LES PRÉCIEUSES RIDICULES DE MOLIÈRE
MOLIÈRE LES PRÉCIEUSES RIDICULES ( 1659 ) PERSONNAGES - LA GRANGE, amant rebuté Comédie en dix-sept scènes : Scène I, Scène II, Scène III, Scène IV, Scène V, Scène VI, Scène VII, Scène VIII, Scène IX, Scène X, Scène XI, Scène XII, Scène XIII, Scène XIV, Scène XV, Scène XVI, Scène XVII
LA GRANGE, DU CROISY
DU CROISY LA GRANGE Quoi ? DU CROISY Regardez-moi un peu sans rire. LA GRANGE Eh bien ? DU CROISY Que dites-vous de notre visite ? en êtes-vous fort satisfait ? LA GRANGE À votre avis, avons-nous sujet de l'être tous deux ? DU CROISY Pas tout à fait, à dire vrai. LA GRANGE Pour moi, je vous avoue que j'en suis tout scandalisé. A-t-on jamais vu, dites-moi, deux pecques provinciales faire plus les renchéries que celles-là, et deux hommes traités avec plus de mépris que nous ? À peine ont-elles pu se résoudre à nous faire donner des siéges. Je n'ai jamais vu tant parler à l'oreille qu'elles ont fait entre elles, tant bâiller, tant se frotter les yeux, et demander tant de fois : Quelle heure est-il ? Ont-elles répondu que oui et non à tout ce que nous avons pu leur dire ? Et ne m'avouerez-vous pas enfin que, quand nous aurions été les dernières personnes du monde, on ne pouvoit nous faire pis qu'elles ont fait ? DU CROISY Il me semble que vous prenez la chose fort cur. LA GRANGE Sans doute, je l'y prends, et de telle façon, que je veux me venger de cette impertinence. Je connois ce qui nous a fait mépriser. L'air précieux n'a pas seulement infecté Paris, il s'est aussi répandu dans les provinces, et nos donzelles ridicules en ont humé leur bonne part. En un mot, c'est un ambigu de précieuse et de coquette que leur personne. Je vois ce qu'il faut être pour en être bien reçu ; et si vous m'en croyez, nous leur jouerons tous deux une pièce qui leur fera voir leur sottise, et pourra leur apprendre à connoître un peu leur monde. DU CROISY Et comment encore ? LA GRANGE J'ai un certain valet, nommé Mascarille qui passe au sentiment de beaucoup de gens, pour une manière de bel esprit ; car il n'y a rien à meilleur marché que le bel esprit maintenant. C'est extravagant, qui s'est mis dans la tête de vouloir faire l'honneur de condition. Il se pique ordinairement de galanterie et de vers, et dédaigne les autres valets, jusqu'à les appeler brutaux. DU CROISY Eh bien ! qu'en prétendez-vous faire ?
LA GRANGE
GORGIBUS, DU CROISY, LA GRANGE
GORGIBUS LA GRANGE C'est une chose que vous pourrez mieux apprendre d'elles que de nous. Tout ce que nous pouvons dire, c'est que nous vous rendons grâce de la faveur que vous nous avez faite, et demeurons vos très-humbles serviteurs.
LA GRANGE
MAROTTE, GORGIBUS
MAROTTE Que désirez-vous, Monsieur ? GORGIBUS Où sont vos maîtresses ? MAROTTE Dans leur cabinet. GORGIBUS Que font-elles ? MAROTTE De la pommade pour les lèvres.
GORGIBUS
MAGDELON, CATHOS, GORGIBUS
GORGIBUS Il est bien nécessaire vraiment de faire tant de dépense pour vous graisser le museau. Dites-moi un peu ce que vous avez fait à ces Messieurs, que je les vois sortir avec tant de froideur ? Vous avois-je pas commandé de les recevoir comme des personnes que je voulois vous donner pour maris ? MAGDELON Et quelle estime, mon père, voulez-vous que nous fassions du procédé irrégulier de ces gens-là ? CATHOS Le moyen, mon oncle, qu'une fille un peu raisonnable se pût accomoder de leur personne ? GORGIBUS Et qu'y trouvez-vous à redire ? MAGDELON La belle galanterie que la leur ! Quoi ? débuter d'abord par le mariage ! GORGIBUS Et par où veux-tu donc qu'ils débutent ? par le concubinage ? N'est-ce pas un procédé dont vous avez sujet de vous louer toutes deux aussi bien que moi ? Est-il rien de plus obligeant que cela ? Et ce lien sacré où ils aspirent, n'est-il pas un témoignage de l'honnêteté de leurs intentions ? MAGDELON Ah ! mon père, ce que vous dites là est du dernier bourgeois. Cela me fait honte de vous ouïr parler de la sorte, et vous devriez un peu vous faire apprendre le bel air des choses. GORGIBUS Je n'ai que faire ni d'air ni de chanson. Je te dis que le mariage est une chose simple et sacrée, et que c'est faire en honnêtes gens que de débuter par là. MAGDELON Mon Dieu, que, si tout le monde vous ressembloit, un roman seroit bientôt fini ! La belle chose que ce seroit si d'abord Cyrus épousoit Mandane, et qu'Aronce de plainpied fût marié à Clélie ! GORGIBUS Que me vient conter celle-ci ? MAGDELON Mon père, voilà ma cousine qui vous dira, aussi bien