D.R. BELAIR - RTMKB

 

 

BIOGRAPHIE D'OLIVER CROMWELL

Cromwell

 

 

 

Cromwell Oliver (Cromwell Olivier)

Lord Protecteur d'Angleterre, né le 25 avril 1599 dans le comté de Huntingdon (south-eastern midlands of England), d'une famille assez distinguée, il fit ses études à l'école de grammaire de Huntingdon (maintenant le Cromwell Museum) et à l'université de Cambridge ; il entra de bonne heure dans la secte des Puritains, où il puisa l'esprit d'intolérance ; fut député par l'université de Cambridge au long-parlement (1640), et s'y fit remarquer par ses déclamations contre le papisme et la royauté. Lorsque la guerre entre le roi et le parlement s'engagea, il leva à ses frais un régiment, et se signala par son habileté et sa bravoure, mais aussi par ses cruautés. Nommé, peu de temps après, lieutenant-général de cavalerie, il décida le succès des combats de Marston-Moor (1644) et de Naseby (1645), qui amenèrent la ruine du parti royaliste et les infortunes de Charles I. Dès cette époque, Cromwell songea à remplir le premier rôle. II sut se concilier l'esprit de l'armée ; et comme dans le parlement il se trouvait bien des gens qui semblaient deviner son ambition et vouloir s'y opposer, il purgea ce corps, c'est-à-dire qu'il en chassa à main armée les membres suspects. Avec les hommes sûrs qui y restaient, il fit condamner à mort le malheureux Charles (1649), et proclamer la république. Trois ans après, il fut reconnu chef de l'état sous le nom de Protecteur. Depuis ce moment, Cromwell régna en souverain absolu sur l'Angleterre. Son règne fut un des plus prospères. Il enleva la Jamaïque aux Espagnols, et abaissa la marine hollandaise ; au dedans il fit respecter les lois, remplit les tribunaux d'hommes intègres et éclairés, et fit fleurir le commerce. Presque toutes les puissances reconnurent son autorité et recherchèrent son alliance. Il mourut le 03 septembre 1658 à Londres (Angleterre).

Il dut ses succès à une profonde hypocrisie, autant qu'à son habile politique, à son courage et a son infatigable activité.
L'Histoire de Cromwell a été écrite par M. Villemain, Paris, 1819, 2 vol. in-8.

— Son fils, Richard Cromwell, fut reconnu pour son successeur au protectorat ; mais d'un caractère faible, il ne conserva l'autorité que pendant quelques mois. Il abdiqua de lui-même en 1659, à la suite de quelques troubles et à la nouvelle de l'approche de Charles II. Jusqu'à sa mort (1712) il vécut dans une retraite absolue.

 

CROMWELL

PAR

VOLTAIRE

 

SECTION I.

On peint Cromwell comme un homme qui a été fourbe toute sa vie. J’ai de la peine à le croire. Je pense qu’il fut d’abord enthousiaste, et qu’ensuite il fit servir son fanatisme même à sa grandeur. Un novice fervent à vingt ans devient souvent un fripon habile à quarante. On commence par être dupe, et on finit par être fripon (Vers de Mme Deshoulières), dans le grand jeu de la vie humaine. Un homme d’État prend pour aumônier un moine tout pétri des petitesses de son couvent, dévot, crédule, gauche, tout neuf pour le monde le moine s’instruit, se forme, s’intrigue, et supplante son maître.

