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ÊPÎTRE

SUR

LA PARESSE

 

A M. DE . . .

 

1736

 

Censeur de ma chère Paresse
Pourquoi viens-tu me réveiller
Au sein de l'aimable ; mollesse
Où j'aime tant à sommeiller ?
Laisse-moi, Philosophe austère
Goûter voluptueusement
Le doux plaisir de ne rien faire
Et de penser tranquillement.

Sur l'Hélicon tu me rappelles ;
Mais ta Muse en vain me promet
Le secours constant de ses ailes,
Pour m'élever à son sommet.
Mon, esprit amoureux des chaînes
Que lui présente le repos,
Frémit des veilles, et des peines
Qui suivent le Dieu de Délos.
Veux-tu qu'héritier de la plume
Des Malherbes, et des Rousseaux
Dans mes Vers pompeux je rallume
Le feu qui sort de leurs pinceaux ?
Ce n'est point à l'humble Colombe
A suivre l'Aigle dans les Cieux :
Sous les grands travaux je succombe
Les jeux, et les ris sont mes Dieux.
Peut-être, d'une voix légère,
Entre l'Amour, et les Buveurs,
J'auroìs pû vanter à Glycére
Et mes larcins, et ses saveurs :

Mais la Farré, la Sablière
Ont cueilli les plus belles fleurs ;
Et n'ont laissé dans leur carriére,
Que des Narcisses sans couleurs.
Pour éterniser la mémoire,
On perd les momens les plus doux :
Pourquoi chercher si loin la gloire ?
Le plaisir est si près de nous.
Dites-moi, mânes des Corneilles,
Vous, qui par des Vers immortels,
Des Dieux égalez les merveilles,
Et leur disputez des Autels ;
Cette couronne toujours verte
Qui pare vos fronts triomphans,
Vous venge-t-elle de la perte
De vos amours, de vos beaux ans ?
Non, vos chants, triste Melpoméne,
Ne troubleront point mes loisirs ;
La gloire vaut-elle la peine
Que j'abandonne les plaisirs ?

Ce n'est pas que froid Quiétiste,
Mes yeux fermés:par le repos,
Languissent dans une nuit triste,
Qui n'a pour fleurs que des Pavots :
Occupé de rians mensonges,
L'Amour interrompt mon sommeil :
Je passe de songes en songes,
Du repos je vole au réveil ;
Quelquefois pour Éléonore,
Oubliant son oisiveté,
Ma jeûne Muse touche encore
Un Luth que l'Amour a monté ;
Mais elle abandonne la Lyre
Dès qu'elle est prête à se lasser ;
Car, enfin, que sert-il d'éçrire ?
N'est-ce point assez de penser ?

 

François-Joachim de Pierres, cardinal de Bernis (1715-1794)

 


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