LES FABLES DE JEAN DE LA FONTAINE
LES DEVINERESSES C'est souvent du hasard que naît l'opinion ; Et c'est l'opinion qui fait toujours la vogue. Je pourrais fonder ce prologue Sur gens de tous états ; tout est prévention, Cabale, entêtement, point ou peu de justice : C'est un torrent ; qu'y faire ? Il faut qu'il ait son cours. Cela fut et sera toujours. Une femme à Paris faisait la Pythonisse. On l'allait consulter sur chaque événement : Perdait-on un chiffon, avait-on un amant, Un mari vivant trop, au gré de son épouse, Une mère fâcheuse, une femme jalouse ; Chez la Devineuse on courait, Pour se faire annoncer ce que l'on désirait. Son fait consistait en adresse. Quelques termes de l'art, beaucoup de hardiesse, Du hasard quelquefois, tout cela concourait : Tout cela bien souvent faisait crier miracle. Enfin, quoique ignorante à vingt et trois carats, Elle passait pour un oracle. L'oracle était logé dedans un galetas. Là cette femme emplit sa bourse, Et sans avoir d'autre ressource, Gagne de quoi donner un rang à son mari : Elle achète un office, une maison aussi. Voilà le galetas rempli D''une nouvelle hôtesse, à qui toute la ville, Femmes, filles, valets, gros Messieurs, tout enfin, Allait comme autrefois demander son destin : Le galetas devint l'antre de la Sibylle. L'autre femelle avait achalandé ce lieu. Cette dernière femme eut beau faire, eut beau dire, Moi devine ! on se moque ; Eh Messieurs, sais-je lire ? Je n'ai jamais appris que ma croix de par-dieu. Point de raison ; fallut deviner et prédire, Mettre à part force bons ducats, Et gagner malgré soi plus que deux Avocats. Le meuble et l'équipage aidaient fort à la chose : Quatre sièges boiteux, un manche de balai, Tout sentait son sabbat et sa métamorphose : Quand cette femme aurait dit vrai Dans une chambre tapissée, On s'en serait moqué ; la vogue était passée Au galetas ; il avait le crédit : L'autre femme se morfondit. L'enseigne fait la chalandise. J'ai vu dans le Palais une robe mal mise Gagner gros : les gens l'avaient prise Pour maître tel, qui traînait après soi Force écoutants ; demandez-moi pourquoi.
|
|
BELAIR DICTIONARIES - DICTIONNAIRES BELAIR - DICCIONARIOS BELAIR - DIZIONARIOS BELAIR
D.R. BELAIR
Scientific & Technical writer
url : http://www.dr-belair.com e-mail : webmaster@dr-belair.com