur les élections des sénateurs : Art. 18. « Tout délégué qui, sans cause légitime, n'aura pas pris part à tous les scrutins, ou, étant empêché, n'aura point averti le suppléant en temps utile, sera condamné à une amende de cinquante francs par le Tribunal civil du chef-lieu, sur les réquisitions du Ministère public. — La même peine peut être appliquée au délégué suppléant qui, averti par lettre, dépêche télégraphique ou avis à lui personnellement délivré en temps utile, n'aura pas pris part aux opérations électorales. » Même loi, art. 10 modifié par l'art. 8 de la loi du 9 décembre 1884 :
Ancien art. 19. Toute tentative de corruption, par tentative de corruption ou de l'emploi des moyens énoncés contrainte, par l'emploi des moyens dans les articles 177 et suivants énoncés dans lea articles 177 et du Code pénal, pour influencer le suivants du Code pénal, pour vote d'un électeur ou le déter-influencer le vote d'un électeur ou le miner à s'abstenir de voter, sera déterminer à s'abstenir de voter, sera punie d'un emprisonnement de punie d'un emprisonnement de trois trois mois à deux ans et d'une mois à deux ans et d'une amende de amende de cinquante francs à cinquante francs à cinq cents francs, cinq cents francs, ou de l'une de ou de l'une de ces deux peines ces deux peines seulement. — seulement. — L'art 463 du Code L'art. 163 du Code pénal est pénal est applicable aux peines applicable aux peines édictées par édictées par le présent article. le présent article.

Art. 19 modifié. Toute tentative de corruption ou de contrainte, par l'emploi des moyens énoncés dans lea articles 177 et suivants du Code pénal, pour influencer le vote d'un électeur ou le déterminer à s'abstenir de voter, sera punie d'un emprisonnement de trois mois à deux ans et d'une amende de cinquante francs à cinq cents francs, ou de l'une de ces deux peines seulement. — L'art 463 du Code pénal est applicable aux peines édictées par le présent article.

Loi du 30 novembre 1875, sur l'élection des députés :

Art. 22. « Toute infraction aux dispositions prohibitives de l'art 3 § 3 de la présente loi sera punie d une amende de seize francs à trois cents francs. Néanmoins le Tribunal de police correctionnelle pourra faire application de l'article 463 du Code pénal... »

Art. 3, § 3. — « II est interdit atout agent de l'autorité publique ou municipale de distribuer des bulletins de vote, professions de foi et circulaires des candidats. »

Loi du 29 juillet 1881, sur la Liberté de la Presse : ( - Voir le texte intégral de la Loi du 29 juillet 1881 sur la Liberté de la Presse - 1994)

Art. 17. — « Seront punis d'une amende de cinq francs.à quinze francs, ceux qui auront enlevé, déchiré, recouvert ou altéré par un procédé quelconque, de manière à les travestir ou à les rendre illisibles, des affiches électorales émanant de simples particuliers, apposées ailleurs que sur les propriétés de ceux qui auront commis cette lacération ou altération. — La peine sera d'une amende de seize francs à cent francs, et d'un emprisonnement de six jours à un mois, ou de l'une de ces deux peines seulement, si le fait a été commis par un fonctionnaire ou agent de l'autorité publique, à moins que les affiches n'aient été apposées dans les emplacements réservés par l'article 15. »

Loi du 17 juillet 1889, relative aux candidatures multiples : Art. ler . — « Nul ne peut être candidat dans plus d'une circonscription. »

Art. 2. — « Tout citoyen qui se présente, ou est présenté, aux élections générales ou partielles doit, par une déclaration signée ou visée par lui, et dûment légaisée, faire connaître dans quelle circonscription il entend être candidat. »

Art. 4. — « Il est interdit de signer ou d'apposer des affiches, d'envoyer ou de distribuer des bulletins, circulaires ou professions de foi, dans l'intérêt d'un candidat qui ne s'est pas conformé aux prescriptions de la présente loi. »

Art. 6. — « Seront punis d'une amende de dix mille francs, le candidat contrevenant aux dispositions de la présente loi, et d'une amende de mille à cinq mille francs, toute personne qui agira en violation de l'article 4 de la présente loi. »

Loi du 30 mars 1902, relative à la répression des fraudes en matière électorale : Art. unique. — « En dehors des cas spécialement prévus par les dispositions des lois et décrets actuellement en vigueur, quiconque, soit dans une commission administrative ou municipale, soit dans un bureau de recensement, soit dans un bureau de vote ou dans les bureaux des mairies, des préfectures ou sous-préfectures, avant, pendant ou après un scrutin, aura, par inobservation volontaire de la loi ou des arrêtés préfectoraux ou par tous autres actes frauduleux, changé, ou tenté de changer, le résultat du scrutin, sera puni d'un emprisonnement de six jours à deux mois et d'une amende de cinquante francs à cinq cents francs ou de l'une de ces deux peines seulement. — Les tribunaux pourront, en outre, prononcer la peine de l'interdiction des droits civiques pendant une durée de deux à cinq ans. — Si le coupable est un fonctionnaire public, la peine sera portée au double. — L'article 463 du Code pénal est applicable à la présente loi. »

Tout cet ensemble constitue la législation spéciale en la matière, par opposition à la législation ordinaire contenue dans les articles 111 à 113 du Code pénal. Pour en étudier le détail, nous suivrons l'ordre qui résulte de la succession des articles du décret de 1852, en rapprochant de ceux-ci les textes plus récents, lorsqu'ils se rattacheront à la même idée.

§ I. — Infractions relatives à l'établissement des listes électorales.

Les faits qui rentrent dans cette catégorie ne portent directement aucune atteinte au résultat normal de l'élection, mais les individus qui s'en rendent coupables, prenant, en quelque sorte, position en vue d'agir à l'heure du scrutin, il importait de pouvoir les atteindre jusque dans leurs préparatifs. Ce besoin était d'autant plus réel que la liste électorale fait foi de la capacité présumée de ceux qui s'y trouvent inscrits, et que, par suite, un bulletin ne doit pas être refusé, sous prétexte que l'inscription a été faite illégalement.

Quels sont les faits qui doivent être punis ? Le caractère et l'étendue des droits civiques nous les indiquent. Celui qui a la capacité requise pour voter est détenteur d'une unité de la souveraineté nationale ; il doit, en conséquence, pouvoir exercer son droil dans cette mesure. Mais il ne peut davantage. Or, l'inscription sur la liste électorale étant la condition nécessaire, mais suffisante, d'un vote ultérieur, il faut que tout individu jouissant de l'exercice de ses droits civiques puisse figurer sur une liste, mais non sur plusieurs, et que nul ne soit inscrit s'il n'a pas le droit de voter.

Tous les faits délictueux prévus par les articles 31 du décret du 2 février 1852 et 6 de la loi du 7 juillet 1874 tendent vers ce but. Ces faits sont les suivants :

Se faire inscrire sous de faux noms ou de fausses qualités ;
Se faire inscrire en dissimulant une incapacité prévue par la loi :
Réclamer et obtenir une inscription sur plusieurs listes ;
Se faire inscrire ou tenter de se faire inscrire indument, à l'aide de déclarations frauduleuses ou de faux certificats, ou participer à ce délit par complicité ;
Faire inscrire ou tenter de faire inscrire indúment, à l'aide des mêmes moyens, un autre que soi-même, ou participer à ce délit par complicité ;
Faire rayer, ou tenter de faire rayer indûment un citoyen inscrit, toujours à l'aide de déclarations frau duleuses ou de faux certificats, ou participer à ce délit par complicité.

On a remarqué que, dans les trois premiers cas, la loi ne réprime que le délit consommé, tandis que dans les trois derniers, la tentative est punie. Ce retour à une des idées générales qui dominaient la législation de 1849 et qui avait été abandonnée en 1852, montre l'hésitation du législateur dans une matière qui réclame une protection que l'on ne saurait exagérer, mais de laquelle il importe d'écarter tout ce qui peut prêter à la malveillance et servir aux rancunes de l'esprit de parti.

Dans les trois derniers cas, il est question de la peine à appliquer aux complices ; mais si une disposition particulière de la loi était nécessaire, comme nous l'avons vu, pour que la tentative soit punie, c'est une superfétation de parler de la complicité, car cette complicité n'est autre que celle prévue par les articles 59 et suivants du Code pénal et ces articles punissent les complices d'un délit aussi bien que ceux d'un crime, sans distinguer entre l'application des lois ordinaires et celle des lois spéciales, à la seule condition qu'une exception à cette règle n'ait pas été prononcée. Le silence était donc suffisant ; il a été gardé pour nos trois premiers cas et, cependant, la complicité y sera punie aussi bien que dans les trois derniers.

Reprenons tous ces cas pour donner sur chacun d'eux les explications qui semblent utiles :

Se faire inscrire sous de faux noms, ce n'est pas seulement déguiser son nom patronymique, c'est encore faire porter la différence sur ses prénoms ou même sur l'ordre de ceux-ci. En effet, le nom d'une personne est composé de son nom patronymique et de la série de ses prénoms dans l'ordre dans lequel ils ont été déclarés. Cela constitue un tout dont on ne peut déranger les parties sans changer la personnalité.

Par fausses qualités, il faut entendre les fausses qualités relatives à l'électorat. telles que la masculinité, la majorité, la nationalité ; mais non les faux titres honorifiques ou professionnels dont l'usurpation est indifférente à la qualité d'électeur.

Observons qu'il n'y a d'intérét à se faire inscrire sous de faux noms que lorsqu'on arrive ainsi à se donner de fausses qualités. Ce sera donc seulement lorsque ce résultat aura été atteint que la répression devra s'exercer. Il n'est pas admissible, en effet, que la loi ait voulu punir d'un mois à un an de prison et de cent francs à mille francs d'amende, le seul fait de se faire inscrire sous un nom d'emprunt. Ce qu'elle a voulu réprimer, c'est la fraude au moyen de laquelle on a obtenu l'inscription à laquelle on n'avait pas droit. Si le citoyen qui s'est fait inscrire sous de faux noms a voulu seulement, pour une raison quelconque, dissimuler sa véritable personnalité, mais non s'en créer une nouvelle, il manquera l'intention frauduleuse et, cet élément faisant défaut, le délit ne sera pas constitué.

Que l'on ne dise pas que si cela était vrai, le législateur se serait contenté de parler de fausses qualités. Il y a des cas où le délit d'inscription sous de fausses qualités n'existe pas, alors que celui d'inscription sous du faux noms est constitué. Cela vient de ce que le déllil d'inscription sous de fausses qualités exige que l'on ait répondu faussement a une interrogation sur ces qualités ; si l'on a été inscrit eu confiance et qu'aucune question n'ait été posée, ons'est bien fait inscrire, mais on ne s'est pas fait inscrire sous de fausses qualités ; tandis qu'il y a délit d'inscription sous de faux noms par le seul fait d'avoir déclaré un faux nom daus un but frauduleux.
— Le changement de nom est un moyen qui semble devoir être recherché par certaines personnes pour se garantir contre une interrogation embarrassante. Si un étranger, porteur d'un nom franchement exotique, se présente sous sa véritable personnalité, il est presque inévitable qu'on lui demandera s'il est bien Français ; si, au contraire, il prend un nom répandu dans la contrée il est probable qu'aucune question ne lui sera posée et qu'il obtiendra son inscription. Si le moyen réussit, il n'y aura pas de délit d'inscription sous de fausses qualités, pour la raison que nous avons indiquée, mais ily aura délit d'inscription sous de faux noms. On le voit le délit d'inscription sous de fausses qualités n'absorbe pas le délit d'inscription sous de faux noms.

Les incapacités dont la dissimulation constitue un délit sont exprimées dont les articles 15 et 16 du décret du 2 février 1852. Elles sont permanentes ou temporaires et résultent tantôt d'une interdiction formellement prononcée par un jugement, tantôt de la seule existence de certaines situations énumérées limitativement.

Pour que ces incapacités existent, il faut que les jugements dont elles découlent soient passés en force de chose jugée. Tant que les délais d'opposition, d'appel ou de pourvoi en cassation ne sont pas expirés, tant, à plus forte raison, que la dernière juridiction saisie ne s'est pas prononcée, l'incapacité n'existe pas et ne peut, par conséquent, produire d'effet.

Ces incapacités devenues définitives doivent avoir été dissimulées. Parler de dissimuler,-c'est éveiller l'idée d'action, c'est faire penser à un effort tendant à empêcher la découverte d'une chose. Une attitude purement négative ne devrait pas être considérée comme une dissimulation. Aussi, l'action de dissimuler, est-elle un élément constitutif du délit.

Cette observation nous conduit à regarder l'article 31 comme non applicable à une personne qui se serait bornée à ne pas signaler son incapacité, si d'ailleurs elle n'avait rien fait pour la dissimuler. Il y aurait, alors réticence, mais non dissimulation.
— Il en serait différemment si l'inscription avait été obtenue grâce à une supercherie.

On ne devrait pas, non plus, econnaître le caractère délictueux à l'inscription d'une personne à laquelle on aurait demandé, sans spécifier, si elle n'a encouru aucune incapacité et qui aurait répondu négativement, soit parce qu'elle n'avait pas connaissance du jugement qui la prononçait, suit même parce qu'elle ne gavait pas que le cas dans lequel elle se trouvait engendrât une déchéance. Sans doute, ou objectera que nul n'est censé ignorer la loi. Cela est exact en principe, mais il n'en est pas moins vrai que pour dissimuler une incapacité, il faut la connaître. L'ignorance se confond ici avec la bonne foi. — Au contraire le délit se caractérise si l'incapable a été interrogé sur le point de savoir s'il n'a pas encouru telle condamnation déterminée : même ; s'il ignorait que la déchéance du droit de vote en fût la conséquence, cette question a dû le lui faire supposer et sa bonne foi devient suspecte ; a-t-on pris le soin de l'éclairer, il n'y a plus alors de doute, l'intention frauduleuse est certaine et le délit est constitué.

Pour qu'il y ait délit d'inscription multiple, il faut que les inscriptions demandées aient été accordées. L'article 31 dit, en effet : « Toute personne qui... aura réclamé et obtenu une inscription sur deux ou plusieurs listes. »

Il résulte de là que si la deuxième inscription est refusée, le délit, ayant été seulement tenté, ne sera pas puni. Ce n'est, en somme, que l'application de la règle ordinaire ; mais le législateur, ayant parlé de réclamer, devait parler d'obtenir, afin de préciser que le délit ne consiste pas dans la fraude qui prépare l'inscription, mais dans l'inscription elle-même.

Il faut aussi que les inscriptions aient été réclamées par la même personne. Si l'une des inscriptions avait été accordée sur la demande d'un tiers, on serait en dehors des termes de l'article 31, quelle que fût d'ailleurs la mauvaise foi du dernier réclamant. C'est une lacune de la loi, car la situation peut se présenter fréquemment en raison de l'action populaire à laquelle est abandonnée la confection des listes électorales.

Mais le délit existe lorsque celui qui obtient la double inscription l'a réclamée pour un tiers aussi bien que s'il l'a demandée pour lui-même. En effet, l'article 31 qui, dans sa première partie, s'est occupé de quiconque se sera fait inscrire sous de faux noms ou de fausses qualités ou en dissimulant une incapacité, ce qui implique une démarche personnelle, dit, en prévoyant l'inscription multiple : « ou aura réclamé et obtenu une inscription sur deux ou plusieurs listes », ce qui veut dire une inscription quelconque, aussi bien celle d'un tiers que la sienne propre.

4°. L'article 6 de la loi du 7 juillet 1874 prévoit deux moyens nouveaux tendants à l'obtention d'inscriptions illégales : les déclarations frauduleuses et les faux certificats ; ce qui revient à dire : les déclarations frauduleuses verbales et les déclarations frauduleuses écrites, la présentation d'un certificat équivalant à la déclaration de ce qui s'y trouve consigné. Mais aux déclarations relatives à quels objets l'article 6 s'applique t-il ? Est-ce à toutes les déclarations frauduleuses qui peuvent être faites ? Ou faut-il faire exception pour celles qui étaient prévues spécialement avant la loi de 1874 ? En d'autres termes, l'article 6 absorbe-t-il les cas prévus par l'article 31 du décret de 1852, ou bien les déclarations de faux noms et de fausses qualités continueront-elles à être régies par l'article 31 ? La question présente un grand intérêt pratique. D'abord nous savons que la tentative n'est pas punie par l'article 31 et qu'elle l'est par l'article 6 ; ensuite l'emprisonnement est d'un mois à un an et l'amende de cent francs à mille francs dans l'article 31, dans l'article 6 le minimum de la peine est abaissé à six jours, le maximum restant le même, et l'amende est réduite de moitié dans chacun de ses termes ; enfin l'interdiction perpétuelle des droits civiques est une conséquence légale d'une condamnation prononcée en vertu de l'article 31 (art. 15 § 7 du décret organique du 2 février 1852), tandis que le juge peut prononcer cette interdiction facultativement et pour deux ans seulement, s'il est fait application de l'article 6. Pour donner une réponse, il est utile de remonter à l'origine de l'article 6. La loi du 7 juillet 1874 ayant organisé un électorat municipal distinct de l'électorat politique, sa première conséquence fut de rendre nécessaire la confection de deux listes électorales. La répression spéciale de la loi de 1874 ne s'étendit évidemment qu'aux délits commis à l'occasion de l'établissement de la liste que cette loi organisait, mais il restait à savoir si les dispositions de l'article 31 du décret de 1852, relatives à certaines déclarations frauduleuses, étaient abrogées, pour les listes municipales, par les termes trés généraux de l'article 6. L'hésitation était possible. Cependant il semble logique de dire que, la loi de 1874 exigeant la réalisation de certaines conditions énumérées dans les six paragraphes de l'article 5, conditions dont on devait justifier au moyen de déclarations et de certificats, les déclarations frauduleuses dont il s'agit sont celles relatives aux six paragraphes en question, c'est-à-dire à la durée de la résidence, à l'inscription au rôle de l'une des quatre contributions directes, ou des prestations en nature, et à la nationalité des Alsaciens-Lorrains. A côté de ces cas, l'article 31 devait conserver toute son application. En 1875, la loi du 30 novembre étendit, par son article 22, les dispositions de l'article 6 aux listes politiques. Avec quelle portée cet article leur devint-il applicable ? Seulement avec celle qu'il avait dans la loi de 1874, c'est-à dire en ne portant que sur les cas non indiqués dans l'article 31, et lorsque la loi du 5 avril 1884 eut consacré le retour à une liste Unique, les deux articles protégèrent un seul objet au lieu de deux, mais rien n'a changé la portée d'application respective de chacun d'eux. Par conséquent, la signification des mots « déclarations frauduleuses et faux certificats » ne s'étend pas aux faux noms et aux fausses qualités.

Toutefois, une opinion différente a été exprimée par M. Chante-Grellet, lorsqu'il a dit, après avoir parlé de l'article 31 : « Cet article a été, bien qu'il n'ait pas eu d'abrogation formelle, remplacé par l'article 6 de la loi du 7 juillet 1874, sur l'électorat municipal, qui se trouve sur le point encore applicable, et même à toutes les élections parce que, d'une part, cet article avait été déclaré applicable, en ce qui touche les listes électorales politiques, par l'article 22 de la loi du 30 novembre 1875 et que, d'autre part, si la nouvelle loi municipale de 1884 a consacré le principe d'une liste unique, elle ne contient pas d'abrogation de la loi du 7 juillet 1874. Celle-ci peut, dès lors, être appliquée dans ce qu'elle n'a pas de contraire à la loi nouvelle (Traité des Elections, t. II, p. 145.). » D'après M. Chante-Grellet, l'article 31 serait donc remplacé par l'article 6. M. Garraud considère, au contraire, l'article 6 comme étant abrogé : « Les élections législatives, départementales et municipales », dit-il, « se font aujourd'hui sur les mêmes listes, car les conditions de capacité des électeurs sont identiques. Seules les élections sénatoriales empruntent une liste et des conditions particulières. Il résulte de cette observation que la loi du 7 juillet 1874 est aujourd'ui abrogée. Avec elle tombent les difficultés qu'avait fait naitre la combinaison de l'article 6 de cette loi avec les articles 31 à 34 du décret du 2 février 1852 (Traité du Droit pénal, 2' édit., t-III, p. 343, note 3.). »

Sous la législation de 1852, il n'y avait de répression que pour la fraude consistant dans une inscription pour soi-même ; une personne qui faisait frauduleusement inscrire une autre personne n'était passible d'aucune peine, sauf le cas de double inscription. La loi du 7 juillet 1874, article 6, prévoit cette infraction : elle punit celui qui fait inscrire, ou tente de faire inscrire indûment un tiers, de la même peine que s'il se faisait inscrire personnellement.

