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BIOGRAPHIE DE SAINT-SIMON

Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon (1675-1755).

 

Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon (1675-1755).

Né en 1675 d'une famille noble et ancienne, (Je suis né la nuit du 15 au 16 janvier 1675, de Claude, duc de Saint-Simon, pair de France, et de sa seconde femme Charlotte de L'Aubépine, unique de ce lit., Mémoires, tome I, chap. I) se distingua d'abord dans les armes aux batailles de Fleurus et de Nerwinde, quitta le service avec le grade de maître-de-camp, succéda à son père dans le gouvernement de Blaye et dans ses titres de duc et pair, et se voua à la diplomatie, il entra à la cour à la fin du règne de Louis XIV (1638-1715), s'attacha au duc de Bourgogne (1682-1712), et, après la mort de ce prince, au duc d'Orléans (1674-1723), qui l'appela au conseil de régence, devint l'âme du parti de la cour contre les parlements, et fut envoyé en Espagne (1721) pour y négocier le mariage de Louis XV (1710-1774) avec l'infante, et d'une fille du régent avec un prince espagnol ; il perdit beaucoup de son crédit après la mort du régent, et se retira dans ses terres, où il s'occupa de rédiger ses Mémoires : il mourut en 1755.

Saint-Simon passait pour le seigneur le plus accompli de la cour. Ses Mémoires renferment les renseignements les plus intéressants et les plus détaillés sur la cour de Louis XIV, sur la régence et le règne de Louis XV ; ils sont rédigés avec une aisance et une originalité qui placent l'auteur au premier rang des écrivains de ce genre.

On n'en a eu longtemps que des éditions tronquées : le marquis de Saint-Simon, petit-fils de l'auteur, en a donné la 1ére édition authentique, Paris, 1829-31, 21 v. in-8; elle a été reproduite et complétée d'après les manuscrits par M. Chéruel, 1856, 20 v. in-8.

Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon

SUR SAINT-SIMON

PAR

CHARLES SIMOND

L'HOMME

Un petit bout d'homme d'apparence débile, tenant tête au Grand-Roi, un noble faisant des procès à tout le monde pour des questions de préséance et d'étiquette, ne voyant dans la nation qne la noblesse et dans la noblesse que la pairie parce qu'il était noble et pair lui-même, un représentant de la fierté féodale dans une cour de marquis assagis : tel nous apparaît le duc Louis de Saint-Simon. Pour soutenir ses orgueilleuses prétentions, il s'appuyait sur la haute antiquité de sa famille : les Rouvroy Saint-Simon, extraits du sang impérial par les comtes de Vermandois, prétendaient descendre de Charlemagne.

Henri de Rouvroy, dit un généalogiste du XVIIIe siècle, avait suivi Philippe-Auguste à la conquête de la Normandie en 1202. Quatre autres avaient été vice-rois de Navarre. C'est vers 1334 qu'un Mathieu de Rouvroy avait épousé l'héritière de la maison de Saint-Simon, à charge d'en porter le nom et les armoiries.

Les mauvaises langues prétendaient bien à Versailles qu'il y avait là exagération manifeste, que les de Saint-Simon étaient au contraire de noblesse bien mince et que seules les bontés de Louis XIII légitimaient une semblable outrecuidance.

Force est de reconnaître que si ce monarque ne créa pas la noblesse des Saint-Simon, il les tira de l'obscurité. Claude de Vermandois, le père de l'écrivain, écuyer de Louis XIII, se trouva un beau matin, par faveur royale, duc et pair de France. C'était une belle récompense pour un homme qui n'avait su que présenter des chevaux avec grâce et se piquer d'exactitude ! Encore était-ce une raison pour reprocher à la noblesse des Saint-Simon de sentir le crottin !

D'ailleurs ni cet écuyer ni son fils ne furent des ingrats : la vénération de Louis XIII était dans la famille une sorte de rite et le « roi des gentilshommes », si supérieur, on s'en doute ! à Louis XIV, « le roi des marchands », devint une sorte de Dieu lare devant la statue duquel une lampe brûlait toute l'année.

Quand il mourut, Claude de Vermandois, duc et pair, gouverneur de Blaye, auquel il ajouta encore Senlis par décès de son frère aîné, joua au conspirateur et fronda Mazarin. A grand'peine il rentra à la cour où, veuf de soixante-trois ans, il épousa bravement une jeune fille qui en avait dix-neuf, Charlotte de l'Aubespine (1672). Trois années plus tard, lui naquit un fils, Louis de Saint-Simon, l'auteur des Mémoires (1675), qui eut pour parrain et marraine Louis XIII et Marie-Thérèse. Saint-Simon était déjà quelqu'un !

