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BIOGRAPHIE DE ALEXANDRE LEDRU-ROLLIN 
 (1807-1874)  
  
 Ledru-Rollin (Alexandre-Auguste Ledru-Rollin), homme politique et avocat français, 
député de 1841 à 1848, membre du gouvernement provisoire, ministre, représentant 
en 1848, en 1849, en 1871 et en 1874, né le 2 février 1807 à Paris, décédé 
le 31 décembre 1874 à Fontenay-aux-Roses (Seine, depuis les Hauts-de-Seine), il 
fut candidat à l'élection présidentielle française de 1848. 
Fils du docteur Ledru, médecin et antiquaire, et petit-fils du célèbre 
prestidigitateur Ledru, surnommé Comus, qui fut, sous Louis XV, professeur 
de physique des enfants de France, et qui se signala par ses expériences 
sur l'électricité et par les tyravaux qu'il fit avec Franklin pour 
arriver à la découverte du paratonnerre, Alexandre-Auguste fit de bonnes études 
classiques et fut un des élèves les plus distingués de la faculté de droit de 
Paris. Reçu brillamment licencié, puis docteur (1828), il prêta serment 
comme avocat en 1830 : il n'avait que vingt-deux ans. C'est à cette époque qu'il 
ajouta à son nom celui de Rollin, qui appartenait à sa bisaïeule maternelle, 
voulant éviter la confusion qui n'aurait pas manqué de s'établir entre lui et 
un autre avocat, M. Charles Ledru. Doux ans après son entrée au barreau, Ledru-Rollin 
donna son premier gage au parti démocratique en protestant, dans une consultation 
retentissante, contre l'état de siège. Cette voix isolée trouva un écho dans la 
magistrature : la cour de Cassation rendit un arrêt sous lequel l'état de siège 
tomba. Un mémoire sur les massacres de la rue Transnonain. publié par lui après 
les journées d'avril 1834, contribua aussi à signaler le nom du jeune avocat à 
l'attention publique. Dès ce moment, il commença aussi à s'acquérir, au palais, 
une réputation qui devait grandir de jiour en jour. Quand vînt le procès 
des détenus d'avril 1834, Ledru-Rollin fut chargé de la défense de Caussïdiêre 
; puis il offrit en mainte circonstance son concours désintéressé aux journaux 
de l'opposition poursuivis par le pouvoir. « Ledru, écrit un de ses biographes, 
était toujours là, prêt à intervenir en faveur de la presse attaquée, et plus 
d'une fois son éloquente parole obtint d'honorables acquittements. » II plaida 
notamment pour la Nouvelle Minerve (octobre 1835), accusée de diffamation 
envers le duc de Broglie. Le journal le Réformateur, rendant compte alors 
de ce procès, qualifia « d'admirable » la plaidoirie du jeune avocat radical. 
En 1837, Ledru-Rollin fit acquitter par la cour des pairs Laveaux, prévenu de 
complicité dans la tentative d'assassinat dirigée par Meunier contre Louis-Philippe 
; cet acquittement fut considéré comme un succès personnel d'autant plus vif pour 
le défenseur que, dans une délibération préparatoire, l'accusé avait d'abord été 
condamné à la peine de mort. En 1838, le Journal du Peuple comparaissait 
devant la cour d'assises pour avoir publié une adresse démocratique des travailleurs 
anglais aux travailleurs français : Ledru obtint encore l'acquittement, i1 ne 
fut pas moins heureux dans son intervention en faveur du Charivari traduit, 
une semaine plus tard, aux mêmes assises, pour un piquant article intitulé : Un 
petit million, s. v. p. et et qui visait le système des dotations, cher au 
roi Louis-Philippe. Le temps qu'il consacrait à la défense judiciaire de la démocratie 
n'empêchait point Ledru-Rollin de se livrer à de sérieux travaux de jurisprudence 
: il prit la direction du Journal du Palais, recueil le plus ancien et le plus 
complet de la Jurisprudence française, dont il donna une édition nouvelle, 
avec une table générale et une remarquable introduction ; il attacha également 
son nom au journal judiciaire le Droit et en fut pendant plusieurs années 
le rédacteur en chef. Aussi, à moins de trente ans, fut-il élu à Paris, par ses 
confrères, membre du conseil de Tordre. Vers cette époque, il acheta, de Dalloz, 
nmyennat 300.000 francs sa charge d'avocat aux conseils du roi et à la cour de 
Cassation, sans cesser d'offrir son appui aux prévenus politiques ; c'est ainsi 
que dans l'affaire Raban dite des poudres, on le vit quitter le banc du barreau 
de la cour suprême pour venir détendre, devant la police correctionnelle, son 
ami et coreligionnaire Dubosc, rédacteur du Journal du Peuple, accusé de 
détention de munitions de guerre. A quelque temps de là, fort de ses opinions 
radicales et de ses antécédents d'homme politique et d'avocat, Ledru-Kolliu tenta 
pour la première fois la chance de la députatiou : il se présenta, en 1839 devant 
le collège de Saint-Valéry (Seine-Inférieure) sous le patronage d'Odilon Barrot 
qui écrivit aux électeurs : « Je vous recommande M. Ledru-Rollin, dont j'ai pu 
apprécier le talent et le patriotisme, je vous le recommande, bien que ses opinions 
soient beaucoup plus avancées que les miennes. » Des électeurs influents ayant 
vainement tenté de faire « adoucir » par le candidat quelques-uns des passages 
de sa profesnion de foi, et particulièrement de l'empècher de déclarer qu'il était 
républicain, il échoua faute de onze voix, n'en ayant obtenu que 132 voix contre 
151 à M. Mallet député sortant, élu. Il se remit alors avec ardeur à ses travaux 
de jurisprudence, dans lesquels il était très heureusement servi par sa vive compréhension 
des affaires et par l'intelligente activité de son secrétaire, M. Jamet. Mais 
il n'avait pas dit adieu à la politique active. Bientôt, la mort de Garnier-Pagès 
l'ainé vint ouvrir à Ledru-Rollin l'entrée de la Chambre. « Le 2e collège 
de la Sarthe, observe un écrivain, était alors en quelque sorte une île républicaine 
au milieu de la France monarchique : Sieyès, Carnot, et, depuis la Restauration, 
Benjamin Constant, La Fayette, Picot-Désormeaux, Garnier-Pagès en étaient tous 
sortis.» Les amis du National, MM. Duclerc, Pagnerre, Dornès, etc., songèrent 
pour succéder au défunt, à Garnier-Pagès jeune ; d'autres, comme MM. Baune, Félix 
Avril, mettaient en avant la candidature de M. Pance, homme de lettres, ancien 
agrééau tribunal de commerce de Paris, alors démocrate fougueux et qui fut plus 
tard préfet conservateur du département de la Sarthe ; mais Caussidière se souvint 
de son défenseur devant la cour des pairs ; il s'entendit avec M. Trouvé-Chauvel, 
alors maire du Mans, avec MM, Elias Regnault et Hauréau, rédacteurs du Courrier 
de la Sarthe, et, comme l'écrit malicieusement un biographe, « on persuada 
au 2e collège de la Sarthe qu'il avait choisi M. Ledru-Rollin. » Celui-ci accepta 
la candidature ; le 23 juillet 1841, il arrivait au Mans et là, devant une réunion 
de ses électeurs et de nombreux citoyens accourus pour l'entendre, il prononçait 
cette profession de foi qui lui valut le baptême parlementaire et qui eut dans 
toute la France un si profond retentissement. Il débutait ainsi : « En répondant 
à votre appel, en venant à vous, je vous dois compte de ma foi politique. Cette 
foi vive, inébranlable, je la puise dans mon cœur et dans ma raison. Dans mon 
coeur, qui me dit, à la vue de tant de misères dont sont assaillies les classes 
pauvres, que Dieu n'a pas pu vouloir les condamner à des douleurs éternelles, 
à un ilotisme sans fin. Dans ma raison, qui répugne à l'idée qu'une société 
puisse imposer au citoyen des obligations, des devoirs, sans lui départir, en 
revanche, une portion quelconque de souveraineté. La souveraineté du peuple, 
tel est, en effet, le grand principe qu'il y a près de cinquante années, nos pères 
ont proclamé. Mais cette souveraineté qu'est-elle devenue ? Reléguée dans les 
formules d'une Constitution, elle a disparu du domaine des faits. Pour nos pères, 
le peuple était la nation tout entière, chaque homme jouissant d'une part égale 
de droits politiques, comme Dieu lui a fait une part égale d'air et de soleil. 