Les moyens prévus sont les fausses déclarations et les faux certificats ; donc tout autre moyen ne serait pas punissable et notamment celui qui consiste dans la dissimulation d'une incapacité.

La dernière innovation de l'article 6 de la loi du 7 juillet 1874 est la répression de la fraude au moyen de laquelle ou ferait rayer ou tenterait de faire rayer un citoyen inscrit. Ce cas ne figurait pas dans le projet de la loi. Il a été ajouté au cours de la discussion, sur l'amendement d'un membre de l'Assemblée nationale qui fit remarquer l'égal intérêt qui existe à ce que la confection de la liste électorale résulte de déclaralions loyales, soit qu'il s'agisse d'une demande de radiation, soit que l'on requière une inscription.

Les moyens prévus sont les mêmes que pour l'inscription : les déclarations frauduleuses et les faux certificats. Ici, ces deux moyens donnent une garantie assez complète, car. pour obtenir une radiation, il ne peut être question de dissimuler, il faut prouver, soit verbalement, soit par écrit, et cela se fera par des déclarations et par la présentation de certificats. La logique commande de restreindre ces déclarations à celles qui portent sur un des six paragraphes de l'article 5. En effet, le décret organique de 1852 ne renferme pas, pour la radiation, la contre-partie de l'inscription sous de faux noms et de fausses qualités. A la vérité, la radiation à l'aidé de faux noms ne se conçoit pas ; mais une déclaration frauduleuse, en vue de faire effacer de la liste le nom d'un citoyen, peut très bien porter sur une qualité de ce citoyen, par exemple sur sa nationalité.

Il est encore possible, dans un cas spécial, qu'aucune déclaration ne soit nécessaire et que la fraude échappe, par conséquent, à la répression de l'article 6. Ce serait le cas d'un maire qui bifferait sur la liste les noms qui lui déplaisent. Ce procédé ne tombant pas sous le coup de notre article n'a pendant longtemps exposé son auteur à aucune sanction. Aujourd'hui cette fraude serait punie par la loi du 30 mars 1902.

§ II. — Infractions relatives à la légalité du vote.

Les délits qui font l'objet de ce paragraphe sont visés par les articles 32, 33 et 34 du décret organique du 2 février 1852. Ils sont, pour quelques-uns, comme le prolongement de ceux que nous venons d'étudier et consistent à voter frauduleusement après avoir été frauduleusement inscrit. Mais tous les cas n'ont pas été repris : il n'est pas question du vote effectué par ceux qui ont été inscrits sur la demande d'un tiers au moyen de déclarations frauduleuses ou de faux certificats, ni même du vote émanant de personnes qui ont été inscrites par les mêmes moyens sur leur initiative personnelle. Cela tient à ce que les déclarations frauduleuses en vue d'une inscription datent, en tant que moyens délictueux, de la législation de 1874, tandis que les votes frauduleux sont prévus par la législation de 1852 ; il eut fallu une disposition spéciale que le législateur a omis d'introduire dans la loi du 7 juillet. Au contraire, certains votes seront punis bien que les inscriptions qui les rendent possibles n'aient pas été qualifiées délictueuses : ce sont les votes multiples faisant suite à des inscriptions multiples non délictueuses, ou bien les votes effectués en vertu d'une inscription obtenue par un tiers en fraude d'une condamnation judiciaire ou d'une faillite. Enfin, il y a deux cas dans lesquels le vote est un délit, alors que l'inscription qui le rend possible, non seulement n'est pas délictueuse, mais encore a été faite régulièrement : celui où le votant a usurpé les noms et qualités d'un électeur inscrit et celui où il a perdu le droit de voter postérieurement à son inscription.

Remarquons que la loi ne parle que des votes émis en vertu d'inscriptions et que, par conséquent, la personne non inscrite une ou plusieurs fois ne pourrait être poursuivie. Le cas du vote sans inscription a échappé à la prévision de nos lois, sans doute à cause de la difficulté de sa réalisation. Mais il suffit que cette réalisation soit possible, ne serait-ce que par surprise, pour que le silence de la loi paraisse regrettable. II eut fallu une disposition punissant tout vote illicite.

Toutefois, n'en concluons pas trop vite que celui qui vote sans être inscrit sera toujours à l'abri de toute poursuite. Son cas n'a pas été spécialement prévu, mais s'il peut se rattacher à une disposition existante, il y aura répression ; notamment le citoyen qui voterait par suite d'une entente avec le président du bureau qui recevrait son bulletin sans vérification serait passible des peines de l'article 35 en tant que complice. Dans ce cas, le président serait l'auteur principal du délit, il aurait ajouté frauduleusement un bulletin à la masse, et le citoyen qui le lui aurait remis serait son complice pour avoir aidé à cette addition.

En résumé, il y aura infraction :

Lorsqu'on aura voté en vertu d'une inscription obtenue en déclarant de faux noms ou de fausses qualités ;
Lorsqu'on aura voté en vertu d'une inscription obtenue en dissimulant une incapacité prévue par la loi ;
Lorsqu'on aura profité d'une inscription multiple pour voter plus d'une fois ;
Lorsqu'on aura voté en prenant faussement les noms et qualités d'un électeur inscrit ;
Lorsqu'on aura voté alors que postérieurement à une inscription régulièrement obtenue, ou a subi une déchéance résultant, soit d'une condamnation judiciaire, soit d'une faillite ;
Lorsqu'on aura voté en vertu d'une inscription faite malgré l'existence d'une incapacité consécutive à une condamnation judiciaire ou à une faillite, mais opérée sans participation personnelle.

Les quatre premières infractions sont punies d'un emprisonnement de six mois à deux ans et d'une amende de deux cents à deux mille francs, peine relativement forte, parce qu'elles ont été précédées d'un premier délit. Ce motif ne peut pas s'appliquer cependant au double vote lorsqu'il est effectué grâce à une deuxième inscription à laquelle le votant est resté étranger ; mais, dans ce cas, la gravité de l'atteinte qui a été portée au résultat de l'élection explique la sévérité de la loi.
— La peine n'est que de quinze jours à trois mois de prison et de vingt à cinq cents francs d'amende dans les deux derniers cas, parce que le délit n'est précédé d'aucune fraude :

La première de ces infractions est, dans le vote, le délit correspondant au premier cas indiqué.à propos de la confection des listes électorales. Nous renvoyons donc, pour tout commentaire sur les points communs, à ce qui a été dit plus haut. Mais puisqu'il s'agit ici de vote effectué, élément nouveau, nous nous demanderons quand un vote est effectué. La question est plus simple en apparence qu'en réalité. On sait que les électeurs doivent remettre leur bulletin au président du scrutin et que celui-ci est chargé par la loi de le déposer dans l'urne. On se demande alors si le vote a lieu par la remise du bulletin au président ou par le dépôt dans la boîte du scrutin.

Il y a d'excellentes raisons en faveur de l'une et de l'autre solution.

On dit, pour soutenir que le vote est accompli par la remise du bulletin au président : qu'en remettant ce bulletin l'électeur épuise l'exercice de son droit dans la forme que lui reconnaît l'article 22 du décret réglementaire du 2 février 1852 et que, par conséquent, le vote est effectué par rapport à lui ; que cela est si vrai que le soin de déposer le bulletin dans l'urne rentre dans les attributions exclusives du président qui en a été chargé dans un but de contrôle et de garantie générale, sans que l'électeur puisse en rien participer à ce dépôt ; que la distinction entre ce qui est permis au votant pour l'exercice de son droit et ce qui doit être observé par les membres du bureau pour assurer la sincérité et la conservation des votes émis, résulte nettement de l'économie des articles 22 et 23 du décret réglementaire du 2 février ; que la formalité de l'émargement sur la liste, en regard du nom du votant, marque le terme de l'exercice de son droit, puisque l'article 23 du décret réglementaire décide que : « le vote de chaque électeur est constaté par la signature ou le parafe de l'un des membres du bureau, apposé sur les listes en marge du nom du votant » ; que l'électeur est si bien dessaisi de son bulletin que si une difficulté venait à s'élever à son sujet, il ne pourrait être retiré, mais devrait être annexé au procès-verbal en vertu de l'article 16 du décret ; qu'enfin le système contraire aurait pour résultat de subordonner l'existence du délit à la volonté et au fait du président qui resterait ainsi maître de donner ou de ne pas donner à l'infraction un de ses éléments essentiels, suivant qu'il déposerait ou non dans l'urne le bulletin présenté.

Dans l'opinion contraire, on répond : qu'il est inexact d'induire de ce que le président a reçu la mission de déposer les bulletins dans l'urne, qu'il y ait épuisement complet du droit de l'électeur à l'instant où celui-ci remet son billet ; que si, dans un but de contrôle et pour la garantie du vote, le bulletin doit passer par les mains du président, l'électeur n'en conserve pas moins le droit de surveiller le dépôt ; qu'il est ainsi le véritable déposant et que le concours obligé d'un intermédiaire ne saurait modifier le dépôt ; que c'est d'ailleurs une pure subtilité que de parler d'un vote accompli par rapport à l'électeur, alors qu'il ne le serait pas par rapport au scrutin ; qu'en effet, la loi ne distinguant pas deux espèces de votes, il faut que le vote soit tout à fait ou ne soit pas du tout ; que, sans doute, les opérations se décomposent en plusieurs parties dans lesquelles agissent alternativement l'électeur et les membres du bureau, mais que les opérations qui précédent le dépôt du bulletin dans l'urne ne sont que la préparation de cette dernière dans laquelle seulement et essentiellement consiste le vote ; que, si l'on veut, les actes préparatoires sont des commencements d'exécution qui fournissent tous les éléments d'une tentative de délit, mais ne sauraient constituer le délit lui-même ; qu'en effet, aux termes de l'article 3 du Code pénal, la tentative de délit n'est considérée comme délit que dans les cas déterminés par une disposition spéciale de la loi et que les articles 32, 33 et 34 du décret organique du 2 février 1852 punissent ceux qui ont voté dans les cas qu'ils prévoient, mais non ceux qui ont tenté de le faire ; qu'ainsi, lorsque le président s'avise de la fraude avant le dépôt dans l'urne, il y a vote manqué et non vote consommé ; que la formalité de l'émargement sert bien à constater le vote, mais qu'en l'absence d'une iudication de la loi sur le moment où il doit avoir lieu, on doit décider logiquement que ce doit être après le dépôt à la masse, pour ne pas être obligé de déclarer le vote accompli avant la remise du billet si l'émargement était fait de suite après la présentation de la carte et avant celle du bulletin ; que l'article 51 suppose que les billets sont entrés dans le scrutin et ont été comptés pour le résultat de l'élection, puisqu'il décide que les condamnations ne pourront, « eu aucun cas, avoir pour effet d'annuler l'élection déclarée valide par les pouvoirs compétents, ou dûment définitive par l'absence de toute protestation régulière formée dans les délais voulus par les lois spéciales » ; qu'enfin, si le vote était accompli par le dessaisissement entre les mains du président, il faudrait admettre que la remise de deux bulletins, alors même que la fraude serait découverte avant le dépôt, constitue le délit d'addition à la masse puni par l'article 112 du Code pénal.

On réplique que ces arguments ne détruisent pas les premiers et que, notamment, celui qui est tiré de l'article 51 n'a rien de décisif. En effet, s'il est bien certain que cet article, en posant la règle que la validité des élections est indépendante des condamnations prononcées, se rapporte aux crimes et délits qui ont faussé le scrutin, il n'apparaît pas qu'il ait eu en vue tous les délits commis dans le vote, et la question est précisément de savoir si notre délit est accompli seulement lorsqu'il a faussé le scrutin ou s'il n'est pas constitué par la simple remise du bulletin au président.

La prétendue conséquence qu'entraînerait le premier système de faire regarder comme une addition de bulletin à la masse, le fait d'avoir remis deux billets, dont un seul aurait été déposé dans l'urne, ne doit pas arrêter davantage, parce que cette objection part d'une confusion entre le vote et l'adjonction à la masse, ce qui est, en somme, l'objet du différent. Dans le deuxième système, on place les deux actes au moment du dépôt du billet à la masse, et l'on raisonne ensuite comme si, dans le premier, on faisait la même réunion au moment de la remise du billet au président. Mais le dépôt à la masse a lieu à un moment fixe que l'on ne peut déplacer ; il a donc fallu nécessairement séparer les deux actes lorsqu'on a avancé le moment où le vote est accompli. Dans ces conditions, la remise des deux bulletins au président ne constitue pas une addition à la masse.

Devant prendre parti entre ces deux systèmes, nous adoptons le premier, parce qu'il est soutenu, autant que le second, par des arguments juridiques, et parce qu'il répond plus exactement à la conception réelle des choses. En effet, lorsqu'une personne a eu, dans un acte, toute la part qu'il lui était possible d'y prendre, on peut dire qu'elle a accompli cet acte, et, si cet accomplissement a eu lieu à l'encontre d'une loi pénale, il y a infraction. C'est d'ailleurs l'opinion qui a été adoptée par la Cour de cassation (Cass., 12 janvier 1893. Pand. fr. pèr. 1894.1. 372.).

Le vote effectué en vertu d'une inscription réclamée et obtenue en dissimulant une incapacité est, comme l'infraction précédente, un délit correspondant à un cas dont nous nous sommes occupés à propos des inscriptions frauduleuses Nous renvoyons donc à ce qui a été dit plus haut. Il n'y aura pas d'ailleurs à| considérer spécialement la bonne foi ou la mauvaise foi dans le vote lui-même ; la partie de l'article 33 qui prévoit notre délit, se réfère au deuxième cas de l'article 31, lequel prévoit lui- même un autre délit. On ne sera donc dans la situation exigée par l'article 33 que, si le délit de l'article 31 existe, et cette condition sera la seule dont il y aura à tenir compte ; si elle est remplie, il y aura délit ; si, au contraire, l'inscription a été obtenue sans dissimulation d'une incapacité, si. par conséquent, la condition n'est pas remplie, le vote, même fait en toute connaissance de l'incapacité et de la plus mauvaise foi du monde, ne sera pas punissable. Ce résultat est, sans doute, regrettable, car il conduit à l'impunité dans des cas plus graves que certains autres qui seront punis, mais il est commandé par les termes de la loi. En effet, l'article 33 doit être lu comme s'il était ainsi conçu : quiconque aura voté, dans une assemblée électorale, en vertu d'une inscription obtenue en commettant le délit de se faire inscrire en dissimulant une incapacité prévue par la loi, sera puni, etc.. Il a été jugé que ne tombait pas sous la pénalité de l'article 33, le vote émis par un incapable qui avait été inscrit après une délibération de la commission municipale décidant qu'une certaine condamnation encourue ne constituait pas une incapacité (Cass. 30 avril 1875. D. 1876,1, 35, S. 1875, I, 277.). Cette solution était motivée en partie par l'autorité de la décision de la commission municipale, mais l'absence de la dissimulation d'incapacité dans l'inscription aurait pu suffire.

Le délit de votes multiples ne correspond -pas exactement au délit d'inscriptions multiples. Il est plus compréhensif : il renferme d'abord les votes faisant suite à des inscriptions multiples délictueuses et, ensuite, les votes rendus possibles par des inscriptions multiples non délictueuses (Cass. 12 août 1881. S. 1881, I, 437. P. 1881, 1,1103.). Nous savons, du reste, que ces infractions sont punies des mêmes peines malgré le degré diflérent de criminalité qu'elles indiquent chez leurs auteurs et il est bien entendu aussi qu'il faudra que les votes aient lieu en vertu de plusieurs inscriptions (Nîmes, 20 août 1863. D. 1864, 2,147.).

Sur ces points, il n'y a aucun doute, mais la difficulté apparaît lorsqu'on se demande ce que la loi entend par voter plusieurs fois. Est-ce voter plusieurs fois dans un même scrutin, dans un même lieu ? Est-ce voter dans des scrutins distincts, dans des lieux différents ? et alors devra-t-on distinguer selon le temps, l'objet et la nature des élections ? Nous nous laisserons guider, pour répondre, par le principe précédemment énoncé que chaque électeur a une seule part d'autorité et non plusieurs, et notre déduction sera qu'il y a délit toutes les lois que ce principe, ayant reçu une atteinte, on se trouvera, en outre, dans les termes de l'article 34. En somme, la question à envisager est relative au lieu, au temps, à l'objet et à la nature des élections.

L'article 34 nous fournit la réponse sur les deux premiers points. Ce qu'il punit, c'est le fait de voter plusieurs fois en vertu d'inscriptions multiples ; il se réfère ainsi, non seulement au cas de votes dans un même lieu, mais surtout à celui de votes dans des lieux différents. En effet, il ne semble pas possible que l'on puisse être inscrit plusieurs fois sur une même liste : les inscriptions se font par ordre alphabétique, et deux noms absolument semblables se suivant ne sauraient manquer d'éveiller l'attention. Il est vrai que l'on peut être inscrit une fois sous son véritable nom et une seconde fois sous un faux nom ; mais alors, il ne semble pas que l'on soit tout à fait dans le cas d'une inscription multiple, puisque ce ne sont pas des inscriptions identiques ; il s'agit plutôt de l'inscription sous de faux noms prévue par l'article 31 et dont l'utilisation pour voter constitue un délit particulier, lequel est, d'ailleurs, puni de la même peine que le délit de votes multiples, ce qui enlève a la question tout son intérêt.

Il n'est pas nécessaire que les votes qui ont eu lieu sur des listes distinctes aient été émis le même jour, il suffira qu'ils l'aient été dans la même période de validité des listes électorales, o'est-à-dire dans les douze mois oompris entre le 1er avril d'une année et le 1er avril de l'année suivante. En effet, les inscriptions multiples ayant la même durée que les listes qui les renferment, c'est voter plusieurs fois, en vertu d'inscriptions multiples, que de voter, sur plusieurs listes, dans une même période. Mais, dès que les listes sont renouvelées tout se trouve remis en question et le calcul des votes doit être recommencé, car les anciennes inscriptions multiples ont disparues et, si de nouvelles ont pris leur place, le premier vote qu'elles permettront ne sera jamais qu'un vote unique en vertu d'inscriptions multiples.

Les votes ainsi émis dans divers lieux en vertu d'ins criptions contemporaines ne seront pas encore délietueux si, en outre, leur objet n'est par le même. La loi ne le dit pas, mais elle n'y contredit pas non plus, et c'est une déduction qui se tire du principe d'égalité sus-énoncé. Il importe peu, en effet, que les droits différents d'un électeur soient exercés dans des lieux différents, si, d'ailleurs, ils ne sont exercés qu'une fois chacun. Ainsi on pourrait certainement voter dans une commune pour un député et dans une autre pour un conseiller général ; ce serait une irrégularité, non un délit. Au contraire, a-t-on, dans la même année électorale (Cass. 8 juillet 1881. D. et P. 1881,1, 491.) , voté dans deux communes pour des élections do même objet, le délit sera constitué.