que moi, que le mariage ne doit jamais arriver qu'après les autres aventures. Il faut qu'un amant, pour être agréable, sache débiter les beaux sentiments, pousser le doux, le tendre et le passionné, et que sa recherche soit dans les formes. Premièrement, il doit voir au temple, ou à la promenade, ou dans quelque cérémonie publique, la personne dont il devient amoureux ; ou bien être conduit fatalement chez elle par un parent ou un ami, et sortir de là tout rêveur et mélancolique. Il cache un temps sa passion à l'objet aimé, et cependant lui rend plusieurs visites, où l'on ne manque jamais de mettre sur le tapis une question galante qui exerce les esprits de l'assemblée. Le jour de la déclaration arrive, qui se doit faire ordinairement dans une allée de quelque jardin, tandis que la compagnie s'est un peu éloignée ; et paroît à notre rougeur, et qui, pour un temps, bannit l'amant de notre présence. Ensuite il trouve moyen de nous apaiser, de nous accoutumer insensiblement au disocurs de sa passion, et de tirer de nous cet aveu qui fait tant de peine. Après cela viennent les aventures, les rivaux qui se jettent à la traverse d'une inclination établie, les persécutions des pères, les jalousies conçues sur de fausses apparences, les plaintes, les désespoirs, les enlèvements, et ce qui s'ensuit. Voilà comme les choses se traitent dans les belles manières et ce sont des règles dont, en bonne galanterie, on ne sauroit se dispenser. Mais en venir de but en blanc à l'union conjugale, ne faire l'amour qu'en faisant le contrat du mariage, et prendre justement le roman par la queue ! encore un coup, mon père, il ne se peut rien de plus marchand que ce procédé ; et j'ai mal au cur de la seule vision que cela me fait. GORGIBUS Quel diable de jargon entends-je ici ? Voici bien du haut style. CATHOS En effet, mon oncle, ma cousine donne dans le vrai de la chose. Le moyen de bien recevoir des gens qui sont tout à fait incongrus en galanterie ? Je m'en vais gager qu'ils n'ont jamais vu la carte de Tendre, et que Billets-doux, Petits-Soins, Billets-Galants et Jolis-Vers sont des terres inconnues pour eux. Ne voyez-vous pas que toute leur personne marque cela, et qu'ils n'ont point cet air qui donne d' abord bonne opinion des gens ? Venir en visite amoureuse avec une jambe toute unie, un chapeau désarmé de plumes, une tête irréglière en cheveux, et un habit qui souffre une indigence de rubans !... mon Dieu, quels amants sont-ce là ! Quelle frugalité d'ajustement et quelle sécheresse de conversation ! On n'y dure point, on n'y tient pas. J'ai remarqué encore que leurs rabats ne sont pas de la bonne faiseuse, et qu'il s'en faut plus d'un grand demi-pied que leurs hauts-de-chausses ne soient assez larges. GORGIBUS Je pense qu'elles sont folles toutes deux, et je ne puis rien comprendre à ce baragouin. Cathos, et vous, Magdelon... MAGDELON Eh ! de grâce, mon père, défaites-vous de ces noms étranges, et nous appelez autrement. GORGIBUS Comment, ces noms étranges ! Ne sont-ce pas vos noms de baptême ? MAGDELON Mon Dieu, que vous êtes vulgaire ! Pour moi, un de mes étonnements, c'est que vous avez pu faire une fille si spirituelle que moi. A-t-on jamais parlé dans le beau style de Cathos ni de Magdelon ? et ne m'avouerez-vous pas que ce seroit assez d'un de ces noms pour décrier le plus beau roman du monde ? CATHOS Il est vrai mon oncle, qu'une oreille un peu délicate pâtit furieusemsent à entendre prononcer ces mots-là ; et le nom Polyxène que ma cousine a choisi, et celui d'Aminte que je me suis donné, ont une grâce dont il faut que vous demeuriez d'accord. GORGIBUS Écoutez, il n'y a qu'un mot qui serve : je n'entends point que vous avez d'autres noms que ceux qui vous été donnés par vos parrains et marraines ; et pour ces Messieurs dont il question, je connois leurs familles et leurs biens, et je veux résolûment que vous vous disposiez à les recevoir pour maris. Je me lasse de vous avoir sur les bras, et la garde de deux filles est une charge un peu trop pesante pour un homme de mon âge. CATHOS Pour moi, mon oncle, tout ce que je puis dire, c'est que je trouve le mariage une chose tout à fait choquante. Comment est-ce qu'on peut souffrir la pensée de coucher contre un homme vraiment nu ? MAGDELON Souffrez que nous prenions un peu haleine parmi le beau monde de Paris, où nous ne faisons que d'arriver. Laissez-nous faire à loisir le tissu de notre roman, et n'en pressez point tant la conclusion.