Au contraire de tant de jeunes nobles de l'époque, qui souvent apprenaient des valets à faire la révérence et n'avaient pour éducateur que leur portier, Saint-Simon fut élevé avec soin par son père et par sa mère aidés d'un gouverneur, gentilhomme de mérite. Il eut peu de goût pour les langues anciennes mais pourtant sut assez de latin pour le parler ; il sut aussi l'allemand, chose fort rare à l'époque ! En revanche, son penchant pour l'histoire se manifesta de bonne heure et il lut tout ce qui en ce genre lui tomba sous la main. Mais les longs entretiens de messire Claude de Vermandois sur les qualités et vertus du défunt roi, sur les privilèges éternels, apanages des vieilles maisons, sur les difficultés arides de la science de l'étiquette, formèrent surtout son esprit sinon son coeur.

Aussi, quand, à seize ans, Louis de Saint-Simon fut présenté à Louis XI V et reçu dans les mousquetaires gris, commença-t-il cette sévère critique du roi, du gouvernement et de la cour qui devait être la seule passion de sa vie.

Ce n'était pas tant l'admirable lettre de Fénelon sur la détresse du peuple qui « périssait au bruit des Te Deum » ou la regrettable préférence de Louis XIV pour Tallard, Marsain et Villeroy qui remplissait son âme d'amertume. Non, ce qui excitait sa bile, c'était l'origine du duc de Vendôme, troisième fils de Gabrielle d'Estrées et de Henri IV, la petite noblesse de Villars, et les faveurs accordées aux bâtards du grand roi, les fils de Mme de Montespan : le duc du Maine était grand maître de l'artillerie, le comte de Toulouse grand amiral de France ; la princesse de Conti, la duchesse de Bourbon, Mlle de Blois avaient contracté de hautes alliances. Il en était autrement à la cour de Louis XIII où les gentilhommes de race, les Saint-Simon par exemple, n'étaient pas exposés à se frotter à tous ces « champignons de fortune ». L'armée elle-même où il avait espéré briller ne fut pour lui qu'une cause de déceptions. Au bon temps, le noble amenait ses hommes au roi, et en était le maître ; maintenant la permission du roi était nécessaire pour devenir colonel et s'acheter un régiment. Encore fallait-il compter avec l'ordre du tableau, démoniaque invention de Louvois. L'avancement à l'ancienneté, bon pour les gens de peu, ne pouvait convenir aux nobles « naturellement faits pour commander aux autres ».

Alors Saint-Simon, désillusionné, se replie en lui-même dès le siège de Namur auquel il assiste et commence à rédiger les premières notes de ses Mémoires au bruit du canon de la bataille de Nerwinden (1693). La paix de Ryswick lui porta un coup au coeur : son régiment fut licencié. Furieux, Saint-Simon démissionne : Louis XIV n'aimait pas les seigneurs « fortes têtes » et lui garda rancune. De là, commence ce long duel entre le Maître et le Serviteur. Chaque soir, Saint-Simon, réduit à l'impuissance, allait chercher dans la littérature un endroit où déverser sa bile.

Déjà il s'était signalé dans un procès de préséance engagé par quelques ducs contre le maréchal de Luxembourg. Or, ce procès, il l'avait perdu et s'était attiré cette juste remarque du roi, à savoir que M. de Saint-Simon ne s'occupait que de rangs et de préséance et cherchait querelle à tout le monde.

Déçu dans ses ambitions, en guerre sourde avec Louis XIV et la Cour, aigri par des échecs, il espéra trouver, après la mort de son père, une compensation dans un ambitieux mariage et jeta les yeux sur une fille du duc de Beauvilliers, Celle qui devait être duchesse de Saint-Simon devait aux avantages de l'esprit joindre un grand nom et une haute situation à la cour. Mais les deux filles du duc de Beauvilliers préférèrent toutes deux le couvent au mariage. Il se décida alors pour Mlle de Lorges, fille du maréchal : jamais, au témoignage de Saint-Simon lui-même, union ne jut plus heureuse que la leur. Il ne tarit pas dans ses Mémoires d'éloges sur les qualités et les vertus de la duchesse. Elle mourut onze ans avant lui et ce long veuvage affaiblit si peu ses sentiments envers elle qu'il demanda dans son testament que leurs cercueils fussent étroitement réunis dans le tombeau. La populace qui, en 1794, profana leur sépulture, jeta à la fosse commune leurs cendres mêlées. Le voeu de Saint-Simon se trouva une fois de plus accompli.

Saint-Simon, comme tous les nobles du temps, avait une ambition : habiter le château de Versailles, vivre de la vie du roi, car c'était un trait bien caractéristique du siècle que cet homme, mal vu du roi, ait passé quinze années auprès de lui, uniquement parce que son titre de duc et pair le forçait à vivre là.

Pour commencer, il va loger dans un petit hôlel de l'avenue de Saint-Cloud et ce ne fut que lorsque sa femme fut devenue dame d'honneur de la duchesse de Berry (1710) qu'il obtient, au château, deux petites pièces obscures et mansardées. Sa vie, comme celle de tous les nobles à Versailles, est monotone ; chaque jour, c'est la répétition du même programme : au matin, il faut être là pour le lever du roi, puis vient la messe et à deux heures le dîner suivi d'une promenade dans les jardins et deux fois par semaine d'une chasse à courre. La nuit venue, les galeries s'éclairent, on danse, car le roi exige que l'on soit gai ; on joue, cause de ruine générale ; à dix heures le roi soupe, et le contempler pendant qu'il mange est une joie réservée aux courtisans du plus grand monarque de l'Europe. Quant à l'honneur de porter son chandelier, on se le dispute et ne l'obtient pas qui le désire.