Encore, la règle formulée dans des termes aussi absolus n'est-elle pas toujours rigoureusement exaete. Il faut considérer la nature des élections et distinguer selon qu'il s'agit d'élections générales ou d'élections) partielles. Le type le plus parfait du délit de vote mul tiple c'est voter dans deux endroits, le même jour, dans une même élection générale. Mais si l'on a voté sur deux listes, à quelques mois d'intervalle, dans deux éleotions générales de même objet, ce qui peut arriver si la Chambre des députés est élue, dissoute et réélue dans la même année électorale, il n'y a pas délit, parce que, dans ce eas, les effets des premiers votes n'existant plus, tous les électeurs sont appelés à exercer leurs droits. De même il n'y aurait pas délit si le premier vote était relatif à une élection partielle et le deuxième à une élection générale, par la raison que les éleotions générales mettant toujours fin aux éleotions partielles, tous les citoyens seront appelés à voter, Mais ce cas ne se présentera pas en fait, car les élections générales sont toujours placées à une époque très rapprochée de la confection des listes électorales, par conséquent très voisine du début de l'année électorale. Au contraire, il y a délit, si le premier vote est exprimé dans une élection générale et le second dans une élection partielle, ou le premier normalement dans une élection partielle et le second dans une autre élection partielle. En effet, dans ces hypothèses, l'électeur qui vote sur deux listes donne à son droit une étendue que n'a pas le droit de l'électeur inscrit sur une seule liste.

Bien entendu, si un autre principe, ou une autre règle de droit vient se combiner avec le principe de l'égalité des droits des citoyens, il faudra en tenir compte. Voici, à titre d'exemples, quelques espèces choisies parmi les plus intéressantes.

Nous savons que celui qui vote le même jour dans deux scrutins pour la même élection commet incontestablement le délit de double vote : mais l'infraction existera-t-elle si le scrutin n'a pas donné de résultat définitif et s'il y a lieu de procéder à un second tour dans les deux circonscriptions ou dans une seule ? Bien que, dans ce cas, les votes n'aient pas produit tout leur effet, il faut répondre affirmativement parce que le délit a pris naissance au moment du deuxième vote et le résultat négatif du scrutin ne peut faire que ce qui existe cesse d'exister.

En est-il de même quand un deuxième-tour étant nécessaire dans deux circonscriptions, un électeur a voté, le jour dû scrutin général, dans une circonscription et, le jour du scrutin de ballotage, dans l'autre circonscription ? Il serait conforme au principe établi de dire que ce procédé constitue une irrégularité et non le délit de double vote, car en votant la deuxième fois sur la liste que l'on avait négligée d'abord, on n'use pas d'un pouvoir plus grand que celui des citoyens inscrits sur une seule liste et l'on ne participe, en somme, à une deuxième élection que lorsqu'il a été reconnu que la première n'avait pas eu de résultat. Cependant on objecte que le second tour est la continuation du premier et que, par conséquent, le vote commencé dans un scrutin ne peut se continuer dans un autre sans se dédoubler. C'est ce que décide la jurisprudence (Casa. 21 janvier 1897. S. 1897,1, 253.).

Supposons maintenant qu'une élection pour la constitution d'un Conseil municipal soit annulée par le Conseil d'État et que l'élection de remplacement soit placée dans une autre année électorale. Les électeurs inscrits dans deux communes et qui ont voté, lors de l'élection générale, dans la commune dont le Conseil est maintenu, commettent-ils un délit s'ils votent pour l'élection de remplacement ? L'affirmative doit être adoptée, parce que l'arrêt d'annulation a pour effet de faire réputer non avenue l'élection annulée et de donner à l'élection nouvelle un effet rétroactif, qui la place fictivement à l'époque du renouvellement général. Les électeurs dont il s'agit se trouvent ainsi avoir pris part à la formation de deux assemblées municipales dans le même renouvellement, ce qui constitue au premier chef le délit de l'article 34 (Casa., 11 novembre 1898. Pand.ir. pér., 1899, 1. 136.).

Quid si, au lieu que l'élection ait été frappée d'annulation, l'assemblée élue avait été dissoute ? Ici, la réponse serait différente, car un déoret de dissolution ne met pas à néant les opérations électorales qui ont servi à la formation de l'assemblée (Casa, 13 janvier 1900. pand.fr. pér. ; 1901,1, 436. ).

Sur la question de bonne foi, nous dirons seulement que rien dans le texte de l'article 34 ne déroge aux règles ordinaires. Donc, celui qui voterait dans l'ignorance que l'on ne peut profiter de deux inscriptions ou que tel cas constitue un double vote, serait punissable parce que ni l'ignorance de la loi ni l'erreur de droit ne peuvent être admises comme moyen d'exemption de toute responsabilité (Casa., 12 août 1881. Bull, crin., nº 200.).

Le vote sous les noms et qualités d'un électeur inscrit aura lieu le plus généralement sur la présentation de la carte de cet électeur. Pour se la procurer, on a pu la voler et se rendre passible des peines de l'article 401 du Code pénal ; mais ce délit est indépendant de l'infraction électorale : celle-ci consiste à se servir de la carte pour voter.

L'article 33 ne punit le vote ainsi fait que si les noms et qualités ont été pris faussement. L'action en vue de tromper sur son identité est donc un élément nécessaire du délit. Il en résulte qu'une personne chargée par un électeur de voter à sa place, qui exprimerait un suffrage, de bonne foi, pensant que le vote par mandataire est autorisé, ne serait pas punissable, parce qu'elle n'aurait pas pris faussement, mais au contraire très loyalement, les noms et qualités de son commettant. Mais si le vote était accompli de mauvaise foi et après déclara-ration que l'on est bien titulaire de la oarte, l'infraction serait constituée. Il est même certain que le silence gardé par le votant qui assiste à l'appel du nom porté sur la carte à lui confiée et qui laisse faire l'émargement sur la feuille de contrôle, caractérise suffisamment le délit.

et On a remarqué la différence de rédaction qui existe entre l'article 31, auquel renvoie l'article 33. et l'article 32, en ce qui concerne les incapacités. L'artiole 31 parle des incapacités prévues par la loi, lesquelles, nous l'avons vu, sont indiquées dans les articles 15 et 16 du décret du 2 février, tandis que l'article 32 parle de la déchéance résultant soit d'une condamnation judiciaire, soit d'une faillite. Ces expressions excluent des prévisions de l'article 32 les inoapacités énumérées dans les articles 15 et 16, qui ne seraient la conséquence ni d'une condamnation judiciaire ni d'une faillite. Or, c'est le cas de l'incapacité prévue par le paragraphe 16 de l'article 15 : « Ne doivent pas être inscrits sur les listes électorales... 1 les interdits. » Il s'agit seulement des interdits judiciaires, la situation des interdits légaux étant visée par le paragraphe ler de l'article 15. On sait que, par mesure de protection, l'interdiction judiciaire doit être prononcée lorsqu'une personne majeure est dans un état habituel d'imbécilité, de démenee ou de fureur, même lorsque cet état présente des intervalles lucides.

De la différence de rédaction eutre les deux articles, il résulte que l'interdit qui s'est fait inscrire en dissimulant son incapacité commet un délit, et qu'il en commet un second s'il profite de cette inscription pour voter, sauf, bien entendu, à apprécier son degré de responsabilité au moment des infractions. Au contraire, s'il vote après avoir été inscrit sur l'initiative d'un tiers, il ne commet pas d'infraction. La même observation peut être faite si le vote a lieu alors que l'interdiction a été prononcée après l'inscription régulière sur la liste électorale.

Sur la question de bonne foi, nous répétons ce que nous avons dit à l'occasion des votes multiples : si un incapable se trouvant dans un des deux cas que nous avons classés sans les numéros 5 et 6, prend part a une élection sans se douter que sa situation le lui interdit, il y aura infraction parce que l'exception d'ignorance ne peut être admise (Cass. 8 septembre 1892. P. 1893.1.275.).

§ III. — Infractions relatives à la sincérité du scrutin.

Les dispositions de l'article 111 du Code pénal se retrouvent avec plus d'ampleur et de précision dans les articles 35 et 36 du décret organique du 2 février 1852.

Les faits réprimés par l'article 35 sont : la soustraction, l'addition, l'altération des bulletins et leur lecture frauduleuse. Le mot « altération» substitué à l'expression « falsification » qui se trouve dans l'article 111 semble exiger une importance moindre dans le fait qui dénature le bulletin ; il a ainsi un sens plus large. De plus, le fait de substituer un nom à un autre en lisant les billets est spécialement prévu, tandis que, sous l'empire des seuls articles du Code pénal, il était puni par extension de l'article 111. Enfin, le flagrant délit exigé par le Code de 1810 ne l'est plus par le décret de 1852.

Les personnes punissables sont toutes celles qui ont été chargées dans le scrutin de recevoir, compter, ou dépouiller les bulletins. L'article 111 disait seulement : « Tout citoyen qui, étant chargé, dans le scrutin, du dépouillement des bulletins... » Par contre, il n'est pas question des personnes autres que celles chargées de recevoir, compter ou dépouiller les bulletins. Nous verrons lorsque nous nous occuperons de la portée d'application de ces textes, que l'article 112 du Code pénal reste en vigueur pour les personnes non visées par l'article 35. Mais la Cour de cassation a décidé que cet article n'exige plus le flagrant délit « attendu que si, sous l'empire de l'article 111 du Code pénal auquel se référait l'article 112, les délinquants ne pouvaient être légalement poursuivis qu'à la condition d'avoir été surpris en flagrant délit, ledit article 111 a été abrogé et remplacé par l'article 35 du décret du 2 février 1852 lequel n'exige plus ces conditions ; que l'article 112 ne peut donc plus, depuis le décret du 2 février 1852, se référer qu'à l'article 35 de ce décret. D'où il suit que la légalité de la poursuite, en cette matière, a cessé d'être subordonnée à la constatation du flagrant délit (Cass. 9 décembre 1902. S. et P. 1894.1.475.). »

Quant à l'article 36, il est la reproduction presque littérale du dernier paragraphe de l'article 111 du Code pénal ; il punit celui qui écrit sur le bulletin d'un électeur un nom autre que celui qui lui est indiqué.

Soustraction de bulletins. —« Nous avons dit, en étudiant l'article 111, qu'une action directe sur les bulletins n'est pas nécessaire pour que le délit de soustraction existe ; ajoutons que, du moins, un acte matériel est indispensable (Cass. 24 mai 1884. S. et P. 1898.1. 428, sous Cass-23 décembre 1897.). C'est ainsi que sera considéré comme soustraction de bulletin le fait de retrancher sur la feuille de dépouillement des votes, un suffrage exprimé, mais non le refus d'accepter un bulletin présenté, même si la capacité du votant n'est pas contestée (Cass. 14 juin 1884. D. 1886. 1. 92.). Toute soustraction, en effet, est une oeuvre de désagrégation et ne se conçoit que lorsqu'au préalable, il a été fait quelque chose qui la rend possible ; or le refus d'accepter un bulletin empêche précisément la réalisation de ce qui permettrait de faire ultérieurement la soustraction.

Il a été jugé que le fait, de la part d'un maire, d'avoir de mauvaise foi retranché de la liste électorale des noms qui auraient dû y être maintenus et d'avoir mis ainsi des citoyens ayant le droit de prendre part au scrutin dans l'impossibilité de voter, ne doit pas être considéré comme Une soustraction de bulletins (Casa. 18 février 1882. S. 1882.1.137. D. 1882.1. 235.).

De même, le président qui refuse de mettre dans l'urne un billet qui lui est présenté, sous prétexte qu'il porte certains signes extérieurs, et qui l'annexe au procès-verbal, ne commet par le délit de l'article 35 s'il refuse ultérieurement d'accepter un nouveau billet en remplacement de celui qui a été retenu (Cass. 2 février 1882. S. 1882.1, 137. D. 1882.1. 235.).

Ne tombe pas encore sous le coup de l'article 35, le fait, de la part du président du bureau électoral, de refuser le bulletin d'un citoyen qui se présente porteur d'une sentence du juge de paix, reconnaissant sa qualité d'électeur dans la commune (Cass. 24 mai 1884. S. et P. 98.1. 428, sous caas. 23 déc. 1897.).

Même solution, si les membres du bureau abandonnent leur poste, laissant au maire seul le soin de procéder aux opérations électorales, ce qui ne pouvant pas se faire, met obstacle au vote des électeurs qui ne se sont pas encore présentés (Cass. 8 juillet 1881. S. 1881.1. 440. D. 1881.1. 491.).

Mais constituerait incontestablement le délit de soustraction de bulletin, le fait, par le président, d'avoir incinéré les billets avant l'achèvement complet du dépouillement (Casa. 6 août 1885. Pand.fr. pèr. 86. 1. 23.).

Addition de bulletins. — La même observation qu'une action directe sur les billets n'est pas nécessaire, mais qu'un acte matériel est indispensable, doit être répétée pour le délit d'addition de bulletin. Cela est, du reste, encore plus évident pour l'addition que pour la soustraction, en raison de la différence de nature de ces deux actes, car si ne pas faire équivaut quelquefois à soustraire, il faut nécessairement un acte positif pour ajouter à ce qui existe déjà.

Il a été jugé que le président qui reçoit le suffrage d'un électeur qu'il sait avoir déjà voté, commet le délit d'addition de bulletin (Cass. 11 juillet 1890. S. 1891.1. 236. P. 1891. 1.155.).

Que faut-il décider si le président a reçu deux bulletins à la fois et que sciemment il les ait déposés l'un et l'autre, dans l'urne électorale ? Est-on en présence d'un délit d'addition de bulletin, ou bien l'électeur a-t-il fait un vote double ? La question offre un grand intérêt. S'il s'agit d'un vote double, nous savons qu'il n'est pas délictueux n'ayant pas été fait en vertu d'une inscription multiple ; il en résulte que l'électeur ne peut être puni comme auteur principal, puisqu'il n'y a pas de délit, ni le président, comme complice, puisqu'il n'y a pas d'auteur principal. S'agit-il, au contraire, d'une addition de bulletin, le délit est 'caractérisé : le président est auteur principal et l'électeur est complice. La jurisprudence a adopté cette deuxième solution qui est, en effet, la plus satisfaisante (Toulouse, 7 avril 1881. S. 1883. 2. 16. D. 1882. 1.150.).

Il y a encore délit d'addition de bulletin si le maire ayant ajouté sur la liste électorale les noms de personnes n'ayant pas le droit d'y figurer et ayant refusé la communication de la liste pour éviter des demandes en radiation, reçoit les votes des personnes frauduleusement inscrites (Cass. 14 décembre 1894. S. et P. 1895. 1. 208.).

Il y a, également, délit d'addition si le président auquel notification régulière a été faite d'une sentence du juge de paix décidantqu'un individu devait être retranché de la liste électorale, admet intentionnellement cette personne à voter (Cass. 24 mai 1884, précité.). Remarquons que les décisions du juge de paix, en la matière, sont rendues endernier ressort.

Altération de bulletins. — Il y a une grande affinité entre la soustraction et l'addition de suffrages et l'altération de bulletins ; quelquefois, celle-ci tient, en même temps, de l'une et de l'autre, comme dans le cas où l'altération consiste à transformer un nom en un autre, alors la disparition du nom primitif équivaut à une soustraction, et son remplacement par un autre à une addition ; parfois, il y a seulement soustraction, par exemple, si le bulletin est rendu illisible ; enfin, il y aura seulement addition si un bulletin blanc est rempli. Cette ressemblance entre ces divers délits les a fait punir de la même peine.

Bien des moyens peuvent servir à l'accomplissement du délit d'altération ; ce peut être un grattage, une surcharge, une maculation, une lacération, etc. ; mais il faut que l'altération porte sur la substance du bulletin, c'est-à-dire sur le nom qui s'y trouve inscrit ou sur un détail qui enlève au billet sa valeur, comme si l'on faisait mention, à côté du nom du candidat, du nom d'un électeur. Il n'y aurait pas d'altération au sens délictueux du mot, si la partie du bulletin rendue méconnaissable, était relative, par exemple, à l'opinion du candidat.

L'action directe sur le bulletin n'est pas non plus nécessaire pour l'existence du délit d'altération. Celui-ci serait suffisamment caractérisé si, dans le dépouillement du scrutin, le préposé au relèvement des votes mettait au compte d'un candidat un suffrage donné à un autre.

Lecture frauduleuse des bulletins, — Si le fait de lire un nom autre que celui inscrit sur un bulletin, a été spécialement prévu, à l'exception des autres actes qui, sous l'empire des seuls articles du Code pénal, étaient, comme lui, réprimés par extension de l'article 111, il est bien certain que le législateur n'a pas voulu condamner par son silence les autres assimilations qui avaient été faites. Vraisemblablement, la dénaturation des noms dans la lecture des bulletins, a fait l'objet d'une mention particulière, pour qu'il ne reste aucun doute sur une fraude dont la nature est un peu spéciale. En effet, le moyen qui la réalise, s'il est également positif, n'est pas, du moins, aussi tangible que ceux qui servent à l'accomplissement des fraudes similaires : c'est une altération de billets par la parole, et il a paru bon de dire qu'elle serait punie de la même peine que les autres altérations.

Personnes punissables. — Malgré le soin apporté dans la désignation des personnes visées par l'article 35, il y a cependant encore place pour des difficultés.

Un point certain, c'est que l'article s'applique non seulement au président du bureau qui reçoit les billets, mais encore aux membres du bureau qui sont chargés, soit de recevoir temporairement les billets à la place du président, soit de compter ou de dépouiller les bulletins (Cass., 28 juillet 1882. S. 1884. 1. 399. D. 1883.1. 42.). Mais on s'est demandé si le secrétaire était passible des peines de l'article 35. L'hésitation vient de ce que le secrétaire n'est directement chargé ni de recevoir, ni de compter, ni de dépouiller les bulletins contenant les suffrages. Son rôle consiste à émarger sur la feuille de contrôle et à écrire le procès-verbal. On pourrait, en conséquence, soutenir que le secrétaire n'est pas visé par l'article 35. Cependant, il est plus conforme à l'esprit de lu loi de considérer que l'article 35 est applicable, non seulement, à ceux qui directement reçoivent, comptent ou dépouillent les bulletins, mais encore à ceux qui participent indirectement à la réception des billets, ou au dépouillement du scrutin, par la vérification de l'identité des électeurs, ou par l'appel de leurs noms, ou par l'émargement sur la feuille de contrôle.

Il a été jugé, conformément à cette opinion, que l'article 35 s'applique notamment au secrétaire du bureau qui a fait admettre frauduleusement au vote, au nom d'un électeur inscrit, une personne qui ne figurait pas sur la liste électorale (Cass., 22 février 1878. S. 1878.1. 387. D. 1878. 1. 444.).

Pour la même raison, il faut décider que les membres d'une commission de recensement qui auraient altéré les chiffres qui leur sont transmis sur les procès-verbaux, seraient passibles des peines de l'article 35, bien qu'ils n'aient pas le maniement des bulletins. Il a été jugé, il est vrai, que le fait, de la part d'une commission de recensement, d'avoir écarté, dans le calcul définitif, la totalité des suffrages exprimés dans une commune, sous prétexte qu'ils étaient entachés d'irrégularité, ne rentre pas dans les prévisions de l'article 35. Mais cette décision s'explique par cette considération que les suffrages dont il n'avait pas été tenu compte, avaient été écartés, non par fraude, mais à la suite d'une appréciation erronée de leur régularité. (Cass. 7 avril 1881. S. 1882. 1.40. P. 1882.1.64.)

Comme dernière observation, ajoutons qu'il faut que les délinquants aient agi en tant que membres du bureau. Si, en conséquence, un secrétaire, après avoir voté une première fois, quittait son poste, en laissant A une autre personne le soin de faire l'émargement, puis votait une seconde fois, ce second vote ne constituerait pas une addition de bulletin tombant sous le coup de l'article 35. parce que, dans cette circonstance, le secrétaire aurait agi en tant que simple citoyen et non en sa qualité de membre du bureau. (Nîmes, 20 août 1863. D. 1864. 2. 157.)

