LE VIEUX VAGABOND
par
Pierre Jean de
Béranger
1833
Dans ce fossé cessons
de vivre,
Je finis vieux, infirme et las.
Les passants vont dire : il est ivre!
Tant mieux : Ils ne me plaindront pas.
J'en vois qui détournent la tête ;
D'autres me jettent quelques sous.
Courez vite ; allez à la fête,
Vieux vagabond, je puis mourir sans vous.
Oui, je meurs ici
de vieillesse,
Parce qu'on ne meurt pas de faim.
J'espérais voir de ma détresse
L'hôpital adoucir la fin.
Mais tout est plein dans chaque hospice,
Tant le peuple est infortuné.
La rue, hélas! fut ma nourrice :
Vieux vagabond, mourons où je suis né.
Aux artisans, dans
mon jeune âge,
J'ai dit : qu'on m'enseigne un métier.
Va, nous n'avons pas trop d'ouvrage,
Répondaient-ils ; va mendier.
Riches qui me disiez : Travaille,
J'eus bien des os de vos repas ;
J'ai bien dormi sur votre paille :
Vieux vagabond, je ne vous maudis pas.
J'aurais pu voler,
moi pauvre homme ;
Mais non : mieux vant tender la main :
Au plus, j'ai dérobé la pomme
Qui mûrit au bord du chemin.
Vingt fois pourtant on me verrouille
Dans les cachots, de par le roi.
De mon seul bien l'on me dépouille :
Vieux vagabond, le soleil est à moi.
La pauvre a-t-il
une patrie ?
Que me font vos vins et vos blés,
Votre gloire et votre industrie,
Et vos orateurs assemblés ?
Dans vos murs ouverts à ses armes,
Lorsque l'étranger s'engraissait,
Comme un sot j'ai versé des larmes :
Vieux vagabond, sa main me nourrissait.
Comme un insecte,
fait pour nuire,
Hommes, que ne m'écrasiez vous ?
Ah! plutôt deviez m'instruire
A travailler au bien de tous.
Mis à l'abri du vent contraire
Le ver fût devenu fourmi ;
Je vous aurais chéris en frère :
Vieux vagabond, je meurs votre ennemi.
Pierre Jean de Béranger (1780-1857).
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