Aujourd'hui le peuple, c'est un troupeau conduit par quelques privilégiés comme 
vous, comme moi, Messieurs, qu'on nomme électeurs, puis par quelques autres privilégiés 
encore qu'on salue du titre de députés. Et si ce peuple, qui n'est point représenté, 
se lève pour revendiquer ses droits, ou lejette dans les cachots. S'il s'associe, 
pour ne pas périr de misère et défendre sou salaire insuffisant, on le jette dans 
les cachots. Si, comme à Lyon, dans des jours de funébre mémoire, il écrit sur 
son étendard : « Du pain ou la mort, » on le mitraille, et l'on calomnie ses restes 
mutilés. Et, à ses cris de désespoir, on entend quelques voix parties de la tribune 
répondre : Peuple, que veux-tu, que demandes-tu ? N'es-tu point souverain, peuple, 
n'es-tu point roi ? Insultante dérision, misérable ironie ! Le peuple-roi ! Ils 
l'appelaient roi aussi, les Pharisiens d'une autre époque, ce révélateur d'une 
religion nouvelle qui venait prêcher aux hommes l'égalité et la fraternité ! Ils 
l'appelaient roi, mais en le flagellant, en le couronnant d'épines, en lui jetant 
à la face l'injure et le blasphème. Le peuple, Messieurs, c'est l'ecce homo des 
temps modernes, mais soyez convaincus que sa résurrection est proche ; il descendra 
aussi de sa croix pour demander compte de leurs œuvres à ceux qui l'auront trop 
longtemps méconnu... » Puis, Ledru-Rollin entrait daus les détails de son 
programme, il affirmait que « la régénération politique ne peut être qu'un 
acheminement et un moyen d'arriver à de justes améliorations ; » et que le 
parti démocratique se distinguait profondément des « partis éclos de la révolution 
de juillet ». Chemin faisant, il condamnait la « phalange doctrinaire, 
» le « parti Thiers, » la « faction Barrot, » le parti légitimiste, 
réclamait, comme la plus capitale des réformes, la révision de l'impôt, demandait 
aussi l'abolition du remplacement militaire, déclarait le gouvernement impuissant 
à résoudre la question des salaires « d'où dépend l'avenir des sociétés modernes, 
» et tout aussi incapable de faire respecter le drapeau français à l'étranger 
; protestait contre les procès de presse, et concluait : « Mais, Messieurs, 
en mettant en regard de ce douloureux tableau le programme de mes voeux, de ma 
foi politique, n'ai-je point oublié, pour m'abandonner à de chères espérances, 
les hommes au milieu desquels votre confiance m'enverra ? Non, j'ai tout pesé. 
Je sais que ces doctrines de dévouement sont traitées de folies par la majorité 
acquise à tous les ministères, quels que soient leurs dilapidations, leur aveugle 
égoïsme. Je sais que la vénalité, que la peur, la peur surtout, a tout infecté, 
et qu'entraînées par ce débordement de corruption, des natures d'élite se sont 
livrées au découragement. Je sais que de toutes parts, les hommes qui vivent de 
cette honte se sont coalisés pour étouffer le moindre cri d'alarme. Mais, loin 
de me laisser abattre par ces obstacles, je puiserai dans le sentiment du devoir 
que votre mandat m'imposera la force de les surmonter. Je serai soutenu par l'illustre 
souvenir des grands citoyens que, selon les temps et les circonstances, votre 
patriotisme a envoyés à la représentation nationale ; et si ma voix se brise dans 
le tumulte de tant de résistances intéressées, l'avenir, Messieurs, l'avenir qui 
est à nous, se chargera de développer les gerrmes dont j'aurai, dans la mesure 
de mes forces, contribué à jeter la semence !... »  
Ce langage, auquel la France de Louis-Philippe n'était plus accoutumée, émut violemment 
le pouvoir : élu, le lendemain, 24juillet 1841, député du Mans par 123 voix sur 
127 votants, Ledru-Rollin vit presque aussitôt ses paroles incriminées par la 
cour d'Angers, sous l'inspiration de l'autorité supérieure, qui redoutait un acquitement, 
devant le jury de la Sarthe. Le procureur général d'Angers dut demander le renvoi 
à la cour de Cassation, qui l'accorda : Ledru-Rollin avait plaidé sa cause 
lui-même dans des termes qui n'avaient rien d'insinuant : « Procureur général, 
qui vous donne l'investiture ? Le ministère. Moi, électeur, je chasse les ministres. 
Au nom de qui parlez-vous ? Au nom du roi. Moi, électeur, l'histoire est là pour 
le dire, je fais et je défais les rois. Procureur général à genoux, à genoux donc 
devant ma souveraineté ! Discuter mon impartialité, c'est porter la main sur ma 
couronne électorale...»  