Cromwell ne savait d’abord s’il se ferait ecclésiastique ou soldat. Il fut l’un et l’autre. Il fit, en 1622, une campagne dans l’armée du prince d’Orange Frédéric-Henri, grand homme, frère de deux grands hommes ; et quand il revint en Angleterre, il se mit au service de l’évêque Williams, et fut le théologien de monseigneur tandis que monseigneur passait pour l’amant de sa femme. Ses principes étaient ceux des puritains ; ainsi il devait haïr de tout son coeur un évêque, et ne pas aimer les rois. On le chassa de la maison de l’évêque Williams parce qu’il était puritain, et voilà l’origine de sa fortune. Le parlement d’Angleterre se. déclarait contre la royauté et contre l’épiscopat ; quelques amis qu’il avait dans ce parlement lui procurèrent la nomination d’un village. Il ne commença à exister que dans ce temps-là, et il avait plus de quarante ans sans qu’il eût jamais fait parler de lui. Il avait beau posséder l’Écriture sainte, disputer sur les droits des prêtres et des diacres, faire quelques mauvais sermons et quelques libelles, il était ignoré. J’ai vu de lui un sermon qui est fort insipide, et qui ressemble assez aux prédications des quakers ; on n’y découvre assurément aucune trace de cette éloquence persuasive avec laquelle il entraîna depuis les parlements. C’est qu’en effet il était beaucoup plus propre au affaires qu’à l’Église. C’était surtout dans son ton et dans son air que consistait son éloquence : un geste de cette main qui avait gagné tant de batailles et tué tant de royalistes persuadait plus que les périodes de Cicéron. Il faut avouer que ce fut sa valeur incomparable qui le fit connaître, et qui le mena par degrés au faîte de la grandeur.

Il commença par se jeter en volontaire qui voulait faire fortune dans la ville de Hull, assiégée par le roi. Il y fit de belles et d’heureuses actions, pour lesquelles il reçut une gratification d’environ six mille francs du parlement. Ce présent fait par le parlement à un aventurier fait voir que le parti rebelle devait prévaloir. Le roi n’était pas en état de donner à ses officiers généraux ce que le parlement donnait à des volontaires. Avec de l’argent et du fanatisme on doit à la longue être maître de tout. On fit Cromwell colonel. Alors ses grands talents pour la guerre se développèrent au point que lorsque le parlement créa le comte de Manchester général de ses armées, il fit Cromwell lieutenant-général, sans qu’il eût passé par les autres grades. Jamais homme ne parut plus digne de commander ; jamais on ne vit plus d’activité et de prudence, plus d’audace et plus de ressources que dans Cromwell. Il est blessé à la bataille d’York ; et tandis que l’on met le premier appareil à sa plaie, il apprend que son général Manchester se retire, et que la bataille est perdue. Il court à Manchester ; il le trouve fuyant avec quelques officiers ; il le prend par le bras, et lui dit avec un air de confiance et de grandeur : « Vous vous méprenez, milord ; ce n’est pas de ce côté-ci que sont les ennemis. » Il le ramène près du champ de bataille, rallie pendant la nuit plus de douze mille hommes, leur parle au nom de Dieu, cite Moïse, Gédéon et Josué, recommence la bataille au point du jour contre l’armée royale victorieuse, et la défait entièrement. Il fallait qu’un tel homme pérît ou fût le maître. Presque tous les officiers de son armée étaient des enthousiastes qui portaient le Nouveau Testament à l’arçon de leur selle : on ne parlait, à l’armé comme dans le parlement, que de perdre Babylone, d’établir le culte dans Jérusalem, de briser le colosse. Cromwell, parmi tant de fous, cessa de l’être, et pensait qu’il valait mieux les gouverner que d’être gouverné par eux. L’habitude de prêcher en inspiré lui restait. Figurez-vous un fakir qui s’est mis aux reins une ceinture de fer par pénitence, et qui ensuite détache sa ceinture pour en donner sur les oreilles aux autres fakirs : voilà Cromwell. Il devient aussi intrigant qu’il était intrépide ; il s’associe avec tous les colonels de l’armée, et forme ainsi dans les troupes une république qui force le généralissime à se démettre. Un autre généralissime est nommé, il le dégoûte. Il gouverne l’armée, et par elle il gouverne le parlement ; il met ce parlement dans la nécessité de le faire enfin généralissime. Tout cela est beaucoup ; mais ce qui est essentiel, c’est qu’il gagne toutes les batailles qu’il donne en Angleterre, en Écosse, en Irlande ; et il les gagne, non en voyant combattre et en se ménageant, mais toujours en chargeant l’ennemi, ralliant ses troupes, courant partout, souvent blessé, tuant de sa main plusieurs officiers royalistes, comme un grenadier furieux et acharné.

