LA LAITIÈRE
ET LE POT AU LAIT
Illustration de Gustave Doré (1832-1883)
Perrette sur sa tête
ayant un Pot au lait
Bien posé sur un coussinet,
Prétendait arriver sans encombre
à la ville.
Légère et court vêtue elle allait
à grands pas ;
Ayant mis ce jour-là, pour être
plus agile,
Cotillon simple, et souliers
plats.
Notre laitière ainsi troussée
Comptait déjà dans sa pensée
Tout le prix de son lait, en
employait l'argent,
Achetait un cent d'oeufs, faisait
triple couvée ;
La chose allait à bien par son
soin diligent.
Il m'est, disait-elle, facile,
D'élever des poulets autour
de ma maison :
Le Renard sera bien habile,
S'il ne m'en laisse assez pour
avoir un cochon.
Le porc à s'engraisser coûtera
peu de son ;
Il était quand je l'eus de grosseur
raisonnable :
J'aurai le revendant de l'argent
bel et bon.
Et qui m'empêchera de mettre
en notre étable,
Vu le prix dont il est, une
vache et son veau,
Que je verrai sauter au milieu
du troupeau ?
Perrette là-dessus saute aussi,
transportée.
Le lait tombe ; adieu veau,
vache, cochon, couvée ;
La dame de ces biens, quittant
d'un oeil marri
Sa fortune ainsi répandue,
Va s'excuser à son mari
En grand danger d'être battue.
Le récit en farce en fut fait
;
On l'appela le Pot au lait.
Quel esprit ne bat
la campagne ?
Qui ne fait châteaux en Espagne
?
Picrochole, Pyrrhus, la Laitière,
enfin tous,
Autant les sages que les fous
?
Chacun songe en veillant, il
n'est rien de plus doux :
Une flatteuse erreur emporte
alors nos âmes :
Tout le bien du monde est à
nous,
Tous les honneurs, toutes les
femmes.
Quand je suis seul, je fais
au plus brave un défi ;
Je m'écarte, je vais détrôner
le Sophi ;
On m'élit roi, mon peuple m'aime
;
Les diadèmes vont sur ma tête
pleuvant :
Quelque accident fait-il que
je rentre en moi-même ;
Je suis
gros Jean comme devant.
Illustration de Jean-Jacques Grandville (1803-1847)
Illustration de Moreau le Jeune (1741-1814)
Illustrator: Frederick Colin Tilney
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