Le 23 novembre 1841, le député de la Sarthe comparut devant la cour d'assises 
d'Angers, assisté d'un conseil de défense formé d'Odilon Barrot, de Fr. Aràgo, 
de Berryer et de Marie ; une foule immense assistait aux débats. Ledru présenta 
quelques observations. Après avoir entendu la défense de la prérogative électorale 
présentée par les conseils du prévenu, le jury d'Angers esquiva la difficulté 
en déclarant le discours non coupable et en condamnant cependant la publication 
qu'en avait faite le Courrier de la Sarthe. La peinede quatre mois d'emprisonnement 
et de trois mille francs d'amende fut prononcée contre Ledru-Rollin, qui se pourvut 
d'ailleurs en cassation pour vice de forme et obtint gain de cause. En décembre 
1841, il parut au Palais-Hourbon, et prit place à l'extrémité gauche de la salle. 
Son nom inspirait déjà de si vives craintes au parti conservateur que le centre 
songea un moment à refuser au nouvel élu l'entrée de la Chambre pour « indignité 
» : mais ce projet n'eut pas de suites. A peu près au même moment, il fut désigné 
d'office par la Cour des pairs pour la défense de Dupoty, taxé de « complicité 
morale » dans l'attentat de Quénisset. 
Les débuts parlementaires de Ledru-Rollin, attendus avec impatience, n'eurent 
lieu que dans la séance du 10 mars 1842. On discutait une proposition tendant 
à allouer au ministère un supplément de plusieurs cenraines 
de mille francs pour fonds secrets. Ledru ouvrit le feu contre le projet ministériel, 
et, dès ce jour, sa place fut marquée au premier rang des orateurs 
de la Chambre. Il s'était attaché à prouver que les hommes 
qui se disaient conservateurs ne conservaient aucune de nos libertés, et 
il leur avait jeté, à la fin, cette apostrophe : « Vous n'êtes 
pas un ministère de conservation ; vous êtes un ministère 
de contre-révolution ! ». Il parla ensuite plusieurs autres fois pendant 
la même session ; protestant contre la latitude absolue que le code d'instruction 
criminelle laissait au juge d'instruction pour la mise en liberté sous 
caution des prévenus, il réussit à faire adopter par la Chambre 
un amendement en vertu duquel on reconnut le droit qu'avait, après son 
interrogatoire, tout prévenu, de communiquer avec son avocat, hors le cas 
de secret. Le 3 mai 1842, il défendit, à propos du projet de loi 
sur les grandes lignes de chemin de fer, l'intérêt des départements 
de l'Ouest. Le 14 mai, il soutint une pétition contre la loi sur les annonces 
judiciaires. Le 17, il reprocha à M. Hébert, procureur général, 
sa « partialité » en faveur de la presse monarchique et notamment du Globe 
qui paraissait impunément sans cautionnement. Le 23, il prit avec chaleur 
la défense des condamnés républicains que le ministère 
avait soumis au système cellulaire du Mont-Saint-Michel. Le 27, il dénonçait 
au pays les travaux de fortifications faits à Vincennes, et s'écriait 
: « La vérité, la logique m'autorisent donc à conclure 
ainsi : Non le canon de Vincennes n'est pas dirigé contre l'invasion étrangère, 
il est dirigé contre les libertés de Paris ! » Enfin, le 3 juin, 
il signalait comme un abus criant, la perception à son profit personnel 
par secrétaire général de la préfecture de la Seine, 
M.de Jussieu, d'une taxe d'une douzaine de mille francs sur les brevets d'invention. 
Réélu après cette laborieuse session, par le 2e collège 
de la Sarthe, le 9 juillet 1842, avec 125 voix (131 votants, 193 inscrits) Ledru-Rollin 
reparut bientôt à la tribune pour attaquer la loi de régence, 
qu'il appela une « téméraire usurpation », et pour se faire 
le vigoureux interprète des préventions des radicaux contre le rédacteur 
en chef de la Presse : il demanda l'annulation de l'élection de 
M. Émile Girardin comme ayant sous un nom qui n'était pas le sien. 
Le 1er mars 1843 on le retrouve sur la brèche à l'occasion de cette 
question annuelle des fonds secrets qui permettait d'examiner la politique extèrieure 
et intérieure du cabinet : l'orateur montra le gouvernement sapant la liberté 
dans les quatre institutions qui sont ses racines, le jury, la presse, les élections, 
la garde nationale : « Vous seriez effrayés, messieurs, fit-il, si j'évoquais 
ici le nom de toutes les villes où, à l'heure qu'il est, la garde nationale 
est désarmée, désorganisée, dissoute... Et en cela on a été logique : c'est au 
patriotisme, au courage de la garde nationale, que la Constitution avait confié 
les grandes institutions, et les gardiens ne sont plus nécessaires du moment qu'il 
n'y a plus rien à garder. » Après avoir déclaré que le pouvoir était avili 
dans les mains qui le détenaient, avili dans les hautes régions, avili dans les 
régions infimes, parce que les hommes d'État de la royauté n'avaient point 
le secret du véritable sentiment national, Ledru attaquait au vif la question 
des personnes et posait le parti démocratique bien au-dessus des ambitions de 
portefeuille. Il ajoutait ces mots : « Messieurs, nous avons trop de confiance 
dans le pays pour désespérer ; nous ne pouvons penser que, pendant quelques mois 
de plus, la présence aux affaires d'un homme quelconque, si fatale que soit son 
influence, puisse compromettre les hautes destinées de la France à l'extérieur, 
et consolider son abaissement à l'étranger. Sans s'exagérer la force d'expansion 
de la France, il est permis de croire qu'elle ressemble un peu à ces hôtes gigantesques 
de l'Océan qui, d'un mouvement, d'un seul mouvement, remuent jusque dans leurs 
profondeurs les eaux au milieu desquelles ils paraissent sommeiller. Le parti 
démocratique croit encore à la vertu de cette magnifique réponse : La République 
est comme le soleil, aveugle qui la nie ! » Le 30 mai, au cours de la discussion 
sur le projet de la refonte des monnaies françaises et sur la centralisation des 
hôtels des monnaies des départements que l'on aurait tous supprimés et réunis 
à celui de Paris, il traita d'une manière approfondie cette question économique, 
et se prononça contre la centralisation projetée. Le 8 juin, il reprocha durement 
au ministre Lacave-Laplagne d'avoir laissé prévaloir sur les intérêts de l'État 
ceux du duc d'Aumale. Il parla encore, en 1843, contre la nomination, trop significative 
selon lui, de M. Jacqueminot au commandement en chef de la garde nationale, Le 
27 janvier 1844, la discussion de l'adresse lui inspira une de ses plus mordantes 
improvisations. Repoussant le paragraphe qui prononçait une flétrissure contre 
les pèlerins de Belgrave-Square, il rappela ironiquement tous les abus, toutes 
les illégalités qui avaient dû encourager les légitimistes à rêver le retour du 
passé. Il conclut en engageant le gouvernement, comme seul remède à la situation, 
à revenir au principe de la révolution de juillet, à développer, au lien de l'éteindre, 
le principe de la démocratie : « Ce principe tout-puissant est le seul vrai. 