Au milieu de cette guerre affreuse Cromwell faisait l’amour ; il allait, la Bible sous le bras, coucher avec la femme de son major général Lambert. Elle aimait le comte de Holland, qui servait dans l’armée du roi. Cromwell le prend prisonnier dans une bataille, et jouit du plaisir de faire trancher la tête à son rival. Sa maxime était de verser le sang de tout ennemi important, ou dans le champ de bataille, ou par la main des bourreaux. Il augmenta toujours son pouvoir, en osant toujours en abuser ; les profondeurs de ses desseins n’ôtaient rien à son impétuosité féroce. Il entre dans la chambre du parlement, et, prenant sa montre qu’il jette par terre et qu’il brise en morceaux : « Je vous casserai, dit-il, comme cette montre. » Il y revient quelque temps après, chasse tous les membres l’un après l’autre, en les faisant défiler devant lui. Chacun d’eux est obligé, en passant, de lui faire une profonde révérence : un d’eux passe le chapeau sur la tête ; Cromwell lui prend son chapeau, et le jette par terre : « Apprenez, dit-il, à me respecter. »

Lorsqu’il eut outragé tous les rois en faisant couper la tête à son roi légitime, et qu’il commença lui-même à régner, il envoya son portrait à une tête couronnée : c’était à la reine de Suède Christine. Marvell, fameux poète anglais, qui faisait fort bien des vers latins, accompagna ce portrait de six vers où il fait parler Cromwell lui-même. Cromwell corrigea les deux derniers que voici :

  At tibi submittit frontem reverentior umbra,
Non sunt hi vultus regibus usque truces.

Le sens hardi de ces six vers peut se rendre ainsi

  Les armes à la main j’ai défendu les lois ;
D’un peuple audacieux j’ai vengé la querelle.
Regardez sans frémir cette image fidèle :
Mon front n’est pas toujours l’épouvante des rois.

 

Cette reine fut la première à le reconnaître, dès qu’il fut protecteur des trois royaumes. Presque tous les souverains de l’Europe envoyèrent des ambassadeurs à leur frère Cromwell, à ce domestique d’un évêque, qui venait de faire périr par la main du bourreau un souverain leur parent. Ils briguèrent à l’envi son alliance. Le cardinal Mazarin, pour lui plaire, chassa de France les deux fils de Charles Ier, les deux petits-fils de Henri IV, les deux cousins germains de Louis XIV. La France conquit Dunkerque pour lui, et on lui en remit les clefs. Après sa mort, Louis XlV et toute sa cour portèrent le deuil, excepté Mademoiselle, qui eut le courage de venir au cercle en habit de couleur, et soutint seule l’honneur de sa race.

Jamais roi ne fut plus absolu que lui. il disait qu’il avait mieux aimé gouverner sous le nom de protecteur que sous celui de roi, parce que les Anglais savaient jusqu’où s’étend la prérogative d’un roi d’Angleterre, et ne savaient pas jusqu’où celle d’un protecteur pouvait aller. C’était connaître les hommes, que l’opinion gouverne, et dont l’opinion dépend d’un nom. Il avait conçu un profond mépris pour la religion qui avait servi à sa fortune. Il y a une anecdote certaine conservée dans la maison de Saint-Jean, qui prouve assez le peu de cas que Cromwell faisait de cet instrument qui avait opéré de si grands effets dans ses mains. Il buvait un jour avec Ireton, Fleetwood, et Saint-Jean, bisaïeul du célèbre milord Bolingbroke ; on voulut déboucher une bouteille, et le tire-bouchon tomba sous la table ils le cherchaient tous, et ne le trouvaient pas. Cependant une députation des Églises presbytériennes attendait dans l’antichambre, et un huissier vint les annoncer. « Qu’on leur dise que je suis retiré, dit Cromwell, et que je cherche le Seigneur. » C’était l’expression dont se servaient les fanatiques quand ils faisaient leurs prières, Lorsqu’il eut ainsi congédié la bande des ministres, il dit à ses confidents ces propres paroles : « Ces faquins-là croient que nous cherchons le Seigneur et nous ne cherchons que le tire-bouchon. »