Inscription frauduleuse sur le bulletin d'un électeur. — L'article 36 ne restreint pas le fait délictueux à l'inscription frauduleuse sur le bulletin d'un illettré, ainsi que le faisait l'article 111 du Code pénal. Il a un sens plus large qui permet de punir l'inscription frauduleuse sur le bulletin d'un électeur quelconque, si pour quelque raison celui-ci n'a pu lui-même remplir son billet. Cet élargissement du délit de l'article 111 a son utilité dans le cas où une personne non illettrée ne pourrait vérifier le contenu de son bulletin, par suite de cécité par exemple. D'ailleurs, la loi ne distinguant pas, le délit existerait même si l'électeur pouvait vérifier le nom qui a été écrit, sauf à apprécier l'intention frauduleuse.

Remarquons que, dans l'article 36, les sujets de l'infraction ne sont pas restreints aux seuls membre» du bureau, comme dans l'article 35, et que, pour la fixation de la pénalité, aucune différence n'est établie selon la qualité des délinquants, comme dans les articles 111 et 112 du Code pénal.

§ IV. — Infractions relatives à l'expression des suffrages :

Corruption. — Contraintes. — Manœuvres destinées à égarer l'opinion.

L'élection étant une consultation populaire dont le vote est l'instrument, il importe que chaque électeur, en usant de son droit, exprime une opinion personnelle. Si la liberté n'est pas entière et si une pression quelconque vient influencer les suffrages, la consultation aboutit à un résultat erroné et le but poursuivi est manqué. Il est donc utile d'opposer la menace d'une peine sévère à ceux qui sont tentés d'agir sur les votes de leurs concitoyens autrement que par la persuasion.

Cette préoccupation a dicté au législateur toute une série do dispositions. Les unes sont relatives aux cas où l'action tend à agir sur les électeurs pris individuellement ; les autres prévoient les cas où cette action tend à s'exercer sur les éleoteurs oonsidérés dans leur collectivité.

I. — Délits s'exerçant par des moyens dirigés contre les électeurs pris individuellement.

Les dispositions de la première catégorie sont contenues dans les articles 38 et 39 du décret du 2 février 1852 et dans l'article 19 de la loi du 2 août 1875 modifié par l'article 8 de la loi du 9 décembre 1884. Les faits réprimés sont, d'une part, la corruption au moyen de laquelle on amène un citoyen à abdiquer sa liberté, et. d'autre part, la contrainte morale qui paralyse cette même liberté.

Corruption.— L'article 38 punit d'un emprisonnement de trois mois à deux ans et d'uno amende de cinq cents à cinq mille francs, celui qui a donné dos deniers, effets, ou valeurs quelconques en échange d'un suffrage, soit que ce suffrage appartienne à la personne qui en reçoit le prix, soit que celle-ci doive procurer le vote d'un tiers. 11 punit de la même peine celui qui a reçu ces deniers, effets ou valeurs. Le corrupteur et celui qui s'est laissé corrompre sont donc compris dans lu même disposition pénale, et cela devait être, car leurs actes sont aussi graves tant par leur immoralité que par les conséquences qu'ils ont dans le résultat de l'élection.

De même, la répression de l'article 38 s'exercera si les valeurs ne sont pas données mais seulement promises. Toutefois, dans ce cas, celui-là seul qui a fait la promesse est punissable pour cette seule promense ; celui qui l'a acceptée ne l'est pas pour sa simple acceptation, car l'article 38 ne visant que celui qui a reçu et non celui qui a accepté, le délit n'existera pour ce dernier qu'au moment où la promesse sera réalisée, c'est-à-dire lorsque les valeurs auront été reçues. Cela semble bien résulter de l'opposition entre les termes de la loi qui sont, d'une part, « donné » et « promis », et, d'autre part, « reçu ».

Si la promesse, au lieu de porter sur des valeurs, avait pour objet un emploi public ou privé, il en serait différemment et celui qui a accepté la promesse, comme celui qui l'a faite, serait punissable, car le dernier paragraphe de l'article 38 parle de « ceux qui ont fait ou accepté l'offre ou la promesse d'emplois publics ou privés ». Cette séparation entre les deux cas peut s'expliquer par la nature différente du prix de la corruption. En effet, lorsqu'il s'agit de valeurs quelconques, la réalisation de la promesse ne se fait généralement pas attendre et le rapport entre le prix et sa cause est facilement établi, tandis que lorsqu'il s'agit d'emplois, un temps assez long peut s'écouler avant que la promesse reçoive sa réalisation et la difficulté de faire la preuve qu'elle est le prix d'un vote entraînerait souvent l'impunité.

Remarquons aussi que, dans le dernier paragraphe de l'article, il est question d'offres. L'offre ne se confond pas avec la promesse ; celle-ci indique qu'une entente existe et qu'en principe le marché est conclu. L'offre, au contraire, est une simple pollicitation qui peut être retirée. Si elle l'est effectivement, la corruption n'existe pas, pourtant celui qui l'aura faite sera puni. Ainsi, lorsqu'il s'agit d'emplois publics ou privés, la tentative de corruption est punie comme la corruption elle même.

En sera-t-il de même s'il s'agit de deniers, effets, ou valeurs quelconques ? La négative semble bien résulter du texte de l'article 38, car il y est dit formellement : « quiconque aura donné promis ou reçu » et non pas : offert. Dans ces conditions, dire que l'offre est punissable, serait décider, sans qu'une disposition spéciale de l'article le permette, que la tentative de corruption par les moyens indiqués, constitue un délit, ce qui serait contraire à l'article 3 du Code pénal. La jurisprudence des Cours d'appel paraissait fixée en ce sens, mais la Cour de cassation, dans un arrêt critiqué par M. Garraud (Traité du Droit Pénal, 2" édit., t. III, p. 354, note 26.) a désavoué cette manière de voir « attendu que la loi, dans l'article 38, punit ceux qui ont donné, promis ou reçu ; que le délit existe par le seul fait de l'offre, ou de la promesse adressée dans un but de corruption électorale et que cette promesse existe légalement alors même qu'elle n'a pas été acceptée ; qu'il s'agit ici d'un délit particulier puni à raison de son immoralité propre et du danger qu'il fait courir à la liberté et à la sincérité des votes ; qu'il existe donc sans qu'il y ait lieu de tenir compte du résultat ni de rechercher si l'offre ou la promesse a été ou non acceptée, si celui qui l'a reçue a voté ou non pour le candidat dans l'intérêt duquel elle a été faite ; que cette intention de la loi résulte manifestement de la disposition qui, dans le même article 38, punit et réprime des mêmes peines ceux qui. sous les mêmes conditions, ont fait ou accepté l'offre ou la promesse d'emplois publics ou privés, la loi mettant ainsi sur la même ligne, l'offre et la promesse à l'occasion d'un délit absolument similaire, sans considérer ni l'acceptation ni le résultat (Cass. 18 novembre 1882. S. 83.1. 92. Voir aussi Cass. : 9 janvier 1885. S. 85. 1. 406 ; 24 mai 1890. S. 91.1. 44.) ».

Nous avons supposé jusqu'ici que l'on avait recherché l'obtention d'un vote en échange du prix convenu, mais on peut aussi avoir demandé une abstention. Solliciter un électeur pour qu'il s'abstienne de voter, c'est évidemment moins que si l'on exigeait de lui qu'il exprimât un vote contraire à son opinion ; cependant la loi montre, dans les deux cas, la même sévérité. Par contre, pour l'abstention, la sanction pénale ne s'étend pas à tous ceux qui sont atteints dans la vente d'un suffrage. L'article 38 dit, en effet : « ... Sous la condition, soit de donner ou de procurer un suffrage, soit de s'abstenir de voter ». Il prévoit ainsi pour l'obtention : d'abord, le cas où l'on achète le vote d'un électeur ; ensuite, le cas où l'on achète l'influence d'un tiers qui est supposé pouvoir procurer le vote de cet électeur. Mais, pour l'abstention, l'article parle seulement du cas où l'on s'adresse à celui auquel on demande de s'abstenir. La corruption d'un tiers en vue de le décider à agir sur un électeur pour qu'il s'abstienne de voter restant en dehors de notre article, ne saurait être considérée comme étant un délit. Bien entendu, si, au lieu d'un tiers, il s'agissait d'un intermédiaire qui offrît les valeurs au nom du corrupteur, le délit existerait tout aussi bien que s'il n'y avait pas d'intermédiaire. Nous disons seulement que donner, promettre ou recevoir des deniers, effets ou valeurs quelconques, sous la condition de procurer une abstention, n'est pas un cas prévu par la loi. 11 a été jugé en conséquence, que le tait de donner des valeurs à une femme mariée pour procurer l'abstention de son mari ne tombe pas sous le coup de l'article 38 alors qu'il n'est pas établi que la femme ait dû servir d'intermédiaire entre son mari et l'auteur de la promesse (Casa. 9 janvier 1885. S. 1885,1 408. D. 1885, 1.478.).

La corruption peut être recherchée autrement que par le don ou la promesse de deniers, effets ou valeurs, et que par l'offre, ou la promesse d'emplois publies ou privés. Cette énumération de l'article 38 a le défaut, au moins dans sa première partie, de limiter trop strictement les prévisions de la loi à des objets déterminés et de rendre, par conséquent, sa sanction inapplicable toutes les fois qu'il ne s'agit pas de deniers, effets ou valeurs. C'était une lacune qui devait être comblée, pour certaines élections, par l'article 19 de la loi du 2 août 1875. Cet article renvoie aux moyens énoncés dans les articles 177 et suivants du Code pénal, moyens qni sont, pour la corruption proprement dite, les offres, promesses, dons, ou présents, sans indication de nature. Ainsi, aucune limitation n'est plus apportée aux cas qui peuvent se présenter.

L'article 19 précise, en outre, que la tentative de corruption est un délit. Cette disposition aplanit, pour les élections auxquelles l'article est applicable, la difficulté qui s'était élevée de savoir si la corruption tentée par les moyens du premier paragraphe de l'article 38 était punissable. Mais elle semble bien, aussi, confirmer que pour les autres élections, cette même tentative ne l'est pas ; d'autant plus qu'il a été clairement expliqué, au cours de la discussion de la loi, que la mesure qui était prise était une innovation ; d'où l'on est amené à induire implicitement que le législateur lui-même considérait que jusqu'alors, en règle générale, la tentative de corruption ne constituait pas une infraction.

Il est bien certain que, dans tous les cas, la constitution du délit est indépendante de la réalisation du but poursuivi : si celui qui a reçu, pur exemple, une somme d'argent pour s'abstenir de voter, se rendait néanmoins au scrutin et déposait ton suffrage, il y aurait délit tout aussi bien que s'il s'était abstenu. Bien plus, s'il avait déjà voté lorsque le prix de son abstention lui a été remis et si, par conséquent, le but proposé était impossible à atteindre, l'infraction existerait encore, car, ce que la loi punit, ce n'est pas l'exécution d'une convention, mais la conclusion de cette convention (Cm.. 24 mai 1890. 8. 1891.1. 44. P. 1S91. 1.71.).

Une certaine réserve doit être faite cependant, lorsqu'il s'agit de promesses. Nous savons qu'elles sont par elles- mêmes punissables, mais encore semble-t-il raisonnable d'exiger qu'elles soient sérieuses. Ce caractère leur manquerait si celui qui promet, ou celui qui accepte, n'était pas en mesure, le premier de donner, le second de recevoir. Telle serait la situation d'individus, l'un, sans aucune influence, promettant un emploi élevé, l'autre, sans aucune capacité, l'acceptant.

En outre, il faut qu'il soit bien établi que l'avantage en question est le prix d'un vote ou d'une abstention (Cass., 13 mars 1886. Bull. crim. nº 108.). Mais il n'est pas indispensable que la condition du marché ait été expressément spécifiée ; il suffit qu'elle se dégage des circonstances. C'est ainsi que promettre de payer leur journée de travail à des ouvriers, pour qu'ils aillent voter, alors même que la condition de donner leur voix à tel candidat n'aurait pas été stipulée expressément, est un délit, si les circonstances ne laissent aucun doute sur la condition sous-entendue (Cass., 23 avril 1890. S. 1890.1. 367. D. 1890.1, 452.). De même le fait, par un candidat, de souscrire pour une dépense d'utilité communale, un billet rédigé dans la forme d'une promesse pure et . simple et sans conditions, constitue un délit s'il résulte des faits de la cause que la promesse est effectivement subordonnée à une nomination (Riom, 21 avril 1862. S. 1863. 2. 81. D. 1862.2. 69.). De même encore, si un candidat, ou ses partisans, réunissent au cabaret des électeurs et leur font accepter des consommations pour les conduire ensuite au scrutin, l'infraction n'est pas douteuse. Mais il a été jugé que le seul fait, de la part d'un candidat qui est aubergiste, de servir des consommations à prix réduit, ou gratuitement, ne doit pas être considéré comme étant délictueux, si d'ailleurs le candidat aubergiste n'a pas sollicité les suffrages de ses clients (Toulouse, 2 janvier 1889. D. 90, 2. 206.).

L'article 38 se termine par un paragraphe ainsi conçu : « Si le coupable est fonctionnaire public, la peine sera du double ». Cette mesure de sévérité se justifie par le caractère particulier de ceux auxquels elle s'applique. Les fonctionnaires, en effet, doivent avoir une conscience plus exacte de l'importance des institutions sociales et l'autorité particulière dont ils sont revêtus est aussi de nature à agir plus efficacement sur ceux auxquels ils s'adressent. Par fonctionnaires publics, il faut entendre tous ceux qui sont chargés d'une fonction soit dans l'ordre administratif, soit dans l'ordre judiciaire, et comprendre dans cette dénomination tous les agents, quelle que soit la modicité de leur rang dans la hiérarchie. On peut même dire que les fonctionnaires les moins élevés sont ceux auxquels, dans bien des cas, il est le plus facile d'agir sur leurs concitoyens, car ils sont plus près d'eux.

Contraintes. — L'article 39 prévoit, comme l'article 38, la pression exercée en vue d'influencer un vote ou d'amener un électeur à s'abstenir de voter. Les moyens seuls différent : ce n'est plus l'action douce, mais perfide, qui conduit à la corruption ; ce sont les voies de fait, les violences, ou les menaces ; c'est encore l'intimidation en faisant craindre un dommage, et la loi précise que ce dommage peut consister dans la perte d'un emploi ou porter sur la personne, la famille ou la fortune du citoyen. Ces moyens exigent plus d'audace, ils sont aussi plus francs que ceux dont il a été précédemment question : ils sont donc moins redoutables. C'est, sans doute, pourquoi la loi a montré une sévérité moins grande à leur égard : l'emprisonnement pourra n'être que d'un mois et ne dépassera pas un an ; l'amende sera de cent francs pour ne pas s'élever à plus de mille francs.

On a remarqué que l'émunération de l'article 39 est très compréhensive. Il semble bien que tous les moyens de contrainte peuveut y être ramenés. En cela notre article est très complet et n'avait rien à recevoir de dispositions nouvelles.

La différence de rédaction lorsqu'il s'agit, d'une part, d'influencer un vote et, d'autre part, d'obtenir qu'un électeur s'abstienne d'exprimer son suffrage, nous conduit à renouveler ici la remarque qui a été faite à propos de la corruption. Pour l'abstention, contrairement à la dénaturation du vote, la loi n'a pas eu en vue le cas où l'on agit sur un tiers ; elle dit : Ceux qui, par voies de fait, violences on menaces contre un électeur, soit en lui faisant craindre de perdra son emploi, ou d'exposer à un dommage sa personne, sa famille, ou sa fortune, l'auront determiné à s'abstenir de voter ou auront influencé un vote... &bull ; Donr. si pur menaces, on avait contraint un liera à dissuader un citoyen de prendre part au scraliu, celui qui aurait été ainsi la cause première de l'abstention M serait pas punissable. On pourrait même élever des doutes sur l'existence du délit dans le ras où ces menaces seraient proférées contre une personne capable de dénaturer le vote d'une autre personne, car le mot « procurer » inscrit dans l'article 38 n'est pas reproduit dans l'article 39 et, de plus, il est question de « voies de fuit, violences ou menaces, contre un électeur ». Donc, il pourrait paraître logique de dire que si l'on ne s'adresse pus à cet électeur, on n'est pus dans les termes de la loi. Mais cet argument de texte est combattu par un autre de même nature, tiré des mots « influencer un vote » inscrit un peu plus loin. Si le législateur avait songé seulement au vote de celui auquel on s'adresse, il aurait dit son vote et non pas un vote. Or l'adjectif possessif c son » se trouvait précisément inscrit dans la loi du 15 mars 1849 et a été remplacé par l'article indéfini « un » dans le décret de 1852.

Il est bien certain que, dans les cas de l'article 39, le résultat devra être atteint et qu'il n'y aura lieu à repression que si le vote a été influencé dans le sens recherché, ou si l'abstention a eu lieu. Cet article est, en effet, ainsi conçu : « Ceux qui, soit par voies de fait, violences ou menaces contre un électeur, soit en lui faisant craindre de perdre son emploi, ou d'exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, l'auront déterminé à s'abstenir de voter ou auront influencé un vote, seront punis... » C'est donc dans l'action suivie de résultat que consiste le délit de l'article 39 ; la tentative n'y est pas punie. C'était une lacune comparable à celle dont nous avons reconnu l'existence dans l'article 38. Elle a, comme cette dernière, été comblée, par la loi du 2 août 1875. Toutefois quelques difficultés se sont élevées avant que l'article 19 dont nous avons déjà parlé, ait été modifié par la loi du 9 décembre 1884, parce que dans la rédaction de 1875 il était dit : « Toute tentative de corruption par l'emploi des moyens énoncés dans les articles 177 et suivants du Code pénal... », et l'on prétendait que les violences, n'étant pas à proprement parler, des moyens de corruption, ne se trouvaient pas visées. La Jurisprudence . avait cependant décidé avec raison que les menaces et les violences étant indiquées dans l'article 179 du Code pénal, il fallait assimiler à la corruption proprement dite le cas où l'influence résultait de moyens violents (Casa. 7 décembre 1878. D. 1879, 1,143.). Actuellement le doute ne peut plus exister, car la nouvelle rédaction de l'article 19 est la suivante : « Toute tentative de corruption, ou de contrainte, par l'emploi des moyens énoncés dans les articles 177 et suivants du Code pénal... » Or l'article 179 dit expressément : « Quiconque aura contraint ou tenté de contraindre par voies de fait ou menaces... » et il faut entendre qu'il s'agit de voies de fait ou de menaces de toute nature. Ainsi, pour toutes les élections pour lesquelles l'article 19 est applicable, la tentative sera punie.

De même que les promesses qui peuvent être faites doivent avoir un caractère sérieux pour que le délit! existe, de même les menaces devront être de nature à se réaliser. L'intention devra évidemment aussi n'être pas douteuse, et les menaces devront être individuelles. Il y a là un ensemble de circonstances dont le juge aura à tenir compte dans son appréciation. Ainsi, il a été jugé qu'il n'y avait pas menace au sens de nos articles, dans le fait d'avoir dit : « Voter pour X c'est voter pour la guerre (Toulouse, 17 janvier 1878. S. 1878. 2. 14. D. 1878. 2.195.) ». Est, au contraire, tout à fait dans l'esprit de la loi, le cas d'un patron menaçant ses ouvriers de les congédier, s'ils ne votent pas pour tel candidat, surtout s'il a pris des mesures pour surveiller leurs votes (Casa., 7 décembre 1878. S. 1879.1. 234. D. 1879. 1. 143.). De même, un garde-champêtre qui montre un papier à un électeur, en lui disant que c'est une lettre d'une autorité, et qu'un membre de sa famille perdra le bénéfice d'une subvention qui lui a été accordée, s'il ne vote pas dans un sens donné, commet, par ce fait même, le délit de tentative de contrainte (Nîmes, 30 mars 1878. S. 1878. 2. 173. D. 1878. 2. 64.). Il y a encore délit dans la menace faite par un garde particulier, de dresser procès-verbal à ceux qui ne voteraient pas dans le sens qu'il désire, et seraient ultérieurement surpris ramassant du bois sur la propriété dont il a la surveillance, alors surtout qu'aucune défense n'avait été faite avant l'élection, et que, depuis, toute liberté a été laissée à la généralité des habitants (Cass., 24 mai 1890. S.1891. 1. 44. P. 1891. 1. 71.).