Nous avons déjà parlé des motifs de mécontentement entre le roi et Saint-Simon. Ajoutons que ce dernier ne pliant l'échine que juste ce qu'il fallait, ne sachant tenir sa langue, ne dansait ni ne jouait. A quoi employait-il son temps ? Que faisait-il si souvent enfermé dans son cabinet ? Saint-Simon ne s'étant ouvert à personne sur ses Mémoires, les plus méchants s'imaginaient un tas de choses qu'on s'arrangeait pour faire parvenir aux oreilles du roi. Saint-Simon, presque considéré comme chef du parti des mécontents, était condamné à végéter. Heureusement pour lui, l'amitié de M. de Beauvilliers lui valut les bonnes grâces du duc de Bourgogne.

Cette liaison fut de courte durée : on sait la mort foudroyante, du petit-fils de Louis XIV, et de sa femme. (Ils moururent à six jours d'intervalle de la rougeole entre le 12 et le 18 février 1712). Saint-Simon crut tout perdu et c'est un cri de désespoir qu'il pousse.

Mais un mariage dont il s'occupe va faire de lui un personnage important : le duc d'Orléans, marié à Mlle de Blois, fille naturelle de Louis XIV, prêtait par ses débauches aux pires critiques. Saint-Simon le relève moralement en le forçant à reprendre une vie régulière et, malgré une vive opposition, réussit à unir sa fille aînée avec le duc de Berry (1710).

Louis XIV mort (1714), le duc d'Orléans devenu Régent, Saint-Simon entre au conseil. Il espérait y jouer un grand rôle. Il n'en eut qu'un tout petit. Saint-Simon, très entêté pour les petites choses et très irrésolu pour les grandes, n'avait pas en lui l'étoffe d'un homme d'État. Les poches bourrées de plans de réformes, il s'effrayait de leurs conséquences. C'est ainsi que lui, qui s'était élevé contre la Révocation de l'Édit de Nantes, souleva devant le Régent mille objections quand celui-ci parla de rappeler les huguenots.

Tout son rôle politique se réduisit à conduire en 1721 l'ambassade chargée de demander au roi d'Espagne la main de sa fille. C'était là fonction purement honorifique, tout étant déjà réglé à son départ.

Pendant six mois, Saint-Simon, devenu enfin un gros personnage, put parader à son aise, se frotter à une vraie noblesse, bien différente « des excréments de la nature qui vivaient à Versailles », occuper la première place et remettre rudement à la leur les audacieux.

Mais le seul bénéfice qu'il en tira fut la Toison d'Or pour l'aîné de ses fils et la grandesse pour le cadet. Sur quoi un contemporain fit cette aigre remarque : « Ce furent de beaux présents de noce qui relevèrent bien cette maison et elle en avait bien besoin ! » Le mot est dur ; heureusement Saint-Simon ne le connut pas. Ses ennemis avaient pourtant de quoi se réjouir — s'ils avaient ce courage — du triste tableau de sa famille.

Une file, tellement laide et contrefaite, que ses parents emploiyaient tous leurs soins à la cacher ; deux fils, tellement débiles, que la vie ne fut pour eux qu'une longue souffrance.

Les « sous-boudrillon » — le boudrillon, c'était le sobriquet donné à leur père — moururent jeunes ne laissant qu'une fille. Cruauté du sort : Saint-Simon, cet entêté de noblesse, vit sa pairie s'éteindre avec eux.

Ses affaires, depuis la mort du duc d'Orléans, emporté par une apoplexie (1723), et celles de sa femme étaient en piteux état. Il en arriva à ne plus pouvoir payer ses domestiques et à abandonner tous ses biens pour ne conserver qu une pension viagère.
« La plupart de ses créanciers, dit M. Boissier, étaient de très minces personnages : des tapissiers, des tailleurs, des apothicaires, des boulangers, des marchands de poisson et de chandelle. Ce duc et pair s'était endetté comme un petit bourgeois à tous les coins de son quartier. »

Depuis son abandon de Versailles, sa vie intime dans son hôtel de la rue Saint-Dominique ainsi qu'à son château de la Ferté-Vidame, dans le Perche, nous est fort mal connue. Tout ce que l'on sait, c'est que pendant quinze années (1740-1755), il s'y occupa de ses Mémoires, travaillant sans relâche dans sa bibliothèque, à l'abri des indiscrets, ce qui faisait soupçonner aux gens qui se prétendaient renseignés, qu'il établissait sa généalogie.

En réalité, il bâtissait une des oeuvres les plus originales de toute la littérature française.

Ce fut en 1755, âgé de quatre-vingts-ans, que Saint-Simon dut dire un éternel adieu à ses prétentions, à la noblesse, à la pairie, et oublier les questions de préséance devant la mort égalisatrice.

Charles Simond.

 


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