QUINAULT
Quinault Philippe, auteur dramatique, poète lyrique Né le 3 juin 1635, à Paris, était fils d'un boulanger. II fut protégé dans sa jeunesse par Tristan-l'Ermite, auteur de Mariamne, dont il fut le valet et le disciple et qui lui inspira le goût de la poésie. Il donna, dès l'âge de 18 ans, la comédie des Rivales qui eut du succès. Voulant se faire un état, il travailla
chez un avocat, devint lui-même avocat au parlement, et acheta ensuite une charge
d'auditeur en la chambre des comptes, puis de valet de chambre du roi. Ce n'est qu'assez tard que Quinault commença à s'exercer dans le genre lyrique, qui fait aujourd'hui toute sa réputation : c'est en 1672 qu'il donna son premier opéra. Il ne cessa depuis, pendant quatorze ans, de produire des tragédies lyriques dont plusieurs sont des chefs-d'œuvre ; Lulli les mettait en musique. En 1686, Quinault, cédant aux sentiments religieux que sa femme lui avait inspiré, renonça à travailler pour le théâtre ne voulant plus que composer des poésies religieuses ; il mourut à Paris le 26 novembre 1688, n'ayant que 53 ans. L'Académie Française l'avait reçu dès 1670 au fauteuil 29 à la suite de François-Henri Salomon de Virelade ; son successeur fut François de Callières. Louis XIV l'avait décoré du cordon de Saint-Michel, et lui faisait une pension de 2,000 livres. Ses principaux opéras sont : Les fêtes de l'Amour et de Bacchus, Cadmus, Alceste, Thésée, le Carnaval, Atys, Isis, Proserpine, le Triomphe de l'Amour, Persée, Phaëton, Amadis de Gaule, Roland, la Grotte ou l'Églogue de Versailles, le Triomphe de la Paix, Armide, mise en musique deux fois par Lulli d’abord, puis par Glück. Enfin, citons sa collaboration avec Corneille et Molière à Psyché. Ses œuvres ont été imprimées avec sa vie à Paris, 1739 et 1778, 5 vol. in-12. Crapelet a donné ses Œuvres choisies, 1824, 2 vol. in-8. Quinault peut être considéré comme le créateur de la tragédie lyrique, et il l'a tout d'un coup portée à la perfection. Ses vers surtout remarquables par la douceur et l'harmonie, mais ils ne manquent au besoin ni de noblesse, ni d'énergie. Boileau l'a sévèrement jugé ; mais ses critiques ne s'adressent guère qu'à la première époque de Quinault, à celle où il n'avait pas encore trouvé le genre pour lequel il était fait.
QUINAULT PAR VAUVENARGUES
« On ne peut-trop aimer la douceur, la mollesse, la facilité et l'harmonie tendre et touchante de la poésie de Quinault. On peut même estimer beaucoup l'art de quelques-uns de ses opéras, intéressants par le spectacle dont ils sont remplis, par l'invention ou la disposition des faits qui les composent, par le merveilleux qui y règne, et enfin par le pathétique des situations, qui donne lieu à celui de la musique, et qui l'augmente nécessairement. Ni la grâce, ni la noblesse, ni le naturel, n'ont manqué à l'auteur de ces poèmes singuliers. Il y a presque toujours de la naïveté dans son dialogue, et quelquefois du sentiment. Ses vers sont semés d'images charmantes et de pensées ingénieuses. On admirerait trop les fleurs dont il se pare, s'il eut évité les défauts qui font languir quelquefois ses beaux ouvrages. Je n'aime pas les familiarités qu'il a introduites dans ses tragédies : je suis fâché qu'on trouve dans beaucoup de scènes, qui sont faites pour inspirer la terreur et la pitié, des personnages qui, par le contraste de leurs discours avec les intérêts des malheureux, rendent ces mêmes scènes ridicules, et en détruisent tout le pathétique. Je ne puis m'empêcher encore de trouver ses meilleurs opéras trop vides de choses, trop négligés dans les détails, trop fades même, dans bien des endroits. Enfun je pense qu'on a dit de lui avec vérité, qu'il n'avait fait qu'effleurer d'ordinaire les passions. Il me paraît que Lulli a donné à sa musique un caractère supérieur à la poésie de Quinault. Lulli s'est élevé souvent jusqu'au sublime par la grandeur et par le pathétique de ses expressions ; et Quinault n'a d'autre mérite, à cet égard, que celui d'avoir fourni les situations et les canevas, auxquels le musicien a fait recevoir la profonde empreinte de son génie. Ce sont, sans doute, les défauts de ce poète et la faiblesse de ses premiers ouvrages, qui ont fermé les yeux de Boileau sur son mérite ; mais Boileau peut être excusable de n'avoir pas cru que l'opéra, théâtre plein d'irrégularités et de licences, eût atteint, en naissant, sa perfection. Ne penserions nous pas encore qu'il manque quelque chose à ce spectacle, si les efforts inutiles de tant d'auteurs renommés ne nous avaient fait supposer que le défaut de ces poèmes était peut-être un vice irréparable ? Cependant je conçois sans peine qu'on ait fait à Boileau un grand reproche de sa sévérité trop opiniâtre. Avec des talents si aimables que ceux de Quinault, et la gloire qu'il a d'être l'inventeur de son genre, on ne saurait être surpris qu'il ait des partisans trèspassionnés, qui pensent qu'on doit respecter ses défauts mêmes. Mais cette excessive indulgence de ses admirateurs me fait comprendre encore l'extrême rigueur de ses critiques. Je vois qu'il n'est point dans le caractère des hommes de juger du mérite d'un autre homme par l'ensemble de ses qualités ; on envisage sous divers aspects le génie d'un auteur illustre on le méprise ou on l'admire avec une égale apparence de raison ; selon les choses que l'on considère en ses ouvrages. Les beautés que Quinault a imaginées demandent grâce pour ses défauts ; mais j'avoue que je voudrais bien qu'on se dispensât de copier jusqu'à ses fautes. Je suis fâché qu'on désespère de mettre plus de passion, plus de conduite, plus de aison et plus de force dans nos opéras, que leur inventeur n'y en a mis. J'aimerais qu'on en retranchât le nombre excessif de refrains qui s'y rencontrent, qu'on ne refroidit pas les tragédies par des puérilités, et qu'on ne fit pas des paroles pour le musicien, entièrement vides de sens. Les divers morceaux qu'on admire dans Quinault, prouvent qu'il y a peu de beautés incompatibles avec la musique, et que c'est la faiblesse des poètes, non celle du genre, qui faii languir tant d'opéras, faits à la hâte et aussi mal écrits qu'ils sont frivoles. » Luc de Clapiers, marquis de Vauvenargues (1715-1747), moraliste français, Introduction à la connaissance de l'esprit humain suivie de Réflexions et maximes (1746), Fragments, Réflexions critiques sur quelques poètes.
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D.R. BELAIR
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