On trouve à la fin de l'article 39 la même disposition que nous avons rencontrée dans le dernier paragraphe de l'article 38 : « La peine sera du double si le coupable est fonctionnaire public. »

— Nous rattachons à la catégorie des infractions qui font l'objet de ce paragraphe, le délit puni par l'article 22, § 1 de la loi du 30 novembre 1875, c'est-à-dire la distribution par tout agent de l'autorité de bulletins de vote, professions de foi et circulaires des candidats. Cette distribution ressemble beaucoup, en effet, à un avis d'avoir à voter par le candidat dont le nom est porté sur les feuilles remises, et il en résulte une sorte de contrainte morale qui est de nature à influencer les suffrages.

Les personnes auxquelles la distribution est défendue, sont largement désignées : « tout agent de l'autorité publique », dit la loi, et elle ajoute, « et municipale ». On a ainsi voulu établir très nettement, que tous ceux qui sont dépositaires d'une parcelle quelconque de l'autorité doivent rester étrangers à cet acte de propagande. C'est ainsi que la défense s'étend à un secrétaire de mairie, en tant qu'il est dépositaire d'une partie de l'autorité municipale (Cass., 25 janvier 1889. S. 1889. 1. 135. P. 1889. 1.306.). A plus forte raison, la prohibition atteint le maire. Il n'y a sur ce point aucun doute. Les conseillers municipaux, au contraire, dont le rôle est de délibérer et non d'agir, ne doivent pas être compris dans la dénomination d'agent. Cela a été expliqué dans un rapport fait à l'Assemblée Nationale le 23 avril 1873, dans lequel il est dit : « Bien qu'il puisse éventuellement, en l'absence du maire ou de l'adjoint, être appelé à remplir certaines fonctions qui constituent une véritable délégation de la puissance publique, le conseiller municipal ne peut être regardé, d'une manière générale, comme un agent du pouvoir central, et il conserve son action électorale, pourvu qu'il se renferme dans les limites tracées par la loi. »

Une circulaire ministérielle, en date du 3 février 1876, explique que les facteurs agissant sous les ordres de l'administration dont ils relèvent, ne sauraient évidemment être recherchés, mais qu'il en serait différemment s'ils distribuaient d'autres bulletins ou professions de foi que ceux confiés à la poste.

Il faut d'ailleurs se garder de confondre les fonctionnaires en général avec les agents de l'autorité. Un grand nombre de fonctionnaires ne sont dépositaires d'aucune parcelle de l'autorité publique et à ceux lá, la répression de notre article ne s'applique pas.

Lorsque la distribution est prohibée, elle ne l'est pas seulement sur la voie ou dans les lieux publics, mais encore dans un lieu de réunion privée, tout au moins lorsque les circonstances empêchent de considérer la remise des bulletins ou circulaires comme la conséquence naturelle des relations de famille ou d'amitié. Pour ce motif, un maire a été condamné pour avoir, chez lui, distribué des bulletins de vote (Nîmes, 12 juillet 1878. S. 2. 323.).

La distribution ne vise, bien entendu, que celui qui est personnellement dépositaire de l'autorité. Ne saurait donc être inquiété le mari d'une femme exerçant un emploi rétribué par la commune.

Enfin toute défense disparaît si l'on agit comme candidat. Il est bien évident, en effet, que si un agent de l'autorité ne se trouve dans aucun des cas lui interdisant de poser sa candidature, la loi qui lui donne le droit de se présenter aux suffrages de ses concitoyens, lui laisse, comme à tous les autres candidats, la facilité de préparer son élection. Un maire peut donc incontestablement distribuer lui-même ses propres circulaires ou professions de foi.

Comme dernière remarque, signalons que si la distribution est défendue, l'afficbage ne l'est pas. La circulaire ministérielle du 3 février 1876, dont il a déjà été fait mention, en donne cette explication que, généralement, dans les communes, il n'y a pas d'autres afficheurs que les agents subalternes de l'autorité, tels que les appariteurs. On pourrait ajouter, en ce qui concerne les agents d'un ordre plus élevé, que l'affichage, de leur part, n'est pas présumable.

II. — Délits s'exerçant par des moyens dirigés contre les électeurs pris collectivement.

Les moyens par lesquels on agit sur une collectivité sont nécessairement plus rudimentaircs que ceux dont on use vis-à-vis d'une personne isolée. La corruption avec tous ses raffinements ne sera plus en terrain propice ; mais on comprend que des manoeuvres soient tentées pour égarer l'opinion et pour l'empêcher de se former ; une attitude hostile et menaçante est aussi un moyen par lequel on agira sur une foule. La loi a donc puni les manoeuvres frauduleuses destinées à tromper le jugement des électeurs ainsi que les démonstrations menaçantes faites dans un but d'intimidation. Ces dispositions sont contenues dans les articles 40 et 41 du décret organique du 2 février 1852 et dans l'article 17 de la loi du 29 juillet 1881.

Manoeuvres frauduleuses. — Ceux qui, à l'aide de fausses nouvelles, bruits calomnieux, ou autres ma noeuvres frauduleuses, auront surpris ou détourné des suffrages, ou auront déterminé un ou plusieurs électeurs à s'abstenir de voter seront, dit l'article 40, punis d'un emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de cent à deux mille francs.

Ainsi la loi réprime toutes les manoeuvres frauduleuses et, parmi celles-ci, elle indique celles qui lui ont paru devoir être employées le plus fréquemment : les fausses nouvelles et les bruits calomnieux. Ces moyens peuvent, sans doute, constituer par eux-mêmes des délits punis en toute circonstance par nos lois pénales, mais ils deviennent des délits électoraux lorsqu'ils ont pour effet de surprendre ou de détourner des suffrages ou de provoquer des abstentions ; c'est toujours la même préoccupation que celle que nous avons déjà rencontrée dans les articles 38 et 39 ; le législateur a en vue ce qui peut influencer le vote ou y faire renoncer. Les mots « surpris » et « détourné » mis à côté l'un de l'autre semblent se rapporter à deux situations qui peuvent se présenter : celle où les suffrages sont frauduleusement gagnés à un citoyen, et celle où ils sont détournés d'un candidat sans souci de leur destination.

Pour que le délit de l'article 40 existe, il faut que le vote ait été influencé ou que l'abstention se soit produite. En effet, on ne retrouve pas, dans le décret de 1852, les mots : « ou tenté » qui étaient inscrits dans l'article 107 de la loi du 15 mars 1849, et contrairement à ce que nous avons constaté pour les articles 38 et 39, aucune loi ultérieure n'a rendu la tentative punissable. Il faut aussi que le résultat ait été obtenu par une action sur la volonté de l'électeur. C'est pourquoi il a été jugé que ne pouvait être considéré comme étant une manoeuvre frauduleuse punie par l'article 40, le fait, de la part d'un maire, d'avoir de mauvaise foi opéré des retranchements sur la liste électorale, à l'époque de sa révision (Cass. 9 novembre 1878. S. 1879.1.234 D. 1879. 1.143.) ; ni celui, de la part des membres du bureau, de se servir sciemment d'une fausse liste électorale diminuée d'un certain nombre d'inscriptions et de refuser les suffrages des électeurs dont les noms ont été omis (Cass. 18 février 1882. S. 1882. 1.137. D. 1882.1.235.). Il y a bien dans ces actes des manoeuvres frauduleuses, mais on ne peut pas dire que l'on a agi sur la volonté d'un électeur ; on n'a donc pas déterminé celui-ci à s'abstenir de voter et l'article 40 n'a pas son application.

Le délit dont nous venons de nous occuper a pour effet d'égarer l'opinion ; il nous reste à parler d'une infraction qui peut ou l'égarer ou l'empêcher de se former.

Un des moyens dont les candidats se servent pour faire connaître leurs idées, est l'affichage de leurs déclarations et de leurs professions de foi. Si ces documents sont détruits ou sont altérés, il en résulte que le programme qui s'y trouvait contenu ne parvient pas à la connaissance des électeurs, ou n'y arrive qu'avec une forme qui le dénature. La loi du 29 juillet 1881, art. 17, a donc puni ceux qui enlèvent, déchirent, recouvrent ou altèrent par un procédé quelconque, de manière à les travestir ou à les rendre illisibles, les affiches électorales émanant des particuliers. La peine prévue est une amende de simple police de cinq à quinze francs. Le législateur a pris soin de déclarer que n'en étaient pas passibles ceux qui auraient lacéré ou altéré les affiches apposées sur leurs propriétés : c'est la conséquence de l'interdiction d'afficher sur la propriété privée sans l'autorisation du propriétaire.

L'appréciation du fait délictueux ne prête pas à de grandes difficultés, car la loi précise bien que les affiches devront avoir été travesties ou rendues illisibles. C'est dans ces circonstances assez faciles à déterminer que l'on reconnaîtra si l'infraction existe ou non. Ainsi, ne rentrerait pas dans les prévisions de notre article le fait de recouvrir partiellement une affiche avec des carrés de papier portant une inscription injurieuse, si ces papiers n'ont pas été collés de façon à rendre l'affiche illisible, mais seulement difficile à lire. (Casa. 24 juillet 1896. S. et P. 1897. 1.156. D. 1896. 1.568.)

Le dernier paragraphe do l'article 17 décide que la peine sera d'une amende de seize francs à cent francs et d'un emprisonnement de six jours à un mois, ou de l'une de ces deux peines seulement, si le fait a été commis par un fonctionnaire ou agent de l'autorité publique, à moins que les affiches n'aient été apposées dans les emplacements réserves à l'affichage des actes officiels. Cette disposition restrictive est la conséquence de l'interdiction inscrite dans l'article 15 de la même loi, de placarder des affiches particulières sur ces emplacements.

Violences. — L'article 41 du décret de 1852 réprime les atteintes à l'exercice des droits électoraux et à la liberté du vote par attroupements, clameurs ou démonstrations menaçantes. Entre les atteintes à l'exercice des droits électoraux et les atteintes à la liberté du vote il n'y a qu'une différence de plus et de moins, car tous les cas d'atteinte à la liberté du vote ne sont autre chose que des atteintes à l'exercice des droits électoraux, ceux-ci n'étant plus intacte si le vote est entravé. Le rapprochement entre les atteintes à l'exercice des droits électoraux et le trouble des opérations électorales prévu par le même article, conduit à la même observation : en effet, oe trouble porte plus ou moins gravement atteinte à l'exercice régulier des droits électoraux. Il eut donc pu suffire, à la rigueur, de parler seulement de ces derniers, mais l'énumération de l'article 41 témoigne tout au moins du souci du législateur de ne laisser en dehors des prévisions de la loi aucune des atteintes pouvant s'exercer contre les élections par attroupemnts, clameurs ou démonstrations menaçantes. Ainsi l'intimidation en vue d'influencer les votes ou de les empêcher, rentre incontestablement dans les prévisions de l'article 41.

Pour que l'infraction soit constituée, le résultat doit être atteint. La tentative qui était punie par l'article 108 de la loi du 15 mars 1849 ne l'a pas été par l'article 41 qui lui correspond dans le décret de 1852.

V. — Infractions relatives à l'accomplissement des opérations électorales.

Les élections donnent lieu à une série d'opérations qui concourent chacune dans une certaine mesure au résultat final. L'exactitude de ce résultat est ainsi subordonné à la régularité des opérations qui le préparent, et pour la lui assurer le calme et l'ordre doivent être observés. C'est dans ce but que les articles 37, 41, 42,43, 44, 45, 46 et 47 du décret de 1852 ont été édictés.

La première mesure que nous rencontrons est la défense d'entrer en armes dans le lieu du vote. C'est une mesure préventive. L'article 37 où elle se trouve inscrite, l'édicte dans la forme d'une interdiction pure et simple ; aussi est- elle absolue et s'applique-t-elle non seulement aux particuliers mais encore aux agents de la force publique, pour lesquels, cependant, le port de certaines armes est le complément réglementaire de la tenue de service. L'interdiction adressée aux uns a pour but d'arrêter, dans sa préparation, une infraction en vue de laquelle les armes ont évidemment été apportées, et l'obligation imposée aux autres de se présenter désarmés est une précaution prise pour ne pas impressionner certains électeurs qu'un simple déploiement de forces pourrait suffire à intimider.

L'infraction à cette défense est un délit contraventionnel existant par le seul fait de l'entrée en armes dans l'assemblée. Ce caractère a été précisé par le décret de 1852 qui, reproduisant les dispositions de l'article 104 de la loi du 15 mars 1849, a introduit le mot « contrevenant » dans son article 37.

La loi punit de seize francs à cent francs d'amende l'entrée avec armes apparentes et d'un emprisonnement de quinze jours à trois mois ainsi que d'une amende de cinquante à trois cents francs, l'entrée avec ormes cachées. Cette différence s'explique suffisamment par le danger plus grand qui est à redouter de la part de ceux qui dissimulent leurs moyens d'attaque.

Bien entendu, la défense disparaît pour les agents de la force publique lorsqu'ils sont requis par le président du bureau pour le rétablissement du bon ordre. Mais le président lui-même, s'il usait de son droit de réquisition d'une façon manifestement inutile et avec l'intention frauduleuse d'intimider les électeurs, commettrait assurément, le délit de l'article 41 pour avoir, par démonstration menaçante, porté atteinte à l'exercice des droits électoraux et à la liberté du vote, ou même, selon les cas, pour avoir seulement troublé les opérations électorales. Nous avons déjà signalé ce délit qui peut s'exercer, non seulement par démonstration menaçante, mais encore par attroupement ou clameurs. Il suffit d'ajouter, ici, que le trouble doit être appréciable ; mais comme toute perturbation est, par sa nature même, sujette à une appréciation essentiellement relative, il est impossible de préciser ce qui doit être considéré comme un trouble : dans chaque cas particulier, il faudra, pour se décider, tenir compte de l'ensemble des circonstances.

L'article 42 prévoit l'irruption dans un collège électoral en vue d'empêcher un choix. Il n'y a jamais à se demander si le but a été atteint ; l'infraction consiste dans l'irruption elle-même, lorsqu'elle a en vue d'empêcher un choix, et non dans l'empêchement qui peut en résulter. C'est en quelque sorte la tentative de l'empêchement qui est ainsi prévue. Mais il y a plus : la tentative de l'irruption est également punissable si elle est accompagnée de violences. L'article 42 vise, en effet, « toute irruption dans un collège électoral, consommée ou tentée avec violence ».

Cette infraction très grave est punie, dans tous les cas, d'un emprisonnement d'un an à cinq ans et d'une amende de mille francs à cinq mille francs.

Elle devient un crime, puni de la réclusion par l'article 43, si les coupables sont porteurs d'armes ou si le scrutin a été violé.

L'article 44 élève la répression à la peine des travaux forcés à temps, si le crime a été commis à la suite d'un plan concerté pour être exécuté, soit dans toute la République, soit dans un ou plusieurs départements, soit dans un ou plusieurs arrondissements. Le mot « crime » dont se sert l'article 44 indique que la circonstance aggravante qu'il prévoit se rapporte au cas de l'article 43 et non à celui de l'article 42, ce dernier étant un délit. Ainsi, l'irruption faite sans armes, ou non accompagnée de la violation du scrutin, sera punie des peines de l'article 42 alors même qu'il y aurait eu plan concerté pour une exécution dans plusieurs arrondissements. Le danger est ici certainement moindre que dans le cas de l'article 43, mais la simple irruption dans un grand nombre de collèges pour empêcher un choix aurait pu logiquement être plus sévèrement punie que le délit localisé.

L'article 45 dispose que les membres d'un collège électoral qui, pendant la réunion, se seront rendus coupables d'outrages ou de violences, soit envers le bureau, soit envers l'un de ses membres, ou qui, par voies de fait, ou menaces, auront retardé ou empêché les opérations électorales, seront punis d'un emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de cent à deux mille francs. Si des injures sont adressées aux membres du bureau pendant une réunion, c'est assurément en vue de les intimider et de les détourner de leur devoir ; cela peut être aussi pour distraire l'attention et profiter d'un désordre presque inévitable pour commettre un acte de nature à modifier le résultat de l'élection. La loi devait donc se montrer sévère. Elle l'a cependant été moins que dans le cas d'injures adressées à un magistrat, délit prévu par l'article 222 du Code pénal, ou, tout au moins, sa sévérité s'est exercée d'une manière différente : l'article 222 prévoit, suivant le rang du magistrat, un emprisonnement pouvant aller de quinze jours à deux ans ou de deux ans à cinq ans, tandis que le maximum de l'article 45 est d'un an seulement, avec, par contre,un minimum d'un mois ; de plus, à l'emprisonnement, s'ajoute une amende de cent francs à mille francs. Faisons remarquer que les outrages faits à un membre du bureau qui a la qualité de magistrat seront réprimés par l'article 45 du décret et non par l'article 222 du Code pénal, parce que la personnalité outragée n'est pas celle du magistrat mais celle du membre du bureau. Ainsi, lorsqu'un maire, magistrat administratif, est outragé pendant la réunion dont il a la présidence, le coupable est passible d'un emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de cent à deux mille francs.

L'article 45 punit également d'un mois à un an de prison et de 100 à 2.000 francs d'amende, l'empêchement apporté aux opérations électorales par voies de fait ou menaces ; le simple retard expose le coupable à la même sanction. Il n'y a pas de difficultés pour savoir lorsqu'une opération a été empêchée ; mais, s'il s'agit de décider quand elle a été retardée, il y a place pour une certaine appréciation. Toute suspension rendue nécessaire contitue évidemment un retard ; il semble même qu'il soit suffisant qu'un seul électeur ait été empêché momentanément d'exprimer son suffrage pour que l'on se trouve dans le cas de l'article 45. Il a été jugé que cet article est applicable alors que les opérations électorales se poursuivent, que la séance du bureau n'est pas levée, qu'elle est simplement suspendue et que cette suspension a été nécessitée par le fait même des prévenus (Cass, 28 juin 1866. D., 1868, 5, 153.).

Le mot « opérations » doit être pris dans le sens le plus large, et il faut dire qu'aussi longtemps que la proclamation de l'élu n'a pas été faite, l'article 45 peut recevoir son application, car, jusque-là, les opérations ne sont pas terminées. Ainsi, la peine de cet article peut être encourue, non seulement pour les troubles survenus pendant les séances consacrées à la réception des suffrages, mais encore pour ceux qui viendraient à se produire lors du recensement général des votes (Cass., 14 janvier 1898. Gag. trib., 17 janvier 1898.).

Les outrages, violences, menaces ou voies de fait, peuvent être adressés au bureau ou à ses membres par un citoyen en faisant partie, tout aussi bien que par un simple électeur. Dans tous les cas, la peine sera la même : en effet, la loi n'établit aucune distinction entre les membres du collège électoral qui commettent le délit, et il n'y a d'ailleurs pas de doute que les membres du bureau n'entrent dans la composition du collège électoral. 11 a été jugé que, s'étaient rendus passibles des peines édictées par l'article 45, les membres d'un bureau de recensement qui avaient troublé la séance en émettant la prétention de prendre connaissance des bulletins annexés aux procès- verbaux des communes, puis d'attribuer ces bulletins à un candidat, et qui s'étaient opposés violemment à ce que le président se fît remettre la feuille sur laquelle le secrétaire rédigeait le procès-verbal dans le sens de leur désir. Dans l'espèce, les délinquants avaient profité du tumulte qui s'était élevé, pour s'emparer de ladite feuille et l'avaient emportée dans un lieu privé, où ils en avaient continué la rédaction sans la participation du maire, qui avait été obligé, pour en obtenir la remise, de recourir à la force publique (Casa., 28 juin 1866, précité.).