GORGIBUS
CATHOS, MAGDELON
CATHOS MAGDELON Que veux-tu ma chère ? J'en suis en confusion pour lui. J'ai peine à me persuader que je puisse être véritablement sa fille, et je crois que quelque aventure, un jour, me viendra développer une naissance plus illustre.
CATHOS
MAROTTE, CATHOS, MAGDELON
MAROTTE Voilà un laquais qui demande si vous êtes au logis, et dit que son maître vous veut venir voir. MAGDELON Apprenez, sotte, à vous énoncer moins vulgairement. Dites : Voilà un nécessaire qui demande si vous êtes en commodité d'être visibles. MAROTTE Dame ! je n'entends point le latin, et je n'ai pas appris, comme vous, la filofie dans le Grand Cyre. MAGDELON L'impertinente ! Le moyen de souffrir cela ? Et qui est-il, le maître de ce laquais ? MAROTTE Il me l'a nommé le marquis de Mascarille. MAGDELON Ah ! ma chère, un marquis ! Oui, allez dire qu'on nous peut voir. C'est sans doute un bel esprit qui aura ouï parler de nous. CATHOS Assurément, ma chère. MAGDELON Il faut le recevoir dans cette salle basse, plutôt qu'en notre chambre. Ajustons un peu nos cheveux au moins, et soutenons notre réputation. Vite, venez nous tendre ici dedans le conseiller des grâces. MAROTTE Par ma foi, je ne sais point quelle bête c'est là : il faut parler chrétien, si vous voulez que je vous entende.
CATHOS
MASCARILLE, DEUX PORTEURS
MASCARILLE Holà, porteurs, Là, là, là, là, là, là. Je pense que ces marauds-là ont dessein de me briser à force de heurter contre les murailles et les pavés. Premier porteur Dame ! c'est que la porte est étroite : vous avez voulu aussi que nous soyons entrés jusqu'ici. MASCARILLE Je le crois bien. Voudriez-vous, faquins, que j'exposasse l'embonpoint de mes plumes aux inclémences de la saison pluvieuse, et que j'allasse imprimer mes souliers en boue ? Allez, ôter votre chaise d'ici. deuxième porteur Payez-nous donc, s'il vous plaît, Monsieur. MASCARILLE Hem ? deuxième porteur Je dis, Monsieur, que vous nous donniez de l'argent, s'il vous plaît. MASCARILLE ( Lui donnant un soufflet.) Comment, coquin, demander de l'argent à une personne de ma qualité ! deuxième porteur Est-ce ainsi qu'on paye les pauvres gens ? et votre qualité nous donne-t-elle à dîner ? MASCARILLE Ah ! ah ! ah ! je vous apprendrai à vous connoître ! Ces canailles-là s'osent jouer de moi. Premier porteur ( Prenant un des bâtons de sa chaise.) a ! payez-nous vitement ! MASCARILLE Quoi ? Premier porteur Je dis que je veux avoir de l'argent tout à l'heure. MASCARILLE Il est raisonnable. Premier porteur Vite donc. MASCARILLE Oui-da. Tu parles comme il faut, toi ; mais l'autre est un coquin qui ne sait ce qu'il dit. Tiens : es-tu content ? Premier porteur Non, je ne suis pas content : vous avez donné un soufflet à mon camarade, et...
MASCARILLE
MAROTTE, MASCARILLE
MAROTTE MASCARILLE Qu'elles ne se pressent point : je suis ici posté commodément pour attendre.
MAROTTE
MAGDELON, CATHOS, MASCARILLE, ALMANZOR
MASCARILLE ( Après avoir salué.) Mesdames, vous serez surprises, sans doute, de l'audace de ma visite ; mais votre réputation vous attire cette méchante affaire, et le mérite a pour moi des charmes si puissants, que je cours partout après lui. MAGDELON Si vous poursuivez le mérite, ce n'est pas sur nos terres que vous devez chasser. CATHOS Pour voir chez nous le mérite, il a falu que vous l'y ayez amené. MASCARILLE Ah ! je m'inscris en faux contre vos paroles. La renommée accuse juste en contant ce que vous valez ; et vous allez faire pic, repic et capot tout ce qu'il y a de galant dans Paris. MAGDELON Votre complaisance pousse un peu trop avant la libéralité de ses louanges ; et nous n'avons garde, ma cousine et moi, de donner de notre sérieux dans le doux de votre flatterie. CATHOS Ma chère, il faudroit faire donner des sièges. MAGDELON Holà, Almanzor ! ALMANZOR Madame. MAGDELON Vite, voiturez-vous ici les commodités de la conversation MASCARILLE Mais au moins, y a-t-il sûreté ici pour moi ? CATHOS Que craignez-vous ? MASCARILLE Quelque vol de mon cur, quelque assassinat de ma franchise. Je vois ici des yeux qui ont mine d'être de fort mauvais garçons, de faire insulte aux libertés, et de traiter une âme de Turc à More. Comment diable, d'abord qu'on les approche, ils se mettent sur leur garde meurtrière ? Ah ! par ma foi, je m'en défie, et je m'en vais gagner au pied, ou je veux caution bourgeoise qu'ils ne me feront point de mal. MAGDELON Ma chère, c'est le caractère enjoué.. CATHOS Je vois bien que c'est un Amilcar. MAGDELON Ne craignez rien : nos yeux n'ont point de mauvais desseins, et votre cur peut dormir en assurance sur leur prud'homie. CATHOS Mais de grâce, Monsieur, ne soyez pas inexorable à ce fauteuil qui vous tend les bras il y a un quart d'heure ; contentez un peu l'envie qu'il a de vous embrassser. MASCARILLE ( Après s'être peigné et avoir ajusté ses canons.) Eh bien, Mesdames, que dites-vous de Paris ? MAGDELON Hélas ! qu'en pourrions-nous dire ? Il faudroit être l'antipode de la raison, pour ne pas confesser que Paris est le grand bureau des merveilles, le centre du bon goût, du bel esprit et de la galanterie. MASCARILLE Pour moi, je tiens que hors de Paris, il n'y a point de salut pour les honnêtes gens. CATHOS C'est une vérité incontestable. MASCARILLE Il y fait un peu crotté ; mais nous avons la chaise. MAGDELON Il est vrai que la chaise est un retranchement merveilleux contre les insultes de la boue et du mauvais temps. MASCARILLE Vous recevez beaucoup de visites : quel bel esprit est des vôtres ? MAGDELON Hélas ! nous ne sommes pas encore connues ; mais nous sommes en passe de l'être, et nous avons une amie particulière qui nous a promis d'amener ici tous ces Messieurs du Recueil des pièces choisies. CATHOS Et certains autres qu'on nous a nommés aussi pour êre les arbitres souverins de belles choses. MASCARILLE C'est moi qui ferai votre affaire mieux que personne : ils me rendent tous visite ; et je puis dire que je ne me lève jamais sans une demi-douzaine de beaux esprits. MAGDELON Eh ! mon Dieu, nous vous serons obligées de la dernière obligation, si vous nous faites cette amitié ; car enfin il faut avoir la connoissance de tous ces Messieurs-là, si l'on veut être du beau monde. Ce sont ceux qui donnent le branle à la réputation dans Paris, et vous savez qu'il y en a tel dont il ne faut que la seule fréquentation pour vous donner bruit de connoisseuse, quand il n'y auroit rien autre chose que cela. Mais pour moi, ce que je considère particulièrement, c'est que, par le moyen de ces visites spirituelles, on est instruite de cent choses, qu'il faut savoir de nécessité, et qui sont de l'essence d'un bel esprit. On apprend par là chaque jour les petites nouvelles galantes, les jolis commerces de prose et de vers. On sait à point nommé : Un tel a composé la plus jolie pièce du monde sur un tel sujet ; une telle a fait des paroles sur un tel air ; celui-ci a fait un madrigal sur une jouissance ; celui-là a composé des stances sur une infidélité ; Monsieur un tel écrivit hier au soir un sixian à Mademoiselle une telle, dont elle lui a envoyé la réponse ce matin sur les huit heures ; un tel auteur a fait un tel dessein ; celui-là en est à la troisième partie de son roman ; cet autre met ses ouvrages sous la presse. C'est là qui vous fait valoir dans les compagnies ; et si l'on ignore ces choses, je ne donnerois pas un clou de tout l'esprit qu'on peut avoir. CATHOS En effet, je trouve que c'est renchérir sur le ridicule, qu'une personne se pique d'esprit et ne sache pas jusqu'au moindre petit quantrain qui se fait chaque jour ; et pour moi, j'aurois toutes les hontes du monde s'il falloit qu'on vînt à me demander si j'aurois vu quelque chose de nouveau que je n'aurois pas vu. MASCARILLE Il est vrai qu'il est honteux de n'avoir pas des premiers tout ce qui se fait ; mais ne vous mettez pas en peine : je veux établir chez vous une Académie de beaux esprits, et je vous promets qu'il ne se fera pas un bout de vers dans Paris que vous ne sachiez par cur avant tous les autres. Pour moi, tel que vous me voyez, je m'en escrime un peu quand je veux ; et vous verrez courir de ma façon, dans les belles ruelles de Paris, deux cents chansons, autant de sonnets, quatre cents épigrammes et plus de mille madrigaux, sans compter les énigmes et les portraits. MAGDELON Je vous avoue que je suis furieusement pour les portraits ; je ne vois rien de si galant que cela. MASCARILLE Les portraits sont difficiles, et demandent un esprit profond : vous en verrez de ma manière qui ne vous déplairont pas. CATHOS Pour moi, j'aime tellement les énigmes. MASCARILLE Cela exerce l'esprit, et j'en ai fait quatre encore ce matin, que je vous donnerai à deviner. MAGDELON Les madrigaux sont agréables, quand ils sont bien tournés. MASCARILLE C'est mon talent particulier ; et je travaille à mettre en madrigaux toute l'histoire romaine. MAGDELON Ah ! certes, cela sera du dernier beau. J'en retiens un exemplaire au moins, si vous le faites imprimer. MASCARILLE Je vous en promets à chacune un, et des mieux reliés. Cela est au-dessous de ma condition ; mais je le fais seulement pour donner à gagner aux libraires qui me persécutent. MAGDELON J'imagine que le plaisir est grand de se voir imprimé. MASCARILLE Sans doute. Mais à propos, il faut que je vous die un impromptu que je fis hier chez une duchesse de mes amies que je fus visiter ; car je suis diablement fort sur les impromptus. CATHOS L'impromptu est justement la pierre de touche de l'esprit. MASCARILLE Écoutez donc. MAGDELON Nous y sommes de toutes nos oreilles.