Non, non, il n'a pas brillé il y a cinquante ans sur le monde, il ne s'est pas 
promené à travers tant de champs de bataille, pour ne pas pousser jusqu'au bout 
les conséquences de sou œuvre, Un gouvernement peut le comprimer, le méconnaître 
; mais soyez convaincus que le triomphe n'est que d'un jour. » Le 12 avril 
suivant, l'infatigable champion des idées radicales demandait au ministère le 
dépôt des pièces qu'il avait reçues de Taïti à propos de l'affaire Pritchard, 
et il réitérait sa motion le lendemain, en accusant le cabinet de n'avoir ni sincérité 
ni loyauté dans ses rapports avec les Chambres. Huit jours après, il lit une nouvelle 
sortie contre les réticences ministérielles, et, comme la gauche protestait contre 
d'injurieuses interruptions parties du centre, l'orateur s'écria : « Je remercie 
l'opposition de sa sollicitude pour moi ; des clameurs collectives et vagues ne 
peuvent ni m'émouvoir ni m'atteindre ; elles ne méritent pas la peine d'être relevées. 
Un homme d'honneur se lèverait pour faire tout haut son articulation, s'il en 
avait le courage, et mon cœur me dit que je saurais y répondre... » Les questions 
économiques et ouvrières ne le laissaient point indiffèrent : le sang ayant coulé 
à Rive-de-Gier, où la force armée avait eu à réprimer la coalition des mineurs, 
il demanda, le 17 mai, à interpeller le gouvernement ; mais la Chambre n'autorisa 
pas l'interpellation. Le 26 juillet, l'impôt direct lui fournit une occasion nouvelle 
de parler du « paupérisme », et ce ne fut pas sans frémir et murmurer que 
la majorité de la Chambre entendit ces paroles : « De l'aveu de tous, l'impôt 
indirect n'est-il point arrivé, pour les classes ouvrières, aux dernières limites 
du possible ? Peut-il être supporté plus longtemps par l'immense majorité du pays 
sans danger, sans danger imminent pour le pays même ?... Oui, messieurs, croyez-moi, 
il est temps, il est grand temps de sonder ces difficiles problèmes ; car les 
coalitions ne sont point, comme le gouvernement paraît le penser, un fait passager 
qu'il faut oublier dès qu'il est réprimé ; c'est le symptôme incessant, continuellement 
renouvelé, la manifestation diverse en apparence d'un fait toujours le même, d'un 
malaise profond au sein des classes pauvres. C'est la question du paupérisme, 
du prolétariat qui bouillonne et s'agite, non seulement sur la surface 
de notre France, mais dans toute la civilisation de vieille europe !... » 
Comme solution, Ledru parlait à la Chambre étonnée de la 
réduction de l'intérêt de la rente, de la suppression de l'impôt 
du sel, d'un droit d'enregistrement proportionnel sur les successions, de l'exploitation 
des chemins fer par l'État ; d'une nouvelle constitution des banques supprimant 
autant que possible des intermédiaires, et de la mise en culture des communaux 
stériles et improductifs.  
A chaque discours nouveau, l'éloquence véhémente et passionnée du tribun 
produisait sur ses auditeurs une émotion plus profonde ; mais elle était faite 
pour agir sur les masses plutôt que sur une assemblée délibérante, et Ledru-Rollin, 
isolé, par ses opinions républicaines, au milieu des partis parlementaires que 
divisait seule la lutte des intérêts, avait à combattre, la plupart du temps, 
non seulement l'hostilité déclarée des centres, mais encore la tiédeur de la gauche 
dynastique et des différentes fractions du « libéralisme ». Il n'était 
pas mieux soutenu dans la presse : le seul journal démocratique, le National, 
qui avait combattu dès l'origine sa candidature auprès des électeurs du Mans, 
ne pouvait se resigner à l'avouer ensuite pour son chef, et, bien que les « hommes 
du National » eussent convié Ledru au banquet offert par eux à O'Connell, 
l'agitateur de l'Irlande, banquet dont il fut le principal orateur, ils n'en passaient 
pas moins pour miner sourdement la prépondérance du député de la Sarthe, qui résolut 
alors d'avoir un journal à lui. Il fonda une feuille républicaine plus avancée, 
la Réforme, qu'il soutint à la fois de sa plume, de sa parole devant le 
jury, et de sa bourse, et où il put développer librement ses vues politiques et 
aussi ses théories ou plutôt ses tendances de réforme sociale. En même temps il 
se multipliait à la Chambre et au dehors ; il déposait au Palais-Bourbon, le 17 
février 1845, de nombreuses pétitions contre l'exercice sur les boissons ; réclamait 
(mars) l'éligibilité pour tout Français, jouissant de ses droits civils et politiques, 
inscrit au rôle de la contribution foncière ; combattait la loi sur le domicile, 
restrictive du droit électoral ; demandait la suppression du timbre sur les journaux 
: remettait au bureau (10 avril) des pétitions tendant à l'organisation du travail 
; et protestait (30 avril) contre le droit de visite que, malgré les traités, 
l'Angleterre avait exercé dans la Gambie sur un navire français. Après avoir prononcé 
sur la tombe de Godefroy Cavaignac (mai 1845) un pathétique discours, il reparut 
à la tribune de la Chambre pour attaquer l'esclavaere des noirs, pour retracer 
le triste état de notre marine, pour signaler des abus dans la distribution des 
bourses des cocollèges royaux, etc... La session terminée, il signa, en 
compagnie de plusieurs personnalités marquantes de la démocratie avancée, le manifeste 
de la Réforme, par lequel ce journal rompait hautement avec l'opposition 
dynastique, et formulait les propositions suivantes : « Les travailleurs ont 
été esclaves ; ils ont été serfs, ils sont aujourd'hui salariés ; il faut tendre 
à les faire passer à l'état d'associés. Il importe de substituer, à la commandite 
du crédit individuel, celle du crédit de l'État. L'État, jusqu'à 
ce que les propriétaires soient émancipés, doit se faire le banquier des pauvres. 
Le travailleur a le même titre que le soldat à la reconnaissance de l'État. 
Au citoyen vigoureux et bien portant, l'État doit le travail ; au vieillard, 
à l'indigent, il doit aide et protection. » Ledru-Rollin redoubla de hardiesse 
dans la session de 1846, tint tête à la fois à Thiers et à Odilon Barrot, posa 
de nouveau la question sociale (avril 1846) à propos des troubles de Saint-Étienne, 
intervint dans la discussion du budget, et, s'adressant à l'opposition de gauche, 
lui dit nettement : « Si vous vous présentez sans principes, sans remède, sans 
programme enfin, croyez bien que le pays est disposé à ne plus se laisser tromper 
et à ne donner rien pour rien ! » La même année, pour se livrer tout entier 
à son rôle public, Ledru-Rollin vendit avec perte sa charge d'avocat à 
la cour de cassation. Au surplus, sa fortune personnelle se trouvait alors compromise 
assez gravement par ses préoccupations politiques, malgré le surcroît 
de ressources que lui avait apporté (en 1843) un mariage brillant et romanesque. 