Parmi les opérations électorales, il en est une particulièrement importante parce qu'elle est la raison d'être de toutes les autres : c'est le dépouillement du scrutin. En conséquence, le scrutin devait être l'objet d'une protection particulière et l'on ne peut trouver trop sévère la loi qui a réservé, dans la plupart des cas, des peines afflictives et infamantes à la violation du scrutin, L'article 43 punit de la réclusion toute irruption dans un collège électoral, consommée ou tentée avec violence, en vue d'empêcher un choix, lorsqu'en outre le scrutin a été violé, et l'article 44 élève la peine à celle des travaux forcés à temps dans le cas spécial qui a été signalé plus haut. Si des outrages ou des violences envers le bureau ou envers l'un de ses membres, et si des voies de fait ou des menaces ayant retardé ou empêché les opérations électorales sont accompagnées de la violation du scrutin, cette circonstance aggravante élève le minimum de l'emprisonnement d'un mois à un an et le maximum d'un an à cinq ans ; de même, l'amende sera de 1.000 francs au moins et pourra être portée à 5,000 francs au lieu de varier entre 100 et 2.000 francs.

La même peine est applicable, en vertu de l'article 46, à ceux qui enlèveraient l'urne contenant les suffrages émis et non encore dépouillés. La condition pour que ce délit soit constitué est que le scrutin n'ait pas encore été dépouillé. C'est, en effet, dans ce cas seulement que l'élection reçoit une atteinte. L'enlèvement des bulletins après le dépouillement serait sans importance puisque les billets sont destinés à être brûlés (art. 31 du décret réglementaire du 2 février 1852). L'enlèvement de l'urne contenant les suffrages non encore dépouillés devient un crime puni de la réclusion s'il est effectué en réunion et avec violence. La circonstance aggravante consiste, ici, dans le fait de la réunion joint à l'emploi de la violence : la première condition fait penser à l'existence d'un plan concerté, donc à la préméditation ; la seconde, à la volonté bien arrêtée de s'emparer des bulletins à tout prix.

Enfin, quelles que soient les circonstances dans lesquelles le scrutin est violé, la peine est celle de la réclusion si les coupables sont les membres du bureau ou les agents de l'autorité préposés à la garde des bul letins non encore dépouillés. Cette mesure, prévue par l'article 47, s'explique suffisamment par l'abus de confiance qui s'ajoute au fait de la violation.

§ VI. — Loi du 30 mars 1902. — Vote obligatoire. Candidatures multiples.

Parmi tous les textes qui ont été cités plus haut, il en reste trois qui, en raison du caractère de leurs dispositions, n'ont pas trouvé place dans les divisions précédentes. Nous les réunirons dans celle-ci Le premier punit toute une catégorie d'atteintes au résultat du scrutin dont la législation antérieure ne s'occupait pas ; les deux autres sont relatifs au vote obligatoire et aux candidatures multiples.

Loi du 30 mars 1902. — Nous avons vu que tout un ensemble de fraudes commises dans les bureaux de vote, dans les bureaux de recensement, dans les commissions administratives, n'est pas puni par les textes dont nous venons d'étudier les dispositions. Notamment cette législation ne permet pas d'atteindre le maire qui a rendu impossibles des votes légaux par des retranchements frauduleux sur la liste électorale ; ni le président du bureau qui, de mauvaise foi, refuse le bulletin d'un électeur qui justifie par un jugement de sa capacité électorale ; ni encore les membres d'un bureau de recensement qui éliminent, comme irréguliers, les suffrages émis dans un collège électoral. Cette absence de pénalité constituait assurément une des lacunes les plus regrettables de la législation électorale et le besoin s'imposait d'une mesure punissant des actes d'autant plus répréhensibles qu'ils émanaient de citoyens investis d'une certaine autorité.

La loi du 30 mars 1902 a pourvu à cette nécessité.

Par la généralité de ses termes et par le détail de ses énumérations, cette loi témoigne d'une préoccupation toute particulière de ne laisser impuni aucun des actes de la nature de ceux indiqués. On a voulu, selon le mot du rapporteur de la loi à la Chambre des députés, faire une oeuvre d'assainissement électoral. Les faits prévus sont l'inobservation volontaire de la loi ou des arrêtés préfectoraux et les autres actes frauduleux quels qu'ils soient, par lesquels on aurait changé, on tenté de changer, le résultat d'un scrutin et qui seraient commis dans une commission administrative ou municipale, dans un bureau de recensement, dans un bureau de vote et dans les bureaux des mairies, des préfectures ou sous-préfectures ; et la loi ajoute : avant, pendant et après un scrutin. Il n'était pas possible de donner une énumération plus complète des circonstances dans lesquelles la fraude peut s'exercer.

Désormais le fait, de la part d'un maire, d'opérer, de mauvaise foi, des retranchements sur la liste électorale, pour empêcher des citoyens de voter, celui, de la part du président du bureau, de refuser le bulletin d'un électeur qui se présente porteur d'une sentence ordonnant son inscription sur la liste électorale, et tous les autres faits de la même nature, seront punis par la loi du 30 mars 1902.

Tous les délits nouveaux sont des délits proprement dits, pour la constitution desquels l'intention est un élément essentiel. En ce qui concerne les actes frauduleux innommés, il ne pouvait y avoir de doute, et le législateur a pris soin, pour l'inobservation de la loi ou des arrêtés préfectoraux, de préciser qu'il ne punit que « l'inobservation volontaire. »

L'expression « inobservation volontaire », d'un sens juridique assez vague, a été critiquée au Sénat, lors de la discussion de la loi. D'abord, on lui a reproché de ne pas répondre à une conception juridique très nette ; on lui aurait préféré l'expression « manoeuvres frauduleuses », qui figurait dans la proposition votée par la Chambre des députés, et qui a, en droit, un sens bien déterminé. Mais précisément à cause de cette signification spéciale et limitée, la loi n'aurait pas eu une assez large application. Ensuite, on a trouvé l'expression « inobservation volontaire » dangereuse et inutile : dangereuse, parce qu'elle ferait dépendre le caractère délictueux de l'acte poursuivi de l'appréciation du juge, non de la nature de l'acte commis ; inutile, parce qu'en matière de délit, l'élément intentionnel est toujours nécessaire. Mais, dans tout délit, une part d'appréciation n'est-elle pas laissée au juge pour déterminer l'existence de l'intention coupable ; et la suppression du mot « volontaire » n'aurait-elle pas laissé un doute sur la volonté du législateur, de ne pas punir les faits qui auraient constitué seulement des délits contraventionnels ? Or, telle n a pas été la pensée du rédacteur de la loi : le rapporteur s'exprimait ainsi en parlant de l'ensemble des infractions prévues : « Pour les délits prévus par la proposition, il faut la volonté coupable, car, à défaut de cette volonté, à défaut de l'intention délictueuse, les tribunaux ne pourraient prononcer les peines que la proposition édicté. »

Pour une autre raison, le mot « volontaire » aurait pu, cependant, n'étre pas inscrit dans notre article. En effet, après avoir parlé de l'action sur le scrutin par « inobservation volontaire de la loi ou des arrêtés préfectoraux », l'article ajoute aussitôt, « ou par tous autres actes frauduleux. » Le mot frauduleux se rapporte ainsi à la phrase entière, et l'intention coupable est sous-ente lue pour l'inobservation des lois et arrêtés.

La peine édictée est un emprisonnement de six jours à deux ans et d'une amende de cinquante francs à cinq cents francs, ou de l'une de ces deux peines seulement. L'interdiction des droits civiques pourra aussi être prononcée par les tribunaux, mais la loi leur laisse, sur ce point, tout pouvoir d'appréciation. Si l'interdiction des droits civiques est prononcée, elle le sera au moins pour deux ans et au plus pour cinq ans.

Si le coupable est fonctionnaire public, la peine est portée au double. A cette première rigueur, on avait proposé d'en ajouter une seconde qui aurait consisté á exclure les fonctionnaires du bénéfice des circonstances atténuantes ; mais cette mesure a été repoussée. L'article 463 du Code pénal déclaré applicable à la loi du 30 mars 1902, le sera donc pour tous les délinquants.

Vote obligatoire. — En principe, notre législation ne rend pas le vote obligatoire ; les électeurs peuvent, à leur gré, voter ou ne pas voter.

Cette faculté d'exercer son droit ou d'y renoncer se comprendrait si l'on admettait la théorie de J.J. Rousseau, dans laquelle la souveraineté nationale est considérée comme appartenant par fraction à chaque individu, et dans laquelle le droit de suffrage est regardé comme étant un droit naturel inaliénable et imprescriptible. En effet, les citoyens auraient alors un droit individuel et absolu dont ils pourraient user selon leur caprice. Mais la théorie de Rousseau qui conduirait aussi à faire décider que l'indignité ne peut être une cause de déchéance du droit de voter, et que la commercialité des suffrages ne peut être réprimée, n'a jamais été admise avec toutes ses conséquences dans la pratique. Elle est aujourd'hui tout à fait abandonnée, même en doctrine, et l'on reconnaît que la souveraineté réside dans la nation considérée dans son ensemble, et abstraction faite des individualités qui la com-posent. Le droit de suffrage ne dérive plus alors d'un droit naturel, mais d'une délégation du corps social : il est, en quelque sorte, une fonction, et dans toute fonction les droits ont pour corrélatifs des devoirs. Il eut donc été naturel de sanctionner l'inobservation de ce devoir.

De nombreuses propositions ont été faites dans ce sens, mais aucune n'a été convertie en loi pour la généralité des élections. Nous trouvons seulement une disposition qui est relative à l'élection des sénateurs. Elle est inscrite dans la loi du 2 août 1875 et punit de cinquante francs d'amende :
Tout délégué des conseils municipaux qui, sans cause légitime, n'aura pas pris part à tous les scrutins, ou, étant empêché, n'aura point averti le suppléant en temps utile ;
tout délégué suppléant qui averti par lettre, dépêche télégraphique ou avis à lui personnellement délivré en temps utile, n'aura pas pris part aux opérations électorales.

Le tribunal compétent est le Tribunal civil du chef-lieu du département où il est procédé à l'élection, et les poursuites sont exercées par le ministère public.

Mais si, en dehors du cas que nous venons de signaler, le vote n'est pas obligatoire sous la sanction d'une peine, ne peut-on pas dire que, du moins, l'obligation morale dans laquelle les électeurs se trouvent d'exercer leurs droits civiques est consacrée par la loi ? Voici comment il faut poser la question. L'idée dominante de la législation électorale est le souci d'assurer aux élections un résultat normal ; tous les actes délictueux dont nous nous sommes occupés ont été punis en raison de l'obstacle qu'ils apportent à la réalisation de cette fin. Or, nous savons que le décret du 2 février 1852 et la loi du 2 août 1875 répriment certaines manoeuvres faites en vue de déterminer les électeurs à s'abstenir de voter. N'y a-t-il pas, dans ces dispositions, une preuve que le législateur considère le résultat de l'élection comme devant être formé par les suffrages de tous ceux qui ontreçu la mission d'exprimer la volonté nationale et qu'à ses yeux, déterminer un électeur à ne pas prendre part au scrutin, c'est le détourner de son devoir ? Cette considération renferme en germe le principe éloigné du vote obligatoire.

Candidatures multiples. — Avant 1889, quelle que fut la nature de l'élection, les candidats pouvaient se présenter dans un nombre illimité de circonscriptions, sauf à opter pour l'une d'entr'elles s'ils étaient élus dans plusieurs. Les dangers de cet état de choses apparurent pendant l'agitation boulangiste, les candidatures multiples pouvant se transformer en manoeuvres plébiscitaires et conduire à un coup d'État. Ce sont ces considérations qui ont donné naissance à la loi du 17 juillet 1889.

Cette loi est applicable seulement aux élections des membres de la Chambre des Députés ; cela a été bien expliqué lors de sa discussion, et c'est d'ailleurs dans ces sortes d'élections que le danger que l'on a voulu éviter est véritablement à craindre. Pour les autres élections, les difficultés qui résultent des conditions d'éligibilité sont un obstacle à l'abus des candidatures.

L'article ler dispose que nul ne peut être candidat dans plus d'une circonscription et l'article 2 oblige tout citoyen qui se présente, ou est présenté aux élections générales ou partielles, à faire connaître, par une déclaration signée ou visée par lui, dans quelle circonscription il entend être candidat. La déclaration doit être déposée à la Préfecture du département intéressé cinq jours au moins avant celui du scrutin ; il en est immédiatement donné reçu provisoire et, dans les vingt-quatre heures, récépissé définitif. L'article 4 interdit de signer ou d'apposer des affiches, d'envoyer ou de distribuer des bulletins, circulaires ou professions de foi dans l'intérêt d'un candidat qui ne s'est pas conformé à ces prescriptions. Telles sont les dispositions de la loi. Deux catégories de personnes peuvent y contrevenir : d'abord les candidat» eux-mêmes, par l'inobservation de l'une quelconque des dispositions sus-indiquées, ensuite les personnes autres que les candidats, en agissant en violation de l'article 4 ; et remarquons qu'il y aurait infraction aussi bien dans le cas où la déclaration aurait été faite illégalement, que dans celui où elle n'aurait pas été faite du tout. Si le coupable est un candidat, la peine est une amende fixe et invariable de dix mille francs ; toute autre personne est passible d'une amende pouvant varier entre mille et cinq mille francs.

Le délit de candidatures multiples est un délit contraventionnel constitué par le seul fait de la perpétration de l'acte prohibé ; l'intention, élément indispensable dans les délits purs, n'est pas nécessaire (Cass. 21 mars 1890. Panel, fr. pér, 1890 1. 186.). La nature de l'infraction, l'esprit de la loi et son but, ne laissent aucun doute à ce sujet. Notamment la pensée du législateur qui a voulu interdire la propagande en faveur d'une candidature non déclarée serait méconnue si, la bonne foi couvrant le délit, on ne pouvait atteindre l'afficheur et le distributeur auxquels l'existence d'une déclaration aurait été mensongère ment affirmée.

Puisque la propagande par les moyens énoncés par l'article 4 ne peut être commencée qu'après la déclaration régulière du candidat, demandons-nous quand cette déclaration peut être faite. Ce ne peut être, évidemment, qu'après l'ouverture de la période électorale, c'est-à-dire après la promulgation du décret convoquant

les électeurs. Avant cette date, elle ne serait pas recevable, car une déclaration ne se conçoit pas si elle n'est pas faite en vue d'une élection certaine. Il en résulte que tout acte de propagande publique fait en dehors de la période électorale tombe nécessairement, sous la sanction de la loi du 17 juillet 1889 (Cass. 5 avril 1890. Pand. fr. pér. 1890. 1. 186.), et cela devait être car le but de la loi ne serait pas atteint si ce qui est défendu le lendemain de l'ouverture de la période électorale pouvait être fait la veille.

Un autre point est de savoir si l'affichage et la distribution peuvent être commencés immédiatement après la déclaration et la délivrance du reçu provisoire, 'ou s'ils doivent être retardés jusqu'après la remise du récépissé définitif qui doit être faite dans les vingtquatre heures. Les raisons qui ont motivé la délivrance successive d'un reçu provisoire et d'un reçu définitif pourraient faire supposer que la simple déclaration ne suffit pas. Que se passe-t-il, en effet, entre la délivrance des deux récépissés ? Lorsqu'une déclaration est faite dans un département quelconque, l'Administration centrale en est immédiatement informée ; toutes les déclarations se trouvent ainsi centralisées au Ministère de l'Intérieur et il est facile de contrôler si la loi du 17 juillet 1889 a été observée ou s'il y a des candidatures multiples. Le préfet du département intéressé en est aussitôt avisé et si la déclaration a été régulièrement faite, le récépissé définitif est remis. Il semble donc bien que la période de vingt-quatre heures prévue par l'article 2 soit un moment d'attente pendant lequel aucun acte de propagande ne doit être fait ; autrement le but de la loi, qui est d'empêcher non seulement qu'on se présente dans plusieurs circonscriptions, mais encore qu'on y fasse de la propagande, ne serait atteint qu'en partie. C'est ainsi que l'avait jugé le tribunal correctionnel de Clamecy le 21 septembre 1889.

Mais admettre cette solution, n'est-ce pas donner à la loi une extension que ses termes ne comportent pas. L'article 4 interdit la signature et l'apposition d'affiches, l'envoi ou la distribution de bulletins, circulaires ou professions de foi, dans l'intérêt d'un candidat qui ne s'est pas conformé aux prescriptions de la loi ; or, en ce qui le concerne, le candidat s'est conformé aux prescriptions de la loi lorsqu'il a fait sa déclaration, si d'ailleurs il ne pose sa candidature que dans une seule circonscription. La délivrance des récépissés successifs est une mesure administrative à laquelle le candidat reste étranger. En conséquence, les actes prévus par l'article 4 peuvent être faits immédiatement après la déclaration et en l'absence de tout récépissé. Réciproquement la délivrance du certificat ne saurait couvrir l'illégalité d'une candidature posée dans plus d'une circonscription. C'est ce que décide la Cour de cassation (Cass. 21 mars 1890. Pand fr. pér. 1890.1.186.).

CHAPITRE IV

PORTÉE D'APPLICATION DES DIFFÉRENTS TEXTES

RELATIFS AUX INFRACTIONS ÉLECTORALES

De 1810 à 1849, les articles 109 à 113 du Code pénal formèrent toute la législation pénale électorale. Ces articles contenus dans un chapitre ayant pour titre : « Crimes et délits contre la Constitution » et rangés sous une section intitulée : « Des crimes et délits relatifs à l'exercice des droits civiques » avaient évidemment leur application dans tous les cas où les électeurs exerçaient leurs droits civiques en vertu de la Constitution. C'est ainsi qu'ils lurent en vigueur, non seulement pour les élections au Corps Législatif, mais encore pour celles qui concouraient à la formation des Assemblées départementales et municipales devenues électives en exécution de l'article 69 de la Constitution du 14 août 1830 et maintenues telles par l'article 79 de la Constitution du 4 novembre 1848.

Quelques auteurs ont soutenu qu'il fallait restreindre la portée d'application des articles du Code pénal aux élections dérivant des lois constitutionnelles. Si cette opinion était admise, il en résulterait que les élections non prévues par la Constitution ne seraient protégées que ai des dispositions spéciales étaient prises à leur égard ; il en résulterait encore que si une Constitution se substituant à une autre ne reproduisait pas les indications antérieures, les élections qui ne seraient plus mentionnées seraient privées de la protection dont elles auraient joui précédemment. Mais, loin d'accepter cette solution, on considère très généralement que le Code pénal forme le droit commun en matière de répression électorale, comme en toute autre matière, et que les articles 109 à 113 régissent, sans qu'une déclaration spéciale d'applicabilité soit nécessaire, toutes les élections organisées par une loi. En conséquence, à défaut de dispositions particulières relatives aux élections législatives, départementales ou municipales, les seules dont nous nous occupons dans cette étude, la sanction du Code pénal devra être appliquée, et si des faits punis par ce Code n'ont pas été visés par les lois spéciales, les cas non prévus tomberont encore sous le coup des articles 109 à 113.