Il n’y a guère d’exemple en Europe d’aucun homme qui, venu de si bas, se soit élevé si haut. Mais que lui fallait-il absolument avec tous ses grands talents ? la fortune. Il l’eut, cette fortune ; mais fut-il heureux ? Il vécut pauvre et inquiet jusqu’à quarante-trois ans ; il se baigna depuis dans le sang, passa sa vie dans le trouble, et mourut avant le temps à cinquante-sept ans. Que l’on compare à cette vie celle d’un Newton, qui a vécu quatre-vingt-quatre années, toujours tranquille, toujours honoré, toujours la lumière de tous les êtres pensants, voyant augmenter chaque jour sa renommée, sa réputation, sa fortune, sans avoir jamais ni soins, ni remords, et qu’on juge lequel a été le mieux partagé.

O curas hominum, o quantum est in rebus inane !

(Pers., sat. I, vers 1.)

SECTION II

Olivier Cromwell fut regardé avec admiration par les puritains et les indépendants d’Angleterre ; il est encore leur héros ; mais Richard Cromwell son fils est mon homme.

Le premier est un fanatique qui serait situé aujourd’hui dans la chambre des communes s’il y prononçait une seule des inintelligibles absurdités qu’il débitait avec tant de confiance devant d’autres fanatiques qui l’écoutaient la bouche béante et les yeux égarés, au nom du Seigneur. S’il disait qu’il faut chercher le Seigneur, et combattre les combats du Seigneur ; s’il introduisait le jargon juif dans le parlement d’Angleterre, à la honte éternelle de l’esprit humain, il serait bien plus près d’être conduit à Bedlam que d’être choisi pour commander des armées.

Il était brave, sans doute : les loups le sont aussi ; il y a même des singes aussi furieux que des tigres. De fanatique il devint politique habile, c’est-à-dire que de loup il devint renard, monta, par la fourberie, des premiers degrés où l’enthousiasme enragé du temps l’avait placé jusqu’au faîte de la grandeur ; et le fourbe marcha sur les têtes des fanatiques prosternés. Il régna ; mais il vécut dans les horreurs de l’inquiétude. Il n’eut ni des jours sereins ni des nuits tranquilles. Les consolations de l’amitié et de la société n’approchèrent jamais de lui ; il mourut avant le temps, plus digne, sans doute, du dernier supplice que le roi qu’il fit conduire d’une fenêtre de son palais même à l’échafaud.

Richard Cromwell, au contraire, né avec un esprit doux et sage, refuse de garder la couronne de son père aux dépens du sang de trois ou quatre factieux qu’il pouvait sacrifier à son ambition. Il aime mieux être réduit à la vie privée que d’être un assassin tout-puissant. Il quitte le protectorat sans regret, pour vivre en citoyen, libre et tranquille à la campagne, il y jouit de la santé ; il y possède son âme en paix pendant quatre-vingt-dix années (*), aimé de ses voisins, dont il est l’arbitre et le père.

(*) Les éditions de 1770,1771 in-4°, 1775, portent quatre-vingt-dix. Ce n’est peut-être qu’une faute de copiste ou d’impression. M. Renouard a mis quatre-vingt-six, en mettant en note que « Richard naquit le 4 octobre 1626, et mourut le 13 juillet 1712. »

Lecteurs, prononcez. Si vous aviez à choisir entre le destin du père et celui du fils, lequel prendriez-vous ?

François-Marie Arouet, dit Voltaire (1694-1778), Le Dictionnaire philosophique ou La Raison par alphabet (1764).

 


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