Les entiments républicains du successeur de Garnier-Pagès, l'éloquente 
énergie avec laquelle il les exprimait, avaient excité la plus vive 
sympathie chez une jeune et riche personne, fille d'un Français et d'une 
Anglaise, et qui ne connaissait de Ledru-Rollin que son nom et ses discours : 
des amis communs amenèrent une courte entrevue qui eut lieu au Salon de 
peinture, et le mariage fut décidé. La cérémonie religieuse 
se fit dans la chapelle de la Chambre des députés, avec Arago et 
Lamartine pour témoins. Le 1er août 1846, le 2e collège de 
la Sarthe réélut pour la troisième fois Ledru-Rollin, avec 
140 voix (207 votants, 2287 inscrits), contre 66 à M. de Nicolaï. 
Il avait inséré dans la Réforme des premiers jours 
de mars, sous le titre Appel aux travailleurs, une brillante profession 
de foi qui se terminait ainsi : « Vos intérêts peuvent-ils être 
à jamais sacrifiés ? Resterez-vous constamment privés de 
toute participation à l'héritage commun ? Êtes-vous condamnés 
à vivre et a mourir courbés sous le joug, sans ne pouvoir jamais 
jeter vers le ciel qu'un regard de reproche ? Non, cela n'est pas possible. L'homme 
n'a point été organisé pour le rôle de la brute ; il 
ne porterait point en lui le sentiment de la dignité et de la justice, 
s'il ne devait y trouver qu'un supplice plus cruel encore que toutes les douleurs 
matérielles ! » Apôtre du suffrage universel, Ledru-Rollin affirma 
nettement le caractère de sa politique particulière dans la fameuse 
campagne des banquets réformistes. A son appel, les républicains 
de la Sarthe avaient organisé, pour le 20 septembre 1846, un banquet auquel 
furent conviés les députés du département et les journaux 
de l'opposition : mais le banquet, interdit par le ministère, n'eut pas 
lieu. Le 9 février 1847, l'élu de la Sarthe aborda à la tribune 
de la Chambre la question financière, et représenta le gouvernement 
comme entièrement soumis à la domination du capital ; puis il traita 
encore de l'esclavage, de la crise des céréales, de la question 
extérieure, à propos des tentatives faites en Suisse par le Sonderbund, 
et appuyées ostensiblement par Guizot. Enfin l'agitation des banquets, 
soutenue cette fois par la gauche dynastique, succéda, vers la fin de 1847, 
à la lutte parlementaire. Ledru assista aux banquets de lille, de Dijon 
et de Chalon-sur-Saône, évitant de paraître aux agapes « constitutionnelles 
» du Chpateau-Rouge ; les discours qu'il prononça furent de véritables 
philippiques contre le pouvoir et comme les programmes de la prochaine révolution. 
A Dijon il dit : « Nous sommes des Ultra-radicaux ! »  
Lorsque, à la suite des complications amenées par l'interdiction 
du banquet du 12e arrondissement, les coups de fusil de la rue eurent commencé 
(24 février 1848) de jeter l'alarme parmi les députés, Ledru-Rollin, 
qui avait suivi toutes les phases de la lutte populaire, acheva la déroute 
de la majorité parlementaire, en se rendant maître de la tribune 
autour de laquelle se livrait un véritable assaut, et en opposant sa proposition 
de déchéance aux tentatives de régence en faveur de la duchesse 
d'Orléans, qui ralliaient déjà la gauche parlementaire : 
tandis que Ledru-Rollin traînait à dessein son discours eu longueur, 
le peuple envahissait la salle des séances. Porté à l'Hôtel de Ville par l'acclamation 
des « vainqueurs de février », il reçut, en même temps que le titre de 
membre du gouvernement provisoire, les fonctions de ministre de l'intérieur. Il 
observa, dans le conseil, une attitude en quelque sorte intermédiaire entre le 
parti du National qui y dominait, et les deux représentants directs du 
socialisme, Louis Blanc et Albert, pencha toutefois plus souvent du côté des derniers, 
et personnifia en somme, aux yeux de ses amis comme de ses adversaires, le parti 
de l'action, par opposition à celui de la « modération » qui se personnifiait 
en Lamartine. Mais les tiraillements sans nombre auxquels il se trouva exposé, 
certaines contradictions entre ses paroles et ses actes, et une « suite de sacrifices, 
écrit un biographe, à des nécessités opposées », nuisirent gravement à sa popularité 
auprès des masses, sans que la bourgeoisie cessât de le considérer comme un objet 
d'épouvante. Ledru-Rollin eut sa part dans toutes les mesures prises par le gouvernement 
provisoire, telles que la proclamation immédiate de la République, l'abolition 
de l'esclavage, l'organisation de la commission pour les travailleurs, etc... 
Personnellement, il se montra très opposé à l'idée de l'impôt des 45 centimes 
présentée par Garnier-Pagès, et demanda qu'on adoptât de préférence un impôt de 
un franc cinquante centimes sur les classes riches. Comme ministre de l'Intérieur, 
il présida à l'établissement du suffrage universel et à l'immense travail d'organisation 
que cette nouveauté nécessita. On sait avec quelle persistance le parti conservateur 
lui reprocha l'envoi qu'il fit de commissaires extraordinaires dans les départements, 
et les « pouvoirs illimités » que leur attribuaient les circulaires du 
ministre. Le retard apporté aux élections pour l'Assemblée constituante lui fut 
aussi imputé par quelques-uns comme une faute grave dont la responsabilité lui 
revient en grande partie. « Ledru, écrit M. Napoléon Gallois, eut, aux yeux 
du parti républicain, une large part de l'impopularité que la marche faible et 
hésitante du gouverne ment provisoire attirait sur celui-ci. Pourtant, il était 
loin d'approuver tout ce qui se faisait. Dans la conversation intime, il avouait 
douloureusement les fautes auxquelles il était obligé de s'associer, lui, membre 
de la minorité du gouvernement provisoire où dominaient en majorité ceux dont 
la proclamation de la régence avait, le 24, à midi, satisfait le républicanisme 
peu radical. Deux fois le pouvoir pouvait être à lui, le 17 mars et le 16 avril 
; deux fois des manifestations furent dirigées contre la fraction modérée du gouvernement 
provisoire, deux fois Ledru refusa de s'associer a ces manifestations, et de s'emparer 
du pouvoir : il préféra laisser s'accumuler sur sa tête une impopularité qui grandissait 
chaque jour, plutôt que de jouer le rôle de Cromwell. » Au 16 avril, ce fut 
de lui que vint l'ordre de faire battre le rappel. Il en donna plus tard, lors 
du procès de Bourges, la raison suivante : « Je ne voulais pas, dit-il, qu'une 
coterie quelconque s'emparât d'une manifestation pacifique pour la tourner contre 
le gouvernement. Dans cette position, j'ordonnai de battre le rappel, non pas 
pour la garde bourgeoise seulement ; non, c'était pour le peuple entier qui composait 
alors la garde nationale. Je dois dire que les premiers venus pour défendre le 
gouvernement étaient de sincères républicains. La 12e légion arriva la première, 
précédée de son chef Barbès, et plusieurs clubs armés vinrent offrir leurs services 
au gouvernement provisoire... »  
Poursuivi dès lors par les attaques de la presse, Ledru-Rollin, qui s'était porté 
candidat dans uu grand nombre de départements, lors des élections pour l'Assemblée 
constituante, ne fut élu que dans trois : en Saôue-et-Loire, le 13e sur 14, par 
68,462 voix (131,092 votants) ; dans la Seine, le 24e sur 34, par 131,587 voix 
(267,888 votants), et en Algérie, le 3e sur 4, par 3,412 voix (14,131 votants). 
