LES FABLES DE JEAN DE LA FONTAINE
L'AVANTAGE DE LA SCIENCE Entre deux Bourgeois d'une Ville S'émut jadis un différend. L'un était pauvre, mais habile, L'autre riche, mais ignorant. Celui-ci sur son concurrent Voulait emporter l'avantage : Prétendait que tout homme sage Était tenu de l'honorer. C'était tout homme sot ; car pourquoi révérer Des biens dépourvus de mérite ? La raison m'en semble petite. Mon ami, disait-il souvent Au savant, Vous vous croyez considérable ; Mais, dites-moi, tenez-vous table ? Que sert à vos pareils de lire incessamment ? Ils sont toujours logés à la troisième chambre, Vêtus au mois de Juin comme au mois de Décembre, Ayant pour tout Laquais leur ombre seulement. La République a bien affaire De gens qui ne dépensent rien : Je ne sais d'homme nécessaire Que celui dont le luxe épand beaucoup de bien. Nous en usons, Dieu sait : notre plaisir occupe L'Artisan, le vendeur, celui qui fait la jupe, Et celle qui la porte, et vous, qui dédiez A Messieurs les gens de Finance De méchants livres bien payés. Ces mots remplis d'impertinence Eurent le sort qu'ils méritaient. L'homme lettré se tut, il avait trop à dire. La guerre le vengea bien mieux qu'une satire. Mars détruisit le lieu que nos gens habitaient. L'un et l'autre quitta sa Ville. L'ignorant resta sans asile ; Il reçut partout des mépris : L'autre reçut partout quelque faveur nouvelle : Cela décida leur querelle. Laissez dire les sots ; le savoir a son prix.
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D.R. BELAIR
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