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LES FABLES DE JEAN DE LA FONTAINE


 

LE MARI, LA FEMME ET LE VOLEUR

Un Mari fort amoureux,

Fort amoureux de sa Femme,

Bien qu'il fût jouissant, se croyait malheureux.

Jamais oeillade de la Dame,

Propos flatteur et gracieux,

Mot d'amitié, ni doux sourire,

Déifiant le pauvre Sire,

N'avaient fait soupçonner qu'il fût vraiment chéri.

Je le crois, c'était un mari.

Il ne tint point à l'hyménée

Que content de sa destinée

Il n'en remerciât les Dieux ;

Mais quoi ? Si l'amour n'assaisonne

Les plaisirs que l'hymen nous donne,

Je ne vois pas qu'on en soit mieux.

Notre épouse étant donc de la sorte bâtie,

Et n'ayant caressé son mari de sa vie,

Il en faisait sa plainte une nuit. Un voleur

Interrompit la doléance.

La pauvre femme eut si grand'peur

Qu'elle chercha quelque assurance

Entre les bras de son époux.

Ami Voleur, dit-il, sans toi ce bien si doux

Me serait inconnu. Prends donc en récompense

Tout ce qui peut chez nous être à ta bienséance ;

Prends le logis aussi. Les voleurs ne sont pas

Gens honteux, ni fort délicats :

Celui-ci fit sa main. J'infère de ce conte

Que la plus forte passion

C'est la peur : elle fait vaincre l'aversion,

Et l'amour quelquefois ; quelquefois il la dompte ;

J'en ai pour preuve cet amant

Qui brûla sa maison pour embrasser sa Dame,

L'emportant à travers la flamme.

J'aime assez cet emportement ;

Le conte m'en a plu toujours infiniment :

Il est bien d'une âme Espagnole,

Et plus grande encore que folle.

 


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