L'Assemblée réunie, il lui rendit compte, comme ses collègues, de ses deux mois 
de pouvoir, mais il reçut d'elle un accueil dont la froideur fut remarquée. Toutefois 
l'autorité de son nom n'était pas encore tellement ébranlée que la majorité ne 
crût devoir le nommer membre de la commission executive ; mais il vint le dernier 
sur la liste, et n'obtint que 458 voix sur 704 votants. A peu près seul contre 
ses quatre collègues, prêt à chaque instant à résigner ses fonction, il les garda 
cependant jusqu'au 24 juin ; il chercha inutilement le 15 mai, à calmer le peuple 
qui avait envahi l'Assemblée ; il se rendit à l'Hôtel de Ville avec Lamartine, 
et protesta d'ailleurs, le soir même, dans la commission executive, contre l'arrestation 
du général Courtais. Il protesta également, le 3 juin, contre la première demande, 
formulée par MM. Landrin et Portalis, en autorisation de poursuites contre Louis 
Blanc et Caussidière. Quelques jours après, seul des membres de la commission 
exécutive, il combattit avec une entraînante logique l'admission, qui fut 
pourtant votée, de Louis Bonaparte comme représentant du peuple. Enfin, lorsque 
les journées de juin eurent valu au général Cavaignac la dictature, Ledru-Hollin 
quitta le pouvoir, et, revenant à ses aspirations démocratiques, sembla grandir 
encore comme orateur et comme tribun. Le rapport de M. Quentin Bauchart le rappela 
sur la brèche et lui inspira une virulente réplique aux insinuations dirigées 
contre lui. On lui reprochait surtout la publication des Bulletins de la République, 
rédigés sous son inspiration quand il était ministre : « Ainsi donc, j'ai lancé 
un bulletin incendiaire. Avez-vous dit au milieu de quelle situation je me trouvais 
? Je suis obligé de le rappeler moi-même, car enfin, je me défends. J'organisais 
la garde nationale sédentaire, c'est-à-dire un million d'hommes, la garde nationale 
mobile, j'organisais le suffrage de la garde nationale, j'organisais les gardiens 
de Paris, j'organisais le suffrage universel, que vous aviez déclaré impraticable 
; je veillais, quoi que vous en disiez, à la sécurité de Paris ; car Paris, pendant 
tout ce temps, n'a pas été profondément troublé. Et quand je faisais tout cela, 
quand ma journée et ma nuit suffisaient à peine, ou vient me dire que je lançais 
je ne sais quel bulletin qui était contraire au droit ! Le droit, je l'ai professé 
toute ma vie ; c'est pour lui que je veux mourir... » Quelques jours après, 
il défendit la presse contre l'entrave fiscale du cautionnement. Le 21 août, le 
rapport Creton sur les comptes du gouvernement provisoire lui fournit l'occasion 
de justifier sa gestion devant l'Assemblée : le rapport constatait que « M. Ledru-Rollin 
n'a touché aucun traitement pendant qu'il était ministre de l'Intérieur. » Le 
25 août, il présenta une nouvelle défense de Caussidière et de Louis Blanc, qui, 
cette fois, furent décrétés d'accusation, en raison des événements du 15 mai et 
du 23 juin ; indirectement visé lui-même, il en profita pour revenir sur ses actes 
au pouvoir et sur son rôle personnel dans le gouvernement. Le 4 septembre, il 
réclama, dans une chaleureuse improvisation, la levée de l'état de siège établi 
à Paris après juin. Le 16 octobre, il interpella avec vigueur le gouvernement 
de la République sur l'entrée au ministère de MM. Dufaure et Vivien : mais 
les interruptions du centre le forcèrent à descendre de la tribune sans avoir 
pu finir son discours. Peu de jours après (un mois avant l'élection présidentielle), 
il signait le manifeste de la Montagne. Le 25 novembre, les attaques dirigées 
contre le général Cavaignac, à propos des journées de juin, obligèrent Ledru-Rollin 
à entrer dans des explications personnelles, Le 30 novembre, il attaqua pour la 
première fois le projet primitif d'intervention à Rome, conçu et à demi exécuté 
par le général Cavaignac ; il défendit les droits de la République romaine, et 
exposa les difficultés qu'entraînerait à sa suite même le triomphe. A quelque 
temps de là, il fit entendre sa parole révolutionnaire au banquet des écoles, 
et dans diverses réunions démocratiques. Le 8 décembre, à l'Assemblée, il protestait 
en faveur de la liberté des réunions électorales préparatoires ; le 10, il obtenait 
dans le pays, 370,119 suffrages pour la présidence de la République ; le 26, il 
interpellait le ministère sur les pouvoirs extra-légaux qu'il avait confiés au 
général Changarnier. Le 8 janvier 1849, il prononçait un discours contre la politique 
extérieure du cabinet ; le 20 janvier, il repoussait énergiquement le projet tendant 
à attribuer à la haute cour le jugement des accusés du 15 mai ; le 27 janvier, 
il s'élevait contre la réglementation de la liberté d'association, et, à la fin 
de la séance, il déposait sur le bureau de l'Assemblée une demande de mise en 
accusation des ministres. C'est à cette occasion que le mélancolique et malade 
Léon Faucher disait de lui : « Quand on est à peine l'ombre du voluptueux Barras, 
on a mauvaise grâce à faire appel aux souvenirs les plus austères et les plus 
patriotiques de la Convention. » Le 20 février, il posait de nouveau la question 
de Rome. Le 3 mars, attaqué par M. V. Grandin à l'occasion d'un récent discours 
au banquet du Chalet, il ripostait avec feu et criblait d'épigrammes Odilon Barrot, 
président du conseil des ministres. Le 12, le 30, le 31 mars, les affaires d'Italie 
le ramenaient à la tribune ; le 11 avril, il repoussait, au bruit des apostrophes 
de M. Denjoy, le projet de supprimer les clubs, et quelques paroles acrimonieuses 
échangées avec son interrupteur amenèrent, le surlendemain, 13, entre l'orateur 
de la Montagne et le député girondin un duel auquel la pluie, qui tombait ce jour-là 
à torrents, vint d'ailleurs mettre obstacle. Le 16, Ledru-Rollin s'opposait de 
toutes ses forces à l'allocation du crédit de 1,200,000 francs demandé pour l'expédition 
romaine. Le 9 mai, il flétrissait la marche de ceux qui avaient lancé sur Rome 
l'expédition française ; il y revenait avec une constance infatigable le 10 et 
le 11. Le 22, il dénonçait le manifeste du czar ; le 23, il tonnait contre la 
désobéissance du général Changarnier aux ordres de l'Assemblée nationale. Il est 
à peine besoin de dire que Ledru-Rollin avait voté avec la fraction la plus avancée 
du parti républicain : contre le rétablissement du cautionnement, contre 
les poursuites contre Louis Blanc et Caussidière, contre le rétablissement 
de la contrainte par corps, pour l'abolition de la peine de mort, pour 
l'amendement Grévy, pour le droit au travail, contre la proposition 
Rateau, pour l'amnistie, contre l'interdiction des clubs, contre 
l'expédition de Rome, etc... En même temps, il provoquait dans les départements 
une nouvelle agitation électorale. Les banquets du Mans, de Châteauroux, dé Moulins 
réunissaient autour de lui des milliers d'auditeurs et attestaient l'influence 
que ses derniers discours lui avaient permis de ressaisir. A la suite du banquet 
de Moulins, au sortir des plus bruyantes ovations, il faillit être, sur la place 
même de l'Hôtel-de-Ville, la victime d'une tentative d'assassinat à laquelle il 
n'échappa que par miracle. Il en fit le récit lui-même, le 2 mai, à l'Assemblée... 
