DU VAGABONDAGE
ET DE LA TRANSPORTATION
PAR
Alfred LAGRÉSILLE
Substitut du Procureur
de la République à Remiremont
Docteur en droit
1881
« Le droit
pénal est la chose du monde qu'il importe le plus aux hommes de savoir.
»
Montesquieu, Esprit
des lois, 1.6, ch. 2.
CHAPITRE I
Caractère particulier
du délit de vagabondage.
Faute commise par le vagabond contre l'ordre social.
Danger que présente son mode d'existence,
Nécessité de la répression
« Le vagabondage
est un délit »,
ainsi s'exprime l'article 269 du
Code pénal.
Cet article, placé au commencement
du chapitre consacré au vagabondage, n'est-il pas inutile et singulier
? Nul autre exemple d'une semblable déclaration ne se trouve dans la loi
pénale.
Elle ne qualifie pas de délictueux les faits qu'elle punit parce que, atteintes
à la propriété, violences envers les personnes, outrages
aux pouvoirs sociaux, attaques contre la paix publique, ce sont évidemment
des actions immorales, infamantes, nuisibles ; leur caractère mauvais et
la nécessité de les réprimer apparaissent clairement.
ll n'en est pas ainsi du vagabondage : tant qu'il n'est pas accompagné
d'un autre délit, il ne blesse aucun droit privé, il ne fait tort
à aucun particulier, il n'attente ni à la puissance
ni à la sûreté publique. Il n'est pas une action déterminée
commise méchamment. ll est un mode général, d'existence,
un état où l'individu est jeté par certaines circonstances
auxquelles, il ne sait pas se soustraire ou bien qu'il embrasse volontairement,
suivant son penchant naturel. Ne semble-t-il pas qu'il soit libre de choisir ce
genre de vie aussi bien que tout autre ? Que le vagabond, en refusant de se fixer
et de se livrer à une occupation suivie, ne fasse qu'user du droit
de séjourner où bon lui semble et de faire ce qui lui plaît
que chacun peut exercer, à la condition de ne pas léser le
droit d'autrui ?
Pourquoi, dès lors, la société
le punit-elle ? Pour établir ici la raison et la nécessité
de la répression, il faut rechercher des considérations moins simples.
La peine a surtout pour principe
et jour but de maintenir le contrat social, de le défendre en frappant
ceux qui refusent de s'y soumettre, d'assurer ainsi la sécurité
de tous par la conservation de l'ordre accepté et établi. Or toute
société constituée, comme une troupe organisée, est
composée d'hommes ayant chacun sa place et ses devoirs. Une situation de
famille, créée par le mariage, lui procurant une compagnie, une
parenté, des affections ;
un établissement, une habitation, lieu de son séjour habituel
qui lui constitue des relations d'amitié et de voisinage, et lui fait éprouver
le désir de conserver l'estime de ceux dont il est connu ;
un travail, un emploi de ses facultés, ou du moins une fortune acquise
ou quelques ressources qui sont son apport au fonds commun en échange de
ce qu'il en consomme : telles sont les conditions nécessaires dans lesquelles
vit tout individu.
Le vagabond prétend se soustraire
à toutes ces conditions ; il n'a pas de famille ou ne se soucie pas
d'elle, il n'a point de demeure, il mène une vie errante et oisive sans
demander sa subsistance, ni au travail ni à aucunes ressources connues.
Il est rebelle à la discipline sociale. La société
a le droit de la rétablir, en punissant l'auteur de cette infraction. Elle
a le droit d'exiger que les individus qu'elle admet dans son sein se soumettent
à son organisation, des avantages de laquelle ils profitent.
Le juge ne dit pas au vagabond :
« Vous avez fait cela
que vous n'aviez pas le droit, de faire. Mais il lui dit : La loi du travail étant
imposée à l'humanité, si vous viviez dans l'état
de nature, vous ne pourriez trouver vos moyens de subsistance que dans les produits
de votre travail personnel. Vous vivez dans un état de société
où chacun peut consommer les fruits du travail d'autrui, mais à
condition d'apporter au fonds commun l'équivalent de ce qu'il en retire.
Nous voyons bien ce que vous enlevez au fonds commun, puisque vous vivez, c'est-à-dire,
puisque vous êtes nourri, vêtu, logé, mais nous ne voyons pas
ce que vous lui apportez. Faites-nous le connaître, ou nous serons fondés
à croire que vous vivez sans travailler, aux dépens de ceux
qui travaillent, et comme, alors, vous ne remplissez pas les conditions inhérentes
à l'état de l'homme en société, la société
doit vous :rejeter de son sein. »
Homberg, De la répression
du vagabondage.
La classe des vagabonds est, d'autre
part, un élément éminemment dangereux, menaçant la
tranquillité et la propriété des habitants, inspirant à
juste titre, l'inquiétude et la crainte.
Comment peuvent-ils vivre ?
La nécessité, les
besoins qu'ils ne satisfont pas par des moyens avouables, les forcent de recourir
d'abord à la mendicité et à la rapine. Puis ils contractent
dans le genre d'existence qu'ils mènent, en dehors de toute influence morale,
des habitudes et des moeurs vicieuses, et les circonstances les poussent aux délits
plus graves ou au crime. Étant ainsi plus exposés à
commettre, des actes punissables, il leur est plus facile en même temps,
par leurs déplacements continuels, de dérober la trace de leurs
pas et d'échapper aux recherches et à l'action de la justice.
Rôdant dans les campagnes, ils pénètrent dans les habitations,
pendant l'absence des propriétaires, s'emparant de ce qu'ils peuvent trouver
et disparaissent aussitôt ; ou bien ils obtiennent l'hospitalité
et échappent nuitamment en enlevant les effets qui leur conviennent ; c'est
à ces individus qui ne laissent ni leur nom ni aucune indication
sur le lieu où ils pourraient être trouvés, sauf, quelquefois,
un signalement vague, qu'il faut attribuer la plupart de ces vols nombreux dont
les auteurs demeurent inconnus.
A ce double point de vue, pour la
faute qu'il commet contre l'ordre social et en raison du caractère suspect
que présente son mode d'existence, le vagabond mérite d'être
l'objet de mesures répressives.
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