LES FABLES DE JEAN DE LA FONTAINE
LE MARCHAND, LE GENTILHOMME, LE PÂTRE ET LE FILS DU ROI Quatre chercheurs de nouveaux mondes, Presque nus échappés à la fureur des ondes, Un Trafiquant, un Noble, un Pâtre, un Fils de Roi, Réduits au sort de Bélisaire, Demandaient aux passants de quoi Pouvoir soulager leur misère. De raconter quel sort les avait assemblés, Quoique sous divers points tous quatre ils fussent nés, C'est un récit de longue haleine. Ils s'assirent enfin au bord d'une fontaine. Là le conseil se tint entre les pauvres gens. Le prince s'étendit sur le malheur des grands. Le Pâtre fut d'avis qu'éloignant la pensée De leur aventure passée, Chacun fit de son mieux et s'appliquât au soin De pourvoir au commun besoin. La plainte, ajouta-t-il, guérit-elle son homme ? Travaillons ! c'est de quoi nous mener jusqu'à Rome. Un Pâtre ainsi parler ! Ainsi parler ; croit-on Que le Ciel n'ait donné qu'aux têtes couronnées De l'esprit et de la raison, Et que de tout berger, comme de tout mouton, Les connaissances soient bornées ? L'avis de celui-ci fut d'abord trouvé bon Par les trois échoués au bord de l'Amérique. L'un ( c'était le Marchand ) savait l'arithmétique : A tant par mois, dit-il, j'en donnerai leçon. - J'enseignerai la politique, Reprit le Fils de roi. Le Noble poursuivit : Moi, je sais le blason ; j'en veux tenir école : Comme si devers l'Inde, on eût eu dans l'esprit La sotte vanité de ce jargon frivole. Le Pâtre dit : Amis, vous parlez bien ; mais quoi ! Le mois a trente jours ; jusqu'à cette échéance Jeûnerons-nous, par votre foi ? Vous me donnez une espérance Belle, mais éloignée ; et cependant j'ai faim. Qui pourvoira de nous au dîner de demain ? Ou plutôt sur quelle assurance Fondez-vous, dites-moi, le souper d'aujourd'hui ? Avant tout autre, c'est celui Dont il s'agit : votre science Est courte là-dessus : ma main y suppléera. A ces mots, le Pâtre s'en va Dans un bois : il y fit des fagots dont la vente Pendant cette journée et pendant la suivante, Empêcha qu'un long jeûne à la fin ne fit tant Qu'ils allassent là-bas exercer leur talent. Je conclus de cette aventure Qu'il ne faut pas tant d'art pour conserver ses jours, Et grâce aux dons de la nature, La main est le plus sûr et le plus prompt secours.
|
|
BELAIR DICTIONARIES - DICTIONNAIRES BELAIR - DICCIONARIOS BELAIR - DIZIONARIOS BELAIR
D.R. BELAIR
Scientific & Technical writer
url : http://www.dr-belair.com e-mail : webmaster@dr-belair.com