C'est ainsi que le cas de l'article 112 relatif à l'altération du scrutin par des personnes étrangères au bureau n'ayant pas été visé par le décret du 2 février 1852, cet article 112 reste en vigueur pour toutes les élections. La Cour de Bastia a cependant jugé le contraire, le 6 juillet 1892, en fondant son arrêt sur ce que le décret de 1852 aurait eu pour effet d'abroger d'une manière générale toutes les dispositions du Code pénal relatives aux infractions électorales et notamment l'article 112 dont l'abrogation serait résultée plus particulièrement des termes de l'article 36 lequel ne retient, comme fraude punissable commise par des individus autres que les membres du bureau, que le fait d'avoir, étant chargé par un électeur d'écrire son suffrage, inscrit sur le bulletin un nom autre que celui qui était désigné. L'arrêt s'appuyait encore sur ce que l'application de l'article 112 conduirait à traiter les simples particuliers plus rigoureusement que les membres du bureau, tant au point de vue de la prescription, que de la privation des droits civiques, les membres du bureau visés par l'article 35 du décret bénéficiant de la prescription de trois mois prévue par l'article 50 et ne subissant, en vertu de l'article 15 § 7, la déchéance de leurs droits civiques que s'ils sont condamnés à plus de trois mois de prison. Mais cette décision de la Cour de Bastia a été cassée par arrêt, du 9 décembre 1892, de la Cour Suprême (S. et P. 1894.1.475.).

Voyons maintenant à quelles élections s'appliquent les lois successives que nous avons étudiées.

Il y eut quelques difficultés à se prononcer sur la portée d'application de la loi du 15 mars 1849. Etait-elle applicable à toutes les élections ou bien seulement à celles des Représentants et du Président de la République ? En faveur de l'interprétation la plus large on pouvait invoquer l'esprit général qui avait semblé présider à la confection de la loi. En effet, le rapporteur s'exprimait ainsi à l'Assemblée Nationale, dans la séance du 29 janvier 1849 : « La loi dont vous nous avez confié la préparation doit régler tout ce qui concerne la répression de tous les crimes et délits qui peuvent porter atteinte à la liberté et à la sincérité des élections. » Et lorsqu'on fut arrivé à l'examen du titre VI relatif aux dispositions pénales, voici comment un membre de l'Assemblée présenta l'objet de la discussion : « Nous voici sortis des orages et des écueils politiques ; nous touchons à un terrain solide sur lequel nous pouvons établir une législation durable et complète. » Bien plus, l'opinion suivante avait été émise sans provoquer d'observation : « La loi électorale que vous discutez en ce moment est un Code destiné à être appliqué à toutes les élections, non seulement aux élections des représentants, mais encore aux élections des conseillers généraux et des conseillers municipaux. » L'argument tiré des travaux préparatoires de la loi n'était pas le seul : le rapprochement de la Constitution de 1848 et de la loi de 1849 en fournissait un autre. La Constitution mettait toutes les élections sur le même rang : après avoir posé, dans son article 1er, le principe de la souveraineté nationale résidant dans l'universalité des citoyens, elle décidait, par ses articles 24, 46 et 79, que les élections à l'Assemblée Nationale, à la Présidence de la République, ainsi qu'aux Conseils généraux et municipaux, seraient toutes faites au suffrage universel ; or la loi du 15 mars 1849 supposait précisément le suffrage universel pour les élections qu'elle organisait et, en outre, son titre VI était conçu dans les termes les plus généraux. Dans ces conditions, il pouvait sembler conforme à la volonté du législateur d'étendre l'application des dispositions pénales qui nous occupent aux diverses élections pour lesquelles le suffrage universel était admis.

La Cour de cassation, dans un arrêt en date du 30 août 1849, avait adopté cette interprétation en déclarant, a l'occasion d'un délit commis dans une élection municipale avant la promulgation de la loi du 15 mars 1849, que la peine de l'article 111 du Code pénal devait être remplacée par la peine plus douce de l'article 102 de la nouvelle loi conformément au principe posé dans l'article 6 du décret du 23 juillet 1810. (D. 1849. 1.240.). Mais le 9 janvier 1851, elle consacrait l'opinion contraire : « attendu que la loi du 15 mars 1849 a eu pour unique objet l'organisation des élections du Président de la République et des Représentants du peuple ; que toutes ses dispositions se réfèrent exclusivement à ces élections ; qu'elle ne fait aucune mention des élections communales et départementales ; que si le titre VI portant pour rubrique : « Dispositions pénales » prévoit, d'une façon générale, des délits qui peuvent altérer la sincérité et la liberté des élections, il est évident que ces dispositions ne peuvent se rapporter qu'aux élections que les cinq premiers titres de la loi ont organisées ; que leur seul but a été d'assurer une sanction aux dispositions de ces premiers titres ; qu'il est impossible de scinder cette loi en deux parties, dont l'une s'appliquerait spécialement aux élections politiques et l'autre à toutes les élections ; que les lois pénales doivent être renfermées dans leurs termes et ne peuvent être étendues, par voie d'analogie, à des cas qu'elles n'ont pas expressément prévus ; que, d'ailleurs, l'article 124 de la loi a formellement maintenu les lois antérieures en tout ce qu'elles n'ont pas de contraire à ses dispositions. » (S. 1851. 1.80.)

Lorsque le décret du 2 février 1852, intitulé « décret organique sur l'éleotion des Députés au Corps législatif, » eut remplacé la loi du 15 mars 1849, les considérations qui avaient fait admettre que les élections départementales et municipales étaient régies, quant aux dispositions pénales, par le Code de 1810, auraient vraisemblablement empêché d'étendre à ces élections l'application du titre IV de la nouvelle législation ; mais la loi du 7 juillet 1852 vint régler la question d'une façon positive. L'article 2 de cette loi décide que « jusqu''a la loi définitive qui doit régler l'organisation départementale et municipale, les élections auront lieu conformément aux lois existantes. » : En présence de ce texte, la Cour de cassation n'a pas hésité à décider, dans un arrêt du 4 novembre 1853, que les dispositions pénales du décret étaient en vigueur pour les élections des Conseillers généraux : « attendu qu'aux termes de l'article 2 de la loi du 7 juillet 1852, les élections pour les membres des Conseils généraux sont soumises aux lois existantes ; qu'il suit de là que les dispositions du décret du 2 février doivent être appliquées aux élections des membres des Conseils généraux. » (Bull, nº 529.) Le 11 mai 1861, la même Cour rendait un arrêt dans le même sens, en ce qui concerne les élections municipales. ( S. 1861. 1.925.) Pour des raisons identiques, le décret du 2 février 1852 s'appliquait aux élections aux conseils d'arrondissement. Ainsi, en 1852, les délits électoraux sont sanctionnés par le titre IV du décret du 2 février, qu'ils soient commis dans des élections législatives ou dans des élections départementales ou municipales.

Depuis 1852, cet état de choses n'a pas été modifié : toutes les lois successives qui ont réglé l'organisation des diverses assemblées sont restées étrangères aux pénalités et n'ont abrogé les dispositions antérieures qu'en ce qu'elles avaient de contraire aux dispositions nouvelles. (Loi du 5 mai 1855, art. 51. Loi du 10 août 1871, art. 92.)
La loi du 5 avril 1884, dans son article 14 in fine, déclare même formellement applicables aux élections municipales « les dispositions concernant les pénalités et poursuites en matière législative. »

Lorsqu'en 1875 le principe électif fut étendu à la nomination des sénateurs, c'est encore au décret de 1852 que le législateur s'est référé quand il déclare dans l'article 27 de la loi du 2 août 1875 que : « sont applicables à l'élection du Sénat toutes les dispositions de la loi électorale relatives... aux délits, poursuites et pénalités. »

Que faut-il décider à l'égard des élections des maires et adjoints ? La nomination des maires et adjoints après avoir longtemps appartenu au Pouvoir exécutif et après avoir subi les nombreuses vicissitudes dont témoignent les lois du 22 juillet 1870, 14 avril 1871, 20 janvier 1874, 12 août 1876 et 28 mars 1882, est aujourd'hui confiée, par l'article 76 de la loi du 5 avril 1884, aux Conseils municipaux qui choisissent leurs élus parmi leurs membres. La question se pose donc de savoir si le titre IV du décret du 2 février 1852 est applicable à ces élections. En l'absence d'une disposition spéciale semblable à celle qui a été prise pour les élections sénatoriales, il faut décider la négative, parce que si le décret de 1852 doit être regardé comme étant véritablement le Code des élections, il ne peut être considéré comme tel que pour les élections faites au suffrage universel. Or les maires et adjoints sont nommés, nous venons de le voir, par un collège électoral composé seulement des conseillers municipaux. Il faut, en conséquence, décider que, pour ces élections, les articles du Code pénal sont applicables et non ceux du décret de 1852.

C'est ce qui a été décidé par la Cour de cassation, le 8 février 1878, sous l'empire, par conséquent, de la législation de 1876 qui confiait aux conseils municipaux le soin d'élire les maires et adjoints dans les communes qui n'étaient ni chef-lieu de département ou d'arrondissement, ni chef-lieu de canton. Voici les considérations sur lesquelles la Cour s'est appuyée : « Attendu que le décret organique du 2 février 1852 n'est relatif qu'aux élections des membres du Corps Législatif ; que toutes ses dispositions pénales se référent à ces élections et supposent qu'elles ont lieu avec le suffrage universel. Attendu que si les prescriptions de ce décret ont été reoonnues applicables aux élections des membres des conseils généraux, des conseils d'arrondissement et des conseils municipaux, c'est en vertu de l'article 2 de la loi du 7 juillet 1852 qu'il a été déclaré que ces élections faites également avec le suffrage universel, devaient avoir lieu sous l'empire des lois existantes et par conséquent du décret du 2 février 1852. Attendu que la loi du 12 août 1876 qui a conféré aux conseils municipaux, dans la plupart des communes, le droit d'élire les maires et les adjoints parmi leurs membres, a organisé, pour oes élections, un suffrage particulier restreint quant au nombre des électeurs et quant aux candidats pouvant être nommés, et différent, dès lors, dans son essence même, du mode de suffrage prévu par le décret organique du 2 février 1852 ; que, dans ces conditions, les prescriptions pénales de ce décret ne pourraient être appliquées à l'élection des maires et des adjoints, telle qu'elle a été réglée par la loi du 12 août 1876, qu'autant qu'une disposition législative l'aurait expressément déclaré. Attendu qu'aucune disposition de ce genre ne se trouve, soit dans la loi du 12 août 1876, soit dans toute autre loi postérieure ; qu'il est vrai qu'un projet de loi municipale, déposé par le Gouvernement le 29 mai 1876, contenait un article spécial qui déclarait applicables aux élections municipales les dispositions pénales du décret du 2 février 1852, mais que ce projet n'ayant pas été converti en loi» il y a lieu de recourir à l'article 113 du Code pénal qui forme le droit commun en matière de corruption électorale et qui n'a été abrogé par le décret du 2 février 1852 que pour des cas prévus par ledit décret.. (D.1880.5.149.).»

Cette décision, rendue sous l'empire de la loi de 1876, serait-elle encore exacte sous la législation de 1884 ? On pourrait soutenir que l'article 14, § 6 de la loi du 5 avril 1884 ayant déclaré applicables aux élections municipales, les pénalités et poursuites en matière législative, les articles du titre IV du décret de 1852 sont en vigueur pour les élections des maires et adjoints. Mais remarquons que l'article 14 est renfermé dans le chapitre premier du titre II qui est spéciale la formation des conseils municipaux et qu'il n'est question de l'élection des maires et adjoints que dans le titre III de la loi, article 76 et suivants ; que, dès lors, les dispositions de l'article 14 n'ont pas la portée générale qu'il faudrait leur reconnaître si elles étaient placées soit au début, soit à la fin de la loi. Dans ces conditions, l'autorité de l'arrêt précité de la Cour de cassation nous parait subsister toute entière.

La portée d'application de l'article 6 de la loi du 7 juillet 1874 ne donne lieu à aucune difficulté. La loi du 7 juillet 1874 étant relative à l'électoral municipal, les dispositions qu'elle renferme s'appliquèrent d'abord uniquement aux listes municipales qui servirent également, en vertu des lois des 30 juillet et 11 septembre 1874, pour les élections aux Conseils généraux et d'arrondissement. En 1875, cet article 6 fut rendu applicable aux listes qui servaient à la nomination des députés, en vertu de l'article 22, § 2 de la loi du 30 novembre. Depuis 1884, le législateur ayant consacré le retour à une seule liste, notre article s'applique à cette liste unique puisqu'il n'a d'ailleurs pas été abrogé par cette loi et n'est contraire à aucune de ses dispositions.

Quant à l'article 18 de la loi du 2 août 1875, il est, nous le savons, exclusivement applicable aux délégués sénatoriaux qui se sont, sans cause légitime, abstenus de prendre part au scrutin.

L'article 19 de la même loi, relatif à la tentative de corruption et de contrainte, a d'abord été uniquement applicable aux élections sénatoriales puisque la loi du 2 août 1875 se référait seulement à cet objet ; mais, d'une part, la loi du 30 novembre de la même année, sur l'élection des députés, a décidé, dans son article 3, que les dispositions de l'article 19 de la loi organique du 2 août 1875 seraient appliquées aux élections des députés, et, d'autre part, l'article 14 de la loi du 5 avril 1884, en renvoyant aux pénalités établies en matière législative, a, par le fait même, rendu l'article 19 applicable aux élections municipales. Il faut restreindre à ces trois sortes d'élections l'applicabilité de l'article 19. En ce qui concerne les maires et les adjoints, nous renouvelons l'observation qui a été faite à propos du décret de 1852, c'est-à-dire que l'article 14 de la loi du 5 avril 1884 étant placé dans un titre ou il est exclusivement question des Conseils municipaux, ne se rapporte qu'aux élections à ces conseils. Quant aux élections aux Conseils généraux et d'arrondissement, en dehors d'une disposition expresse de la loi permettant de leur appliquer l'article en question, il faut décider qu'il leur est étranger. Cette solution est commandée par ce principe que les lois pénales doivent être renfermées dans leurs termes et ne peuvent être étendues par voie d'analogie à des cas qu'elles n'ont pas expressément prévus. L'extension successive aux élections des députés et aux élections des conseillers municipaux que nous venons de signaler, indique, du reste, que le législateur a reconnu la nécessité d'une déclaration spéoiale d'applica bilité pour ces deux sortes d'élections, et, puisqu'il n'a rien fait de semblable pour les Conseils généraux et d'arrondissement, il faut en conclure que l'article 19 ne leur est pas applicable (Cass., 9 avril 1881. D., 1882,1, 288.).

Par un raisonnement identique à celui que nous venons de faire, nous arriverons à considérer que la pénalité de l'article 22 de la loi du 30 novembre 1875, relative à la défense faite aux agents de l'autorité publique et municipale de distribuer des bulletins de vote, professions de foi et circulaires des candidats, n'est applicable qu'aux élections des députés, des sénateurs et des conseillers municipaux. En effet, on ne trouve de dispositions permettant d'appliquer l'article 22, qui est par lui-même envigueur pour les élections des députés, que dans des textes relatifs aux élections des sénateurs et des conseillers municipaux. En ce qui concerne les élections sénatoriales, quelques doutes pourraient même s'élever, parce que le texte sur lequel nous nous appuyons est antérieur de quelques mois à la loi du 30 novembre 1875. Ce texte est celui de l'article 27 de la loi du 2 août de la même année ; il est ainsi conçu : « Sont applicables à l'élection du Sénat toutes les dispositions de la loi électorale relatives... aux délits, poursuites et pénalités. » Or, on pourrait être tenté de soutenir que les dispositions dont il s'agit sont celles qui étaient alors en vigueur et non celles à venir ; mais il est plus vraisemblable que le législateur a voulu traiter de la même manière les élections des sénateurs et celles des députés, c'est-à-dire les deux élections législatives, et que, par conséquent, les mots : « sont applicables à l'élection du Sénat » se rapportent non seulement à la situation existante au 2 août 1875, mais encore aux dispositions futures relatives aux délits, poursuites et pénalités. Il résulte, d'ailleurs, des termes du rapport présenté à l'Assemblée nationale, que le rédacteur de la loi du 2 août 1875 avait en vue la loi qui devait être faite pour l'élection des députés ; or, cette loi, à laquelle il était fait allusion, est devenue celle du 30 novembre, qui défend et punit la distribution par les agents de l'autorité (Voir, en ce sens, le rapport de M. Dupré-Lasale, Cass, 9 avril 1881, D., 1882, t, 234 ; contra, Fuzier-Herman, Répertoire général de Droit français, Elections, n° 3865.).

La disposition pénale relative aux lacérations d' affi ches n'étant pas contenue dans une loi particulière à un genre d'élection, mais dans la loi sur la presse, s'applique, sans qu'il puisse y avoir aucune difficulté à ce sujet, à toutes les élections indistinctement.

De même, la loi du 30 mars 1902, intitulée : « Loi relative à la répression des fraudes en matière électorale », s'appliquera aux élections en général.

Enfin, la loi du 7 juillet 1889 est réservée, comme nous l'avons dit plus haut, aux seules élections des membres de la Chambre des députés.

CHAPITRE V

ACTION PUBLIQUE ET ACTION CIVILE. — PRESCRIPTION. CUMUL DES PEINES.

Action publique et action civile. — A l'occasion de toute infraction indistinctement, le Ministère public a le droit et même le devoir de poursuivre les coupables au nom de la société. De même, à l'occasion de toute infraction, un particulier peut se porter partie civile s'il a subi, du fait de l'acte incriminé, un préjudice matériel ou moral à la condition que ce préjudice soit personnel, direct et appréciable en argent. Cette règle qui est générale s'applique évidemment aux infractions électorales. Mais, à côté de l'action publique et de l'action civile ainsi entendues, la loi a établi, pour les crimes et les délits électoraux, une action privée, véritable action populaire en vertu de laquelle tout électeur peut poursuivre les infractions commises dans l'élection à laquelle a concouru le collège dont il fait partie. Cette action est organisée par l'article 123 de la loi du 15 mars 1849. ainsi conçu : « Les électeurs du collège qui aura procédé à l'élection à l'occasion de laquelle les crimes ou délits auront été commis, auront seuls qualité pour porter plainte ; toutefois, leur défaut d'action ne portera aucun préjudice à l'action publique ».

On a soutenu que l'action civile de l'article 123 ne se distinguait pas de l'action civile de droit commun et que le préjudice devait être apprécié de la même façon dans les délits électoraux et dans tous les autres. S'il en était ainsi, il faudrait reconnaître que le législateur aurait introduit dans notre matière une disposition restrictive dont il serait impossible de découvrir la raison. Pourquoi limiter aux citoyens faisant partie d'un collège électoral le nombre de ceux qui auront le droit de demander la réparation d'un dommage. On ne se l'explique pas. On doit donc admettre que l'action civile dont il s'agit est différente de celle.qui existe ordinairement.