MASCARILLE CATHOS MASCARILLE Tout ce que je fais a l'air cavalier ; cela ne sent point le pédant. MAGDELON Il en est éloigné de plus de deux mille lieux. MASCARILLE Avez-vous remarqué ce commencement : Oh, oh ? Voilà qui est extraordinaire : oh, oh ! Comme un homme qui s'avise tout d'un coup : oh, oh ! La surprise : oh, oh ! MAGDELON Oui, je trouve ce oh, oh ! admirable. MASCARILLE Il semble que cela ne soit rien. CATHOS Ah ! mon Dieu, que dites-vous ? Ce sont là de ces sortes de choses qui ne se peuvent payer. MAGDELON Sans doute ; et j'aimerois mieux avoir fait ce oh, oh ! qu'un poème épique. MASCARILLE Tudieu ! vous avez le goût bon. MAGDELON Eh ! je ne l'ai pas tout à fait mauvais. MASCARILLE Mais n'admirez-vous pas aussi je n'y prenois pas garde ? Je n'y prenois pas garde, je ne m'apercevois pas de cela : façon de parler naturelle : je n'y prenois pas garde. Tandis que sans songer à mal, tandis qu'innocemment, sans malice, comme un pauvre mouton : je vous regarde, c'est-à-dire, je m'amuse à vous considérer, je vous observe, je vous contemple ; Votre oeil en tapinois... Que vous semble de ce mot tapinois ? n'est-il pas bien choisi ? CATHOS Tout à fait bien. MASCARILLE Tapinois, en cachette : il semble que ce soit un chat qui vienne de prendre une souris : tapinois. MAGDELON Il ne se peut rien de mieux.
MASCARILLE MAGDELON MASCARILLE Je veux vous dire l'air que j'ai fait dessus. CATHOS Vous avez appris la musique ? MASCARILLE Moi ? Point du tout. CATHOS Et comment donc cela se peut-il ? MASCARILLE Les gens de qualité savent tout sans avoir jamais rien appris. MAGDELON Assurément, ma chère.
MASCARILLE CATHOS MAGDELON Il y a de la chromatique la dedans.
MASCARILLE MAGDELON CATHOS Je n'ai encore rien vu de cette force-là. MASCARILLE Tout ce que je fais me vient naturellement, c'est sans étude. MAGDELON La nature vous a traité en vraie mère passionnée, et vous en êtes l'enfant gâté. MASCARILLE À quoi donc passez-vous le temps ? CATHOS À rien du tout. MAGDELON Nous avons été jusqu'ici dans un jeûne efroyable de divertissements. MASCARILLE Je m'offre à vous mener l'un de ces jours à la comédie, si vous voulez ; aussi bien on en doit jouer une nouvelle que je serai bien aise que nous voyions ensemble. MAGDELON Cela n'et pas de refus. MASCARILLE Mais je vous demande d'applaudir comme il faut, quand nous serons là ; car je me suis engagé de faire valoir la pièce, et l'auteur m'en est venu prier encore ce matin. C'est la coutume ici qu'à nous autres gens de condition les auteurs viennent lire leurs pièces nouvelles, pour nous engager à les trouver belles, et leur donner de la réputation ; et je vous laisse à penser si, quand nous disons quelque chose, le parterre ose nous contredire. Pour moi, j'y suis fort exact ; et quand j'ai promis à quelque poète, je crie toujours : Voilà qui est beau ! devant que les chandelles soient allumées. MAGDELON Ne m'en parlez point : c'est un admirable lieu que Paris ; il s'y passe cent choses tous les jours qu'on ignore dans les provinces, quelque spirituelle qu'on puisse être. CATHOS C'est assez : puisque nous sommes instruites, nous ferons notre devoir de nous écrier comme il faut sur tout ce qu'on dira. MASCARILLE Je ne sais pas si je me trompe, mais vous avez toute la mine d'avoir fait quelque comédie. MAGDELON Eh ! il pourroit être quelque chose de ce que vous dites. MASCARILLE Ah ! ma foi, il faudra que nous la voyions. Entre nous, j'en ai composé une que je veux faire représenter. CATHOS Hé, à quels comédiens la donnerez-vous ? MASCARILLE Belle demande ! Aux grand comédiens. Il n'y a qu'eux qui soient capables de faire valoir les choses ; les autres sont des ignorants qui récitent comme l'on parle ; ils ne savent pas faire ronfler les vers, et s'attarder au bel endroit : et le moyen de connoître où est le beau vers, si le comédien ne s'y arrête, et ne vous avertit par là qu'il faut faire le brouhaha ? CATHOS En effet, il y a manière de faire sentir aux auditeurs les beautés d'un ouvrage ; et les choses ne valent que ce que'on les fait valoir. MASCARILLE Que vous semble de ma petite-oie ? La trouvez-vous congruante à l'habit ? CATHOS Tout à fait. MASCARILLE Le ruban est bien choisi. MAGDELON Furieusement bien. C'est Perdrigeon tout pur. MASCARILLE Que dites-vous de mes canons ? MAGDELON Ils ont tout à fait bon air. MASCARILLE Je puis me vanter au moins qu'ils ont un grand quartier plus que tous ceux qu'on fait. MAGDELON Il faut avouer que je n'ai jamais vu porter si haut l'élégance de l'ajustement. MASCARILLE Attachez un peu sur ces gants la réflexion de votre odorat. MAGDELON Ils sentent terriblement bon. CATHOS Je n'ai jamais respiré une odeur mieux conditionnée. MASCARILLE Et celle-là ? MAGDELON Elle est tout à fait de qualité ; le sublime en est touché délicieusement. MASCARILLE Vous ne me dites rien de mes plumes : comment les trouvez-vous ? CATHOS Effroyablement belles. MASCARILLE Savez-vous que le brin me coûte un louis d'or ? Pour moi, j'ai cette manie de vouloir donner généralement sur tout ce qu'il y a de plus beau. MAGDELON Je vous assure que nous sympathisons vous et moi: j'ai une délicatesse furieuse pour tout ce que je porte ; et jusqu'à mes chaussettes, je ne puis rien souffrir qui ne soit de la bonne ouvrière. MASCARILLE ( S'écriant brusquement.) Ahi, ahi, ahi, doucement ! Dieu me damne, Mesdames, c'est fort mal en user ; j'ai à me plaindre de votre procédé ; cela n'est pas honnête. CATHOS Qu'est-ce donc ? Qu'avez-vous ? MASCARILLE Quoi ? toutes deux contre mon cur, en même temps ! m'attaquer à droit et à gauche ! Ah ! c'est contre le droit des gens ; la partie n'est pas égale ; et je m'en vais crier au meurtre. CATHOS Il faut avouer qu'il dit les choses d'une manière particulière. MAGDELON Il a un tour admirable dans l'esprit. CATHOS Vous avez plus de peur que de mal, et votre cur crie avant qu'on l'écorche.
MASCARILLE
MAROTTE, MASCARILLE, CATHOS, MAGDELON
MAROTTE Madame, on demande à vous voir. MAGDELON Qui ? MAROTTE Le vicomte de Jodelet. MASCARILLE Le vicomte de Jodelet ? MAROTTE Oui, monsieur. CATHOS Le connoissez-vous ? MASCARILLE C'est mon meilleur ami. MAGDELON Faites entrer vitement. MASCARILLE Il y a quelque temps que nous nous sommes vus, et je suis ravi de cette aventure.
CATHOS
JODELET, MASCARILLE, CATHOS, MAGDELON, MAROTTE
MASCARILLE Ah ! vicomte ! JODELET ( S'embrassant l'un l'autre.) Ah ! marquis ! MASCARILLE Que je suis aise de te rencontrer ! JODELET Que j'ai de joie de te voir ici ! MASCARILLE Baise-moi donc encore un peu, je te prie. MAGDELON Ma toute bonne, nous commençons d'être connues; voilà le beau monde qui prend le chemin de nous venir voir. MASCARILLE Mesdames, agréez que je vous présente ce gentilhomme-ci : sur ma parole, il est digne d'être connu de vous. JODELET Il est juste de venir vous rendre ce qu'on vous doit ; et vos attraits exigent leurs droits seigneuriaux sur toutes sortes de personnes. MAGDELON C'est pousser vos civilités jusqu'aux derniers confins de la flatterie. CATHOS Cette journée doit être marquée dans notre almanach comme une journée bienheureuse. MAGDELON Allons, petit garçon, faut-il toujours vous répéter les choses ? Voyez-vous pas qu'il faut le surcroît d'un fauteuil ? MASCARILLE Ne vous étonnez pas de voir le Vicomte de la sorte ; il ne fait que sortir d'une maladie qui lui a rendu le visage pâle comme vous le voyez. JODELET Ce sont fruits des veilles de la cour et des fatigues de la guerre. MASCARILLE Savez-vous, Mesdames, que vous voyez dans le Vicomte un des plus vaillants hommes du sciècle ? C'est un brave à trois poils. JODELET Vous ne m'en devez rien, Marquis ; et nous savons ce que vous savez faire aussi. MASCARILLE Il est vrai que nous nous sommes vus tous deux dans l'occasion. JODELET Et dans des lieux où il faisoit fort chaud. MASCARILLE ( Les regardant toutes deux.) Oui : mais non pas si chaud qu'ici. Hai, hai, hai ! JODELET Notre connoissance s'est faite à l'armée ; et la première fois que nous nous vîmes, il commandoit un régime de cavalerie sur les galères de Malte. MASCARILLE Il est vrai ; mais vous étiez pourtant dans l'emploi avant que j'y fusse ; et je me souviens que je n'étois que petit officier encore, que vous commandiez deux milles chevaux. JODELET La guerre est une belle chose ; mais, ma foi, la cour récompense bien mal aujourd'hui les gens de service comme nous. MASCARILLE C'est ce qui fait que je veux pendre l'épée au croc. CATHOS Pour moi, j'ai un furieux tendre pour les hommes d'épée. MAGDELON Je les aime aussi ; mais je veux que l'esprit assaisonne la bravoure. MASCARILLE Te souvient-il, Vicomte, de