« A peine débouchions-nous sur la place de l'Hôtel-de-Ville, que nous vîmes 
150 à 200 gardes nationaux, pompiers, artilleurs, rangés en bataille, tous en 
uniforme. La voiture n'avait pas eu le temps de paraître, que plusieurs d'entre 
eux s'étaient précipités à la tête des chevaux ; ils avaient, d'un mouvement, 
détourné le timon de la voiture pour l'empêcher de partir, et nous n'avions pas 
eu le temps d'ouvrir la bouche, que nous fûmes couchés en joue ; d'autres 
dirigeaient leurs baïonnettes sur nous, d'autres la pointe de leurs sabres. Ils 
poussaient d'horribles vociférations : A bas les brigands ! A bas les rouges ! 
Qu'on les descende et qu'on les fusille sur place ! » Les panneaux et la capote 
de la voiture furent percés de coups de baïonnette, et Ledru-Rollin eut ses vêtements 
traversés par le sabre d'an lieutenant. « Une scélératesse de ces gens nous 
sauva. Pour faire abandonner les guides au postillon, ils lui assénèrent un coup 
violent sur la main, la bouche des chevaux s'en ressentit, et l'un d'eux fut piqué 
eu même temps par un tel coup de baïonnette, qu'ils partirent comme l'éclair... 
» Ce revirement de l'opinion démocratique en faveur de Ledru-Rollin fut manifeste 
lors des élections du 13 mai 1849 à la Législative : il y fut envoyé par cinq 
départements : 1° par l'Allier, le 5e sur 7, avec 40,407 voix (65,506 votants) 
; 2° par l'Hérault, le 8e et dernier, par 31,202 voix (82,706 votants) ; 3° par 
Saône-et-Loire, le 1er sur 12, avec 75,510 voix (109,200 votants) ; 4° par 
la Seine, le 2e sur 28, avec 129,068 voix (281,140 votants) ; 5° par le Var, le 
3° sur 7, avec 27,751 voix (101,516 inscrits). Dès les premières séances de la 
nouvelle assemblée, le combat se représenta pour lui plus âpre, plus ardent. Au 
nom de la Montagne, dont il était le chef reconnu, il protesta contre l'attitude 
du président d'âge, M. de Kératry ; puis il demanda, le 30 mai, sur les actes 
du général Changarnier, une enquête qui ne fut pas accordée. Deux jours après, 
les forces du parti avancé dans l'Assemblée législative se comptèrent en portant 
Ledru à la présidence : 190 suffrages lui furent acquis. Ce fut à la tête de cette 
armée active de la démocratie qu'il reprit, le 11 juin, en faveur de la république 
romaine, une bataille qui devait aboutir pour lui à l'exil. Il prononça, ce jour-là, 
un de ses plus entraînants discours, qu'il termina par cette péroraison brûlante 
: « Pas de phrases ! Pour effacer la tache honteuse que vous avez imprimée 
sur le front de la France, il ne suffit plus de prononcer quelques vaines paroles 
; vous avez violé l'article 5 de la Constitution, et nous ne voulons pas vous 
laisser continuer vos attentats. Pour vous débarrasser de notre accusation, vous 
nous demandez si nous avons l'intention de rester sur le terrain de la légalité, 
eh bien, je vais répondre : la Constitution est violée, nous la défendrons par 
tous les moyens, même par les armes ! » Et à cette menace Ledru joignait 
le dépôt d'une demande de mise en accusation du président de la République, 
L.-N. Bonaparte, et de ses ministres responsables : cette demande était signée 
de lui et de toute la Montagne. Le lendemain, 12 juin, il abordait pour la dernière 
fois la tribune de la Législative, protestant encore, au nom du « droit éternel 
», contre l'expédition de Rome. M. Thiers, qui répliqua, s'attira de l'orateur 
républicain cette apostrophe : « Citoyen Tliiers, vos paroles ne sont point 
de vous, elles sont de l'empereur de Russie, et vous êtes du parti des Cosaques 
! » Le surlendemain, 13 juin, le chef de la Montagne, après avoir rédigé de concert 
avec Félix Pyat, M. Considérant et autres, un appel aux armes qui fut revêtu également 
des signatures des représentants de la gauche, descendit dans les rues de Paris 
pour tenter, sans confiance, la fortune de la révolution. Parti du palais national 
avec un petit nombre de ses collègues, et une centaine d'artilleurs, il se rendit 
au Conservatoire des Arts et Métiers, où il fut bientôt cerné par les troupes. 