Pour bien comprendre le caractère de cette action spéciale, il importe d'observer que l'existence d'une action civile à côté de l'action publique, a pour effet, non seulement d'assurer le maintien du principe en vertu duquel tout dommage doit être réparé, mais encore de seconder, dans une certaine mesure, le Ministère public. Loin d'être superflue, cette participation de l'action privée dans la poursuite des délits est particulièrement utile en matière électorale. En effet, il est permis de craindre qu'une certaine partialité politique ne fasse, peut-être, et d'ailleurs sans aucune mauvaise foi, apprécier différemment les faits, selon que leurs auteurs auront agi pour ou contre une opinion donnée. On a pu prévoir, en conséquence, qu'il était possible que certains faits constituant de véritables infractions ne fussent l'objet d'aucune poursuite de la part du Ministère public. L'action civile ordinaire aurait-elle donné aux particuliers un droit assez étendu pour faire contre-poids à l'appréciation indulgente du représentant de la société ? Non, bien certainement, par la raison que le préjudice, au sens ordinaire du mot, ne se conçoit que très difficilement dans la plupart des cas relatifs aux élections. A part le candidat lui-même et, peut-être, ceux qui ont fait pour lui une propagande toujours coûteuse, on ne voit guère quels citoyens auraient pu échapper à une fin de non-recevoir ; et, alors, les coupables étaient assurés de l'impunité. C'est ce que la loi n'a pas voulu, et, pour éviter un tel résultat, elle a donné aux électeurs d'un collège le droit d'agir par l'action civile dans tous les cas où l'action publique est ouverte. Elle a considéré que les électeurs d'un collège qui a procédé à une élection ont, par le fait même qu'ils font partie de ce collège, un intérêt suffisant à la régularité des opérations, pour demander des dommages et intérêts en cas de délit. Ces dommages et intérêts ne sont pas accordés au particulier lésé dans ses intérêts privés, mais à l'électeur lésé dans son droit de citoyen d'être gouverné par des autorités normalement constituées. Cette idée ressort clairement des travaux préparatoires de la loi et la jurisprudence n'hésite pas aujourd'hui à en faire application. La Cour de Montpellier qui, dans un arrêt du 21 novembre 1877 (S. 1817. 2. 326.), avait exprimé une opinion contraire, est revenue sur sa première interprétation, dans un arrêt du 10 novembre 1894 (S. 1896. 2. 201.) ; et la Cour de cassation s'est également prononcée dans le sens que nous' avons indiqué (Casa., 16 mars 1878, S 78.1. 483. D. 78.1. 142.).

Il s'agit, nous l'avons dit, d'une véritable action popu laire : elle n'est du reste pas la seule en matière élec torale, et il est intéressant de rapprocher l'article 123 de la loi du 15 mars 1849 de l'article 19 du décret orga nique du 2 février 1852, lequel permet à tout électeur inscrit sur l'une des listes de la circonscription électo rale de réclamer l'inscription ou la radiation d'un indi vidu omis ou indûment inscrit.

Aucun doute, d'ailleurs, que l'article 123 ne soit toujours en vigueur. Les dispositions de la loi du 15 mars 1849 ont été, il est vrai, remplacées par le décret du 2 février 1852, mais l'article 52 de ce décret n'a abrogé la législation antérieure que dans ce qu'elle avait de contraire aux dispositions nouvelles ; or, rien ne s'oppose, dans le décret de 1852, au maintien de l'action que nous avons signalée ; loin de là, l'article 50 qui est la reproduction de l'article 121 de la loi ancienne confirme le droit d'agir comme partie civile en indiquant le délai dans lequel cette action est prescrite (Cass. 16 mars 1878, précité.).

Prescription. — L'article 50 du décret est ainsi conçu : « L'action publique et l'action civile seront prescrites après trois mois à partir du jour de la proclamation du résultat ». La loi a donc établi une prescription courte pour les infractions électorales. En droit commun, la prescription est de dix ans pour les crimes et de trois ans pour les délits ; elle est de trois mois seulement dans notre matière et ce délai s'applique aux crimes aussi bien qu'aux délits. Le motif en est que l'on n'a pas voulu s'exposer à alimenter l'agitation qui accompagne inévitablement la période électorale, en rendant possibles, pendant un laps de temps prolongé, des poursuites qui sont de nature à ranimer les passions politiques.

Le point de départ de cette prescription est le jour où le résultat de l'élection est proclamé. S'il s'agit d'une élection dont le résultat est simple, comme dans les élections municipales pour lesquelles chaque commune nomme ses élus, il n'y aura aucune difficulté pour préciser le jour de la proclamation. Mais s'il s'agit d'une élection départementale ou législative à la Chambre des Députés, le résultat définitif étant composé de la réunion des résultats de plusieurs communes, il y a lieu de rechercher si le délai de trois mois doit être calculé à partir du jour de la proclamation dans la commune ou si, au contraire, le point de départ doit être retardé jusqu'au moment où le résultat général a été rendu public. Les deux proclamations pouvant être séparées par un certain nombre de jours, l'intérêt pratique de la question est considérable. En faveur de l'opinion dans laquelle on fixerait le point de départ au jour de la proclamation dans la commune, on peut dire que la loi ayant voulu réduire le délai dans lequel les poursuites peuvent avoir lieu, c'est se conformer à son esprit que de choisir la proclamation qui a été faite la première ; qu'en thèse générale la prescription court de l'époque du crime ou du délit et que le législateur n'est censé avoir voulu se départir de cette règle que dans la mesure rendue nécessaire par l'adoption du principe spécial qu'il pose ; qu'en l'absence d'une indication formelle on doit, du reste, interpréter les textes dans le sens le plus favorable aux prévenus ; et que, d'ailleurs,, la période où se place la généralité des actes délictueux est terminée après la proclamation dans la commune. C'est ainsi que l'avait jugé le Tribunal correctionnel de Périgueux le 25 mai 1886 ; telle avait été aussi la manière de voir de la Cour de Bordeaux (Bordeaux, 1" juillet 1886.) devant laquelle le ministère public avait porté l'appel de .la décision du dit tribunal. Mais la Cour de cassation s'est rangée à l'opinion contraire (Casa. 23 octobre 1886, D. 87. I. 308 ; S. 87, I. 141.) « attendu qu'aux termes de l'article 50 du décret précité, l'action publique et l'action civile seront prescrites après trois mois à partir du jour de la proclamation du résultat de l'élection ; qu'il résulte manifestement de ce texte que le délai de la prescription des crimes et délits électoraux commence à courir, non à compter du jour où le résultat du scrutin est rendu public dans chaque commune, mais à partir de celui où la Commission composée de trois membres du Conseil général a terminé, en séance publique, le recensement général des votes du département et proclamé députés les candidats qui ont satisfait aux conditions exigées par le législateur ; qu'avant oe jour, le résultat du scrutin dans chaque commune a été sans doute rendu public, mais que chacun de ces résultats partiels ne constitue pas l'élection qui procède seulement de l'ensemble des votes émis dans les diverses communes du département ; que les séances publiques de la Commission départementale consacrées au recensement général des votes émis et à la proclamation des candidats élus font partie des opérations électorales ; que certaines infractions de l'espèce de celles prévues par le décret organique du 2 février 1852, peuvent être commises au cours de ces séances et que la prescription de ces infractions et de celles qui se seraient antérieurement produites ne peut commencer à courir qu'à dater du jour où les opérations électorales sont terminées par suite de la proclamation du résultat de l'élection par le président de la Commission départementale... »
— Cet arrêt semble avoir définitivement fixé la jurisprudence qui, depuis, n'a pas varié (Limoges, 30 décembre 1886, S. 87, 2, 87.).

Il est à peine besoin de dire que la prescription ne peut pas courir avant que l'acte délictueux n'ait été commis. Cette vérité n'a cependant pas toujours paru évidente, puisque la Cour de cassation a dû la proclamer dans un arrêt du 1" juin 1866 (Casa., 1er juin 1866, D. 66.1. 240.), à l'occasion du délit de double vote. Il s'agissait, dans l'espèce, d'un électeur qui, en vertu d'une inscription multiple, avait voté, pour le renouvellement des assemblées municipales, le 23 juillet 1865, dans une commune, et le 28 janvier 1866 dans une autre. La Cour de cassation a décidé avec raison que le premier vote émis constituant l'exercice d'un droit absolu ne pouvait être considéré comme étant un élément intentionnel du délit. C'est seulement, en effet, lorsque le deuxième vote est exprimé, que le délit commence, et qu'il est entièrement accompli du reste ; jusque-là il n'existait pas du tout ; après il est constitué dans toute sa perfection. C'est donc bien seulement de la proclamation qui suit le second vote qu'il faudra tenir compte.

La question s'est aussi posée de savoir si, dans le calcul des trois mois, il fallait faire entrer le jour même de la proclamation de l'élection, ou si l'on devait, au contraire, calculer le délai de prescription à compter du lendemain de la proclamation. On pouvait, en s'inspirant de la volonté du législateur de régler prompte ment les affaires criminelles relatives aux élections, soutenir que le jour du scrutin devait entrer dans le calcul ; mais, outre que les règles de procédure pénale font, en droit commun, exclure le jour de l'infraction, puisque les articles 637 et 638 du Code d'instruction criminelle exigent dix ou trois années révolues, les termes de l'article 50 sont un obstacle à l'adoption de cette manière de voir : cet article dit, en effet, « après trois mois, à partir du jour de la proclamation de l'élection. » Aussi la Cour de cassation fait-elle courir les délais du lendemain de la proclamation (Cass-, 4 avril 1873, D. 73.1. 221.).

Les trois mois devront aussi être calculés de date à date, et non pas de jour à jour ; c'est encore le droit commun (Même arrêt.).

Le droit commun sera également suivi dans l'appréciation des actes qui seront interruptifs de la prescription. Par conséquent les procès-verbaux dressés par la gendarmerie, étant des actes d'instruction et de poursuite au sens de l'article 637 du Code d'instruction criminelle, empêcheront la prescription de s'accomplir (Cass., 25 juillet 1890, S. 90. 1. 489.). Il importera peu que l'enquête qui aura donné lieu au procès- verbal ait été ordonnée par l'autorité administrative ou par l'autorité judiciaire, ou encore que l'infraction électorale ait été constatée, non sur des recherches spéciales à l'infraction elle-même, mais accidentellement, au cours de recherches ayant un autre objet (Rennes, 16 avril 1890, sous Cass., 25 juillet 1890, précité.). Mais il a été jugé qu'un simple rapport de la gendarmerie dressé, surtout dans le cas de flagrant délit, sur la réquisition du ministère public, dans un but de renseignement, et en vue d'apprécier l'opportunité de poursuites ultérieures, ne saurait être considéré comme un acte interruptif (Douai, 6 février 1871, S. 72. 2. 42.).

Toujours selon les règles du droit commun, l'interruption est acquise non seulement à l'égard de ceux contre lesquels les actes sont dirigés, mais encore à l'égard de tous ceux qui ont pris part à l'infraction. Bien plus, il n'est pas nécessaire que les actes d'instruction et de poursuite aient été dirigés contre un individu déterminé ; les poursuites contre inconnu suffisent (Cass., 3 juillet 1880, S. 81.1. 481 ; 8 janvier 1898, S. 98.1.535). Il n'y aura pas, non plus, à distinguer entre les délits électoraux et les délits en général pour savoir si la prescription qui a été interrompue une première fois peut l'être encore pendant le délai nouveau auquel l'interruption a donné naissance. Si l'on admet, avec la plupart des auteurs et la jurisprudence, que les délais peuvent, en droit commun, se succéder sans autre limite que l'oubli définitif, on ne fera pas de difficulté pour appliquer à notre matière le système des interruptions successives (Montpelier. 5 mars 1887. 5. 88. 2. 161. ). Mais une question se pose aussitôt. : les, nouvelles prescriptions auront-elles la même durée que la première ? Le délai de trois mois sera-t-il remplacé par un nouveau délai de trois mois, ou faudra t-il introduire la prescription de droit commun fixée à trois ans pour les délits et à dix ans pour les crimes ? La logique semble commander de poser un principe général pour toutes les prescriptions courtes et d'en faire application dans tous les cas. Or, la Cour de cassation décide que pour certains délits spéciaux, tels que les délits de chasse (Cass. 13 avril 1.S83. D. 83. 5.64.) et les délits forestiers (Cass. 17 mars 1866. D 66. 1. 509.), dont la prescription est de trois ou six mois, le silence de la loi sur les effets de l'interruption doit être interprété dans le sens d'une extension des règles du droit commun, c'est-à-dire que les dispositions spéciales qui les régissent ue doivent pas être étendues au-delà de leurs effets prévus et que, dans l'espèce, l'interruption de la prescription courte donne naissance à la prescription ordinaire de trois ans. Le principe peut être discuté, mais, une fois admis, on s'attend à le voir appliquer en toute occasion. Cependant la Cour de cassation décide qu'en matière électorale, la prescription de trois mois sera remplacée, après interruption, par une nouvelle prescription de trois mois. Elle justifie cette exception eu s'appuyant sur la volonté manifeste du législateur de faire promptement juger les délinquants électoraux et sur la nécessité d'empêcher que les parties intéressées ne puissent, au moyen d'une interruption, perpétuer, pendant trois ans et même pendant dix ans, la possibilité de poursuites que, dans un but d'ordre public, on a voulu enfermer dans un court laps de temps (Cass. 16 juin 1865. D. 65.1. 243.). Les motifs qui ont fait admettre la réduction du délai initial sont d'ailleurs inhérents à la nature du délit et ils n'ont pas pu perdre toute leur valeur après un acte d'interruption. Ces considérations dont la justesse est indiscutable expliquent amplement la décision de la Cour suprême et si, tout d'abord, on a pu s'étonner de l'exception admise, n'est-on pas plutôt surpris maintenant que cette exception ne soit pas la règle, encore que les raisons qui militent en faveur de cette opinion n'aient pas la même force pour tous les délits à prescription courte.

Un dernier point reste à régler : celui relatif à la portée d'application de l'article 50. Cet article, contenu dans le décret organique du 2 février 1852, s'appliquet—il uniquement aux crimes et aux délits prévus par ce décret, ou bien sera-t-il en vigueur pour toutes les infractions électorales indistinctement ? Disons tout de suite que même, pour les délits dont le décret s'occupe, il peut arriver que l'article 50 ne puisse recevoir son application : c'est le cas en ce qui concerne l'article 31.

On se rappelle qu'il s'agit de l'inscription fraudulense sur la liste électorale. Bien entendu, si une personne inscrite frauduleusement prend part à un scrutin, elle pourra invoquer la prescription, pour le vote illégal, lorsque trois mois se seront écoulés depuis le jour de la proclamation du résultat ; mais si l'on considère le fait isolé de l'inscription frauduleuse, lequel est par lui-même punissable, abstraction faite de tout vote ultérieur, l'article 50 est-il applicable ? Remarquons que le cas est de nature à se présenter fréquemment, car, souvent, il ne sera procédé à aucune élection pondant la période de validité d'une liste électorale. La difficulté vient de ce que l'article 50 suppose une proclamation et que, dans l'espèce, il n'y en a pas. Le point de départ fait alors défaut. On pourrait, il est vrai, proposer de faire courir le délai de trois mois de la clôture définitive de la liste électorale et cette façon de procéder par analogie paraîtra, sans doute, séduisante ; mais elle serait arbitraire. L'article 50 organise une prescription qui suppose la proclamation d'un résultat ; ses dispositions ne peuvent donc avoir d'effet que dans des cas où cette proclamation a eu lieu. En conséquence, il nous semble rationnel de conclure que les règles du droit commun doivent s'appliquer au délit de l'article 31, c'est-à-dire que les poursuites pourront être utilement commencées dans le délai de trois ans à partir du jour de l'infraction. C'est ce qui a été admis par plusieurs décisions judiciaires (Coulommien, 21 avril 1885. S. 85. 2. 221. Poitiers, 30 mai 1894. S. 95. 2.113.).

Ce que nous venons de dire de l'article 31 peut se répéter à plus forte raison de l'article 6 de la loi du 7 juillet 1874.

Poursuivant la question de l'applicabilité de l'article 50, recherchons si les délits non prévus par le décret de 1852, mais qui, par leur nature, ne sont pas exclusifs d'une prescription dont le point de départ est fixé par la proclamation du scrutin, peuvent bénéficier de la prescription de trois mois. Si l'on raisonne suivant des principes absolus, on dira que les dispositions des lois spéciales constituant des dérogations au droit commun, doivent être interprétées dans leur sens le plus étroit et que l'article 50 venant à la suite d'une série de dispositions pénales se réfère seulement au cas dont il vient d'être question. Un argument de texte vient renforcer ce raisonnement : l'article 50 se rattache, en effet, à l'article 48, et ce dernier article parle expressément des crimes et délits « prévus par la présente loi ». Toutefois les résultats qui découleraient de l'application limitée de l'article 50 sont tellement peu satisfaisants, que la jurisprudence refuse de les admettre. Notamment il serait bizarre que la prescription fût de trois ans dans le cas de corruption tentée prévu par l'article 19 de la loi du 2 août 1875, et de trois mois dans le cas de corruption consommée puni par l'article 38 du décret de 1852 ; qu'elle fût de trois ans pour le délit d'altération du scrutin lorsque ce délit a été commis par un simple particulier, lequel est. nous le savons passible des peines de l'article 112 du Code pénal, alors qu'elle n'est que de trois mois lorsque le coupable est un membre du bureau, passible des peines de l'article 35 du décret.

Aussi, la Cour de cassation s'est-elle prononcée dans le sens de l'élargissement de la portée d'application de l'article 50. A l'occasion du délit de l'article 112 du Code pénal elle a reconnu, le 9 décembre 1892 (D. 1893. 1. 335. S. 1894. 1. 475.), que l'article 50 posait, en matière de prescription, un principe général applicable à tous les crimes et délits relatifs à l'exercice des droits civiques, et, le 23 octobre 1886 (D. 1887. 1. 368.), elle avait déjà fait application de ce principe au délit de distribution de bulletins et circulaires prévu par la loi du 30 novembre 1875. Il est permis de présumer que, par identité de motifs, la jurisprudence appliquera également la prescription de trois mois à tous les délits qui affectent le scrutin ; mais la Cour de cassation n'a pas été jusqu'à décider que la prescription du délit de candidatures multiples était réglée par l'article 50 (Cass. 13 juin 1890, P. 91. 1.131.). Elle ne conteste cependant pas qu'il s'agisse d'une infraction électorale, mais elle constate que la loi du 17 juillet 1889 ne renferme aucune disposition relative à la prescription, qu'elle ne contient aucune référence au décret du 2 février 1852. et elle en conclut que le Code d'instruction criminelle conserve, dès lors, tout son empire. Ce raisonnement pourra être renouvelé à l'occasion des délits faisant l'objet de la loi du 30 mars 1902 ; et s'il l'est effectivement, le principe admis par l'arrêt cité plus haut perdra singulièrement de son importance. Quoi qu'il en soit, les raisons qui ont fait admettre la prescription courte étant les mêmes dans tous les cas, sans exception pour le délit de candidatures multiples, il est regrettable qu'une disposition expresse de nos lois n'édicte pas formellement la prescription de trois mois pour tous les délits électoraux.

Quant à la prescription de la peine, il ne peut être question que des règles du droit commun : les peines criminelles seront donc prescrites après vingt ans et les peines correctionnelles après cinq ans.

Cumul des peines. — Le décret du 2 février 1852 renferme une disposition particulière relative au cumul des peines. Il décide, dans son article 49, qu' « en cas de conviction de plusieurs crimes ou délits prévus par la présente loi et commis antérieurement au premier acte de poursuite, la peine la plus forte sera seule appliquée ». En droit commun, on ne prononce également que la peine la plus forte, mais, au lieu d'apprécier la situation du coupable à l'époque du premier acte de poursuite, on se place au moment de la condamnation : c'est le système de l'absorption des peines dans ce qu'il a de plus absolu. En matière électorale, la loi combine le système de l'absorption avec celui de l'addition des peines et elle fait application du premier, à partir de la première infraction jusqu'au moment des poursuites, et du second, depuis les premières poursuites jusqu'à la condamnation. Ce mélange des deux systèmes est très ingénieux parce qu'il corrige ce que chacun d'eux pris isolément peut avoir d'excessif.

Vu : LE PRÉSIDENT DE THÈSE, E. GARÇON

Vu : LE DOYEN. GLASSON

Vu et permis d'imprimer : LE VICE-RECTEUR DE L'ACADÉMIE DE PARIS,

L. LIARD

UNIVERSITÉ DE PARIS — FACULTÉ DE DROIT — THÈSE POUR LE DOCTORAT

L'acte public sur les matièeres ci-dessus sera soutenu le samedi 23 avril 1904, à 2 heures

La Faculté n'entend donner aucune approbation n improbation aux opinions émises dans les thèses ; ces opinions doivent être considérées comme propres a leurs auteurs.

Credits : Biblioteca Digital Juridica - STJ - Superior Tribunal de Justiça

 


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