cette demi-lune que nous emportâmes sur les ennemis au siége d'Arras ? JODELET Que veux-tu dire avec ta demi-lune ? C'étoit bien une lune toute entière. MASCARILLE Je pense que tu as raison. JODELET Il m'en doit bien souvenir, ma foi : j'y fus blessé à la jambe d'un coup de grenade, dont je porte encore les marques. Tâtez un peu, de grâce, vous sentirez quelque coup, c'étoit là. CATHOS Il est vrai que la cicatrice est grande. MASCARILLE Donnez-moi un peu votre main, et tâtez celui-ci, là, justement au derrière de la tête : y êtes-vous ? MAGDELON Oui, je sens quelque chose. MASCARILLE C'est un coup de mousquet que je reçus la dernière campagne que j'ai faite. JODELET Voici un autre coup qui me perça de part en part à l'attaque de Gravelines. MASCARILLE ( Mettant la main sur le bouton de son haut-de-chausses.) Je vais vous montrer une furieuse plaie. MAGDELON Il n'est pas nécessaire : nous le croyons sans y regarder. MASCARILLE Ce sont des marques honorables qui font voir ce qu'ont est. CATHOS Nous ne doutons point de ce que vous êtes. MASCARILLE Vicomte, as-tu là ton carrosse ? JODELET Pourquoi ? MASCARILLE Nous mènerions promener ces Dames hors des portes, et leur donnerions un cadeau. MAGDELON Nous ne saurions sortir aujourd'hui. MASCARILLE Ayons donc les violons pour danser. JODELET Ma foi, c'est bien avisé. MAGDELON Pour cela, nous y consentons ; mais il faut donc quelque surcroît de compagnie. MASCARILLE Holà ! Champagne, Picard, Bourguignon, Casquaret, Basque, la Verdure, Lorrain, Provençal, la Violette ! Au diable soient tous ces laquais ! Je ne pense pas qu'il y ait gentilhomme en France plus mal servi que moi. Ces canailles me laissent toujours seul. MAGDELON Almanzor, dites aux gens de Monsieur qu'ils aillent querir des violons, et nous faites venir ces Messieurs et ces Dames d'ici près, pour peupler la solitude de notre bal. MASCARILLE Vicomte, que dis-tu de ces yeux ? JODELET Mais toi-même, Marquis, que t'en semble ? MASCARILLE Moi, je dis que nos libertés auront peine à sortir d'ici les braies nettes. Au moins, pour moi, je reçois d'étranges secousses, et mon cur ne tient plus qu'à un filet. MAGDELON Que tout ce qu'il dit est naturel ! Il tourne les choses le plus agréablement du monde. CATHOS Il est vrai qu'il fait une furieuse dépense en esprit. MASCARILLE Pour vous montrer que je suis véritable, je veux faire un impromptu là-dessus. CATHOS Eh ! je vous en conjure de toute la dévotion de mon cur : que nous ayons quelque chose qu'on ait fait pour nous. JODELET J'aurois envie d'en faire autant ; mais je me treuve un peu incommodé de la veine poétique, pour la quantité des saignées que j'y ai faites ces jours passés. MASCARILLE Que diable est cela ? Je fais toujours bien le premier vers ; mais j'ai peine à faire les autres. Ma foi, ceci est un peu trop pressé : je vous ferai un impromptu à loisir, que vous trouverez le plus beau du monde. JODELET Il a de l'esprit comme un démon. MAGDELON Et du galant, et du bien tourné. MASCARILLE Vicomte, dites-moi un peu, y a-t-il longtemps que tu n'as vu la Comtesse ? JODELET Il y a plus de trois semaines que je ne lui ai rendu visite. MASCARILLE Sais-tu bien que le Duc m'est venu voir ce matin, et m'a voulu mener à la campagne courir un cerf avec lui ?
MAGDELON
JODELET, MASCARILLE, CATHOS, MAGDELON, MAROTTE, LUCILLE
MAGDELON Mon Dieu, mes chères, nous vous demandons pardon. Ces Messieurs ont eu fantaisie de nous donner les âmes des pieds ; et nous vous avons envoyé querir pour remplir les vuides de notre assemblée. LUCILLE Vous nous avez obligés, sans doute. MASCARILLE Ce n'est ici qu'un bal à la hâte ; mais l'un de ces jours nous vous en donnerons un dans les formes. Les violons sont-ils venus ? ALMANZOR Oui, Monsieur ; ils sont ici. CATHOS Allons donc, mes chères, prenez place. MASCARILLE ( Dansant lui seul comme par prélude.) La, la, la, la, la, la, la, la. MAGDELON Il a tout à fait la taille élégante. CATHOS Et a la mine de danser proprement. MASCARILLE ( Ayant pris Magdelon.) Ma franchise va danser la courante aussi bien que mes pieds. En cadence, violons, en cadence. Oh ! Quels ignorants ! Il n'y a pas moyen de danser avec eux. Le diable vous emporte ! Ne sauriez-vous jouer en mesure ? La, la, la, la, la, la, la, la. Ferme, ô violons de village.