On prétendit qu'il se sauva par un vasistas, lors de l'arrivée du 62e de ligne 
au Conservatoire ; mais les débats du procès du 13 juin ont établi qu'il marcha 
au-devant des troupes ; que, refoulé dans la première cour des Arts et Métiers, 
il fut couché en joue par des soldats avec tous ceux qui s'y trouvaient, et que 
son sang-froid ne se démentit pas dans ce moment solennel. Mais Ledru-Rollin ne 
crut pas devoir se constituer prisonnier ; sorti du Conservatoire par la porte 
du jardin, il resta pendant 23 jours dans la banlieue de Paris chez un ami qui 
lui avait donné asile ; le 6 juillet, avec plusieurs autres compromis comme lui, 
il gagna la Belgique et passa quelques jours après en Angleterre. C'est de Londres 
que, conjointement avec d'autres réfugiés du 13juin, Étienne Arago, Martin 
Bernard, Landolphe, Rattier, Ribeyrolles, Ed. Madier de Montjau, il fit connaître, 
un peu avant le procès de la Haute-Cour de Versailles leur résolution de ne point 
« accepter comme accusateurs ceux ou les serviteurs de ceux que nous avons 
dénoncés au pays comme atteints et convaincus d'avoir violé la Constitution. 
» C'est de Londres aussi qu'il data deux brochures : Le 13 juin 1849, et 
Le 24 février, que le parquet de Paris fit saisir dès leur apparition. 
La cour de Versailles le condamna par contumace à la déportation. Ledru-Rollin 
vécut à Londres pendant toute la durée de l'Empire, des restes de sa fortune 
et du produit de sa plume. Après un important ouvrage : De la décadence de 
l'Angleterre, auquel collabora Ch. Ribeyrolles, il donna deux autres volumes 
sous ce titre : la Loi anglaise, fut un des principaux rédacteurs de la 
Voix du proscrit, et contribua avec Kossuth, Mazzini, Ruge, etc..., à la 
formation d'un grand comité révolutionnaire international. En 1857, il fut impliqué 
avec Mazzini dans un complot contre la vie de l'empereur, et fut condamné de nouveau, 
par contumace, à la déportation ; mais l'Angleterre refusa l'extradition, faute 
de « preuves suffisantes pour justifier l'arrestation ». Cette nouvelle 
condamnation eut néanmoins pour effet d'excepter Ledru-Rollin de l'amnistie de 
1859, puis de celle de 1869. Aux élections législatives partielles de novembre 
de cette dernière année, la fraction la plus « irréconciliable » du parti 
républicain songea à poser sa candidature dans la 4e circonscription de la Seine, 
à titre de protestation contre l'obligation du serment : il ne réunit qu'an petit 
nombre de voix. Autorisé à rentrer en France par un des premiers décrets du ministère 
Ollivier (10 janvier 1870), il se tint à l'écart de la politique militante et 
refusa de porter la parole devant la « haute cour » de Tours, pour la famille 
de Victor Noir, ne voulant pas, dit-il, « amnistier par sa présence des juges 
prévaricateurs. » Installé, en juin, à Fontenay-aux-Roses, dans une ancienne 
propriété de sa famille, il salua avec joie au 4 septembre, la proclamation de 
la République,mais non l'avènement des hommes dont le gouvernement de la Défense 
nationale était composé. Ceux-ci ne lui fournirent d'ailleurs aucune occasion 
de jouer un rôle politique quelconque. Ledru-Rollin passa dans Paris le temps 
du siège. S'étant déclaré favorable aux élections immédiates pour la Commune, 
il se trouva, le 31 octobre, à l'Hôtel de Ville, parmi les envahisseurs, et son 
nom y fut acclamé comme membre du comité de salut publie, mais il ne fut point 
poursuivi. Bien qu'il eût décliné d'avance toute candidature aux élections de 
l'Assemblée nationale, il n'en fut pas moins élu, le 8 février 1871, représentant 
des Bouches-du-Rhône, le 11e et dernier, avec 46,418 voix (75,803 votants) ; de 
la Seine, le 37e sur 43, avec 75,784 voix (328,970 votants) ; et du Var, le 4e 
sur 6, avec 25,892 voix (41,928 votants), il adressa sa démission au président 
dès le 19 février, en alléguant le manque d'indépendance et de spontanéité dont 
le vote lui paraissait entaché. Souffrant depuis plusieurs années d'une maladie 
de foie qui avait beaucoup contribué à l'éloigner des affaires publiques, il y 
rentra néanmoins, mais pour peu de temps, le 1er mars 1874 : une élection partielle, 
motivée dans le département de Vaucluse par le décès de M. Monier, l'engagea à 
poser sa candidature républicaine intransigeante : il fut élu par 31,534 voix 
(60,291 votants, 83,574 inscrits), contre 27,953 à M, de Biliotti, monarchiste. 
Ledru-Rollin prit place à l'extrême-gauche, à côté de Louis Blanc, et prononça, 
lors de la discussion des lois électorales, son dernier discours fréquemment interrompu 
par la droite, et qui fut une défense du suffrage universel. 
 En effet, le suffrage universel avait été jusqu'au bout chez Ledru-Rollin 
l'objet d'une foi inaltérable. Il l'avait désiré, préparé, acclamé et organisé 
; il ne cessa d'y voir la loi essentielle et fondamentale de la République. Plus 
incertaines peut-être et plus vagues furent ses aspirations socialistes : bien 
qu'il eût compris, sous Louis-Philippe, toute la force que l'opposition radicale 
pouvait trouver contre le gouvernement dans le sentiment du malaise social, il 
ne concevait guère, semble-t-il, d'autre remède à la situation des classes 
laborieuses et souffrantes, avec quelques institutions de protection et d'assistance, 
qu'un changement d'assiette de l'impôt et une répartition équitable de toutes 
les charges de la société. Homme d'État, on l'a quelquefois jugé au-dessous 
de sa tâche ; orateur, il laisse une réputation de tribun : son allure athlétique, 
son geste passionné, sa parole puissante rappellent parfois la fougue de Danton, 
mais avec plus de lucidité, plus de conviction aussi, et plus de droiture. Homme 
privé, il dépensa, sans compter, sa fortune personnelle pour hâter l'avènement 
de son parti, et, loin de chercher jamais dans le Trésor public un moyen de payer 
ses dettes, il n'y puisa même pas, durant .son passage au pouvoir, la juste rémunération 
de ses services.  
Outre les publications citées plus haut, ou a encore de lui : plusieurs Discours 
et plaidoyers, imprimés séparément, une Lettre à M. de Lamartine sur l'État, 
l'Église, et l'Enseignement (1844) ; du Paupérisme dans les campagnes 
et des réformes que nécessite l'extinction de la mendicité, et diverses brochures 
sur le gouvernement direct. Le recueil complet de ses écrits et de ses discours 
a été publié en 1879 par sa veuve.  
Ledru-Rollin, mort à Fontenay-aux-Roses le 3l décembre 1874, fut inhumé au Père-Lachaise, 
à Paris : Victor Hugo et Louis Blanc présidèrent, le 24 février 1878, à l'inauguration 
solennelle du monument élevé à sa mémoire. 
  
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