JODELET ( Dansant ensuite.)
DU CROISY, LA GRANGE, MASCARILLE
LA GRANGE MASCARILLE ( Se sentant battre.) Ahy ! ahy ! ahy ! vous ne m'aviez pas dit que les coups en seroient aussi. JODELET Ahy ! Ahy ! Ahy ! LA GRANGE C'est bien à vous, infâme que vous êtes, à vouloir faire l'homme d'importance.
DU CROISY
MASCARILLE, JODELET, CATHOS, MAGDELON
MAGDELON Que veut donc dire ceci ? JODELET C'est une gageure. CATHOS Quoi ! vous laisser battre de la sorte ! MASCARILLE Mon Dieu, je n'ai pas voulu faire semblant de rien ; car je suis violent, et je me serois emporté. MAGDELON Endurer un affront comme celui-là, en notre présence ! MASCARILLE Ce n'est rien : ne laissons pas d'achever. Nous nous connoissons il y a longtemps ; et entre amis, on ne va pas se piquer pour si peu de chose.
DU CROISY, LA GRANGE, MASCARILLE, JODELET, MAGDELON, CATHOS
LA GRANGE Ma foi, marauds, vous ne vous rirez pas de nous, je vous promets. Entrez, vous autres. MAGDELON Quelle est donc cette audace, de venir nous troubler de la sorte dans notre maison ? DU CROISY Comment, Mesdames, nous endurerons que nos laquais soient mieux reçus que nous ? qu'ils viennent vous faire l'amour à nos dépens, et vous donnent le bal ? MAGDELON Vos laquais ? LA GRANGE Oui, nos laquais : et cela n'est ni beau ni honnête de se servir de nos habits pour vous donner dans la vue ; et si vous les voulez aimer, ce sera, ma foi, pour leurs beaux yeux. Vite, qu'on les dépouille sur-le-champs. JODELET Adieu notre braverie. MASCARILLE Voilà le marquisat et la vicomté à bas. DU CROISY Ha ! Ha ! Coquins, vous avez l'audace d'aller sur nos brisées ! Vous irez chercher autre part de quoi vous rendre agréables aux yeux de vos belles, je vous en assure. LA GRANGE C'est trop que de nous supplanter, et de nous supplanter avec nos propres habits. MASCARILLE Ô Fortune, quelle est ton inconstance. DU CROISY Vite, qu'on leur ôte jusqu'à la moindre chose. LA GRANGE Qu'on emporte toutes ces hardes, dépêchez. Maintenant, Mesdames, en l'état qu'ils sont, vous pouvez continuer vos amours avec eux tant qu'il vous plaira ; nous vous laissons toute sorte de liberté pour cela, et nous vous protestons, Monsieur et moi, que nous n'en serons aucunement jaloux. CATHOS Ah ! quelle confusion ! MAGDELON Je crève de dépit. Violons ( Au Marquis.) Qu'est-ce donc ceci ? Qui nous payera, nous autres ? MASCARILLE Demandez à Monsieur le Vicomte. Violons ( Au Vicomte.) Qui est-ce qui nous donnera de l'argent ? JODELET Demandez à Monsieur le Marquis.
GORGIBUS, MASCARILLE, MAGDELON
GORGIBUS Ah ! coquines que vous êtes, vous nous mettez dans de beaux draps blancs, à ce que je vois ! et je viens d'apprendre de belles affaires, vraiment, de ces Messieurs qui sortent ! MAGDELON Ah ! mon père, c'est une pièce sanglante qu'ils nous ont faite. GORGIBUS Oui, c'est une pièce sanglante, mais qui est un effet de votre impertinence, infâmes ! Ils se sont ressentis du traitement que vous leur avez fait ; et cependant, malheureux que je suis, il faut que je boive l'affront. MAGDELON Ah ! je jure que nous en serons vengés, ou que je mourrai en la peine. Et vous, marauds, osez-vous vous tenir ici après votre insolence ?
MASCARILLE
GORGIBUS, MAGDELON, CATHOS, VIOLONS
Violons Monsieur, nous entendons que vous nous contentiez à leur défaut pour ce que nous avons joué ici. GORGIBUS ( Les battant.) Oui, oui, je vais vous contenter, et voici la monnoie dont je veux vous payer. Et vous, pendardes, je ne sais qui me tient que je ne vous en fasse autant. Nous allons servir de fable et de risée à tout le monde, et voilà ce que vous vous êtes attiré par vos extravagances. Allez vous cacher, vilaines ; allez vous cacher pour jamais. Et vous, qui êtes cause de leur folie, sottes billevesées, pernicieux amusements des esprits oisifs, romans, vers, chansons, sonets, et sonnettes, puissiez-vous être à tous les diables ! |
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D.